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Rêver les yeux ouverts Bordeaux Grand-Théâtre 04/26/2025 - Gabriel Fauré : Poème d’un jour, opus 21 – Trois Mélodies, opus 7 : 1. « Après un rêve »
Jules Massenet : Werther : « O nature, pleine de grâce » – Thaïs : Vision d’Athanaël et Méditation (arrangement Pordoy)
Franz Liszt : Oh ! quand je dors, S. 282
Charles Gounod : Roméo et Juliette : « Ah ! lève‑toi, soleil ! »
Alfredo Catalani : In sogno
Francesco Paolo Tosti : La Serenata – Non t’amo più – Marechiare – A vucchella
Francesco Cilea : L’Arlesiana : « E la solita storia del pastore »
Gioachino Rossini : Péchés de vieillesse, Vol. VI « Album pour les enfants dégourdis » : VIII. « Barcarole »
Giuseppe Verdi : Luisa Miller : « Quando le sere al placido »
Almicare Ponchielli : La Gioconda : « Cielo e mar » Pene Pati (ténor), Mathieu Pordoy (piano).
 P. Pati, M. Pordoy (© Philippe Manoli)
Pene Pati aime Bordeaux. Il répète souvent, comme il nous l’avait confié en entretien, que ses premiers pas en Europe, en 2018, il les a faits au Grand-Théâtre, encore inconnu, en Percy d’Anna Bolena. Son premier triomphe, quelques jours avant le confinement en mars 2020, il l’a connu à Bordeaux en Roméo. Et il se rappelle avec émotion entre deux morceaux ce samedi 26 avril, en se retournant sur le chemin parcouru : il y a sept ans, il donnait son premier récital européen à Bordeaux, dans les récitals de midi, qui mettent en valeur les artistes en devenir ; aujourd’hui, il donne un récital du soir, ceux dévolus aux vedettes.
Et ce qui caractérise les vedettes, c’est parfois l’intelligence d’un programme finement concocté avec un accompagnateur de talent, ici Mathieu Pordoy. Car si Pati, en mars 2024, avait chanté uniquement des extraits d’opéras à l’Auditorium avec l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine dirigé par Emmanuel Villaume, dans la droite ligne de ses disques chez Sony, cette fois, c’est dans le cadre intimiste du Grand-Théâtre qu’il a voulu proposer un récital avec seulement un accompagnement au piano. L’alternance de mélodies napolitaines et françaises avec des airs d’opéra, mâtinée de quelques pièces de piano solo, sert, bien sûr, à éviter au chanteur une fatigue excessive – son année a été extrêmement chargée, avec ses débuts au MET, à Covent Garden, à Chicago et Munich, rançon d’un succès croissant –, mais permettent aussi d’insérer de véritables plages de poésie dans le récital et de tisser surtout des liens de sens et de sensations entre les extraits d’œuvres, jusque dans les bis. Le thème du rêve, très présent de Fauré à Liszt et Catalani en passant par Massenet, s’entremêle dans ce programme avec des pulsions latines plus ardentes chez Tosti, Rossini, Cilea et Verdi, où la faconde méditerranéenne le dispute à la morsure de la déception amoureuse et à sa déploration passionnée mais possiblement contenue. Le programme trouve son point d’équilibre chez Massenet et Ponchielli, quand Werther et Enzo Grimaldo exaltent la beauté de la nature pour rejoindre, dans un même élan du cœur, la femme aimée.
La femme aimée, « la femme inespérée » justement, est dépeinte par Fauré dans le premier de ses Poèmes d’un jour, « Rencontre », qui ouvre le récital. Et on constate d’emblée que le français du ténor samoan, qui nous a toujours ébloui par sa clarté et son idiomatisme, assez époustouflants pour un chanteur venu de si loin et qui commence seulement aujourd’hui à parler notre langue couramment, est toujours un miracle d’équilibre et de finesse. Les « e » muets sont discrets mais présents, toujours justement dosés, les diérèses sur les « i » ne font jamais défaut, sans être appuyées. Rares sont les artistes à donner une telle leçon de déclamation française, dans un dosage des dynamiques d’une subtilité qui laisse pantois. Car il ne suffit pas de chanter piano pour émouvoir, on a pu s’en rendre compte dernièrement au Théâtre des Champs‑Elysées avec le Werther glacial de Benjamin Bernheim. Le piano, le pianissimo, doivent être nourris et denses pour prendre sens (c’est une question de technique) et colorés pour transmettre des émotions (c’est une question d’investissement émotionnel, d’intelligence du cœur). C’est ainsi que le retournement émotionnel vécu par le personnage de la première mélodie peut devenir sensible, quand Pati chante sur un sourire, peignant par fines touches le bonheur fugace d’une rencontre avec un autre être également triste, rencontre qui pulvérise la tristesse, fragile comme une tige florale, embaumée par le toucher délicat et sensible de Mathieu Pordoy. « Toujours », sur un rythme plus vif, et nerveux, avec ses anaphores (« Demandez ») plus directives, esquisse à plus larges touches un « printemps » d’une vigueur plus rugueuse, et dépeint un personnage braqué dans le refus d’imaginer la perte de l’être aimé. Dans « Adieu », les vers de Charles Grandmougin, avec sa « rose déclose », rejoignent à grands traits le blason ronsardien dans une dimension un peu caricaturale, mais la musique de Fauré ici évoque plutôt Verlaine et son Art poétique, « sans rien en lui qui pèse ou qui pose » : la fin des amours est acceptée avec calme et sérénité, esquissant une paix retrouvée. Le legato de Pati, son contrôle du souffle et sa diction transparente, lui permettent de rendre sensibles l’évanouissement de la passion amoureuse dans des « fumées » immatérielles, que sa voix évoque avec une délicatesse saisissante. Tout ici est légèreté. Rêves fugaces et amours mortes s’envolent dans un « adieu » longuement tenu, assumé, serein, orné d’une légère messa di voce, d’un tact suprême.
S’il est plus clairement plein d’espoir, l’enthousiasme ému du premier air de Werther sera lui aussi un feu de paille, et l’extase progressive que Pati met en scène, dans une atmosphère onirique tissée par les doigts de Mathieu Pordoy avec un art consommé de la couleur, contient en germe une fin tragique. Si les « yeux éblouis » de l’étudiant rendent hommage à la nature avec une grâce digne d’un geste de danseur classique, si le ténor exprime un recueillement plein de reconnaissance dans le « calme solennel » que Werther perçoit, l’appel au soleil contient en germe un besoin de force issue de l’extérieur, qui manifeste la fracture irréversible du personnage. Si ici les aigus trahissent quelque instabilité, si le souffle est un peu plus court, et si l’émotion du personnage est moins palpable qu’à Strasbourg en février dernier lors de la prise de rôle du ténor saoman en version semi‑scénique, ce léger manque d’éblouissement se trouve en fait très en situation entre les effusions mâtinées d’ombres de Fauré et les émotions troubles de la Thaïs de Massenet qui suit.
Pathieu Pordoy a arrangé pour piano deux extraits de la Thaïs de Massenet : la « Vision d’Athanaël », interlude symphonique de grande ampleur, et la célébrissime « Méditation ». La « Vision », si elle entre dans l’orbe du rêve, se veut plus tourmentée, un temps lesté de rythmes funèbres, et s’éveille ensuite dans une série de vagues à l’intense luminosité, lestée plus loin d’accords puissants, qui s’envolent vers un final extatique et plus tellurique, jusqu’à l’apaisement final qui la relie naturellement à la « Méditation ». Mathieu Pordoy, au cours de ce récital d’ailleurs tend à effacer les transitions de sorte que les numéros s’enchâssent de façon très naturelle. Son jeu est d’une grande expressivité, dans un style le reliant aux anciens : pas de perfection technique sans âme, quelques erreurs ici et là, mais toujours un sens de la narration et surtout une palette de couleurs expressives très large, qui permet de donner à cette pièce rebattue une saveur fraîche, entre élan et retenue, pleine de sève et d’allant, avant une reprise de thème apaisée et d’une sensibilité pleine de tact.
La transition avec la mélodie de Liszt Oh ! quand je dors est des plus naturelles. Pene Pati rejoint le toucher délicat de Mathieu Pordoy, qui tisse un tapis frémissant sous sa voix. Quelques rares éclats de lumière servent de perles ornant une suite de longues phrases pleines de ralentissements extatiques, ponctués de vocalises en diminuendo qui sont comme des éclosions expirantes. La reprise pianissimo distille une lumière tamisée fascinante, grâce à un legato permettant un étirement extrême des phrases. La rare délicatesse de ses attaques (« Pose un baiser ») lui permet des modulations infinies, esquissant un voyage intérieur verlainien, où rien ne se passe vraiment, et tout se ressent totalement, dans un demi‑sommeil troublant et troublé, au final tendrissime, où la lueur progressivement se fond dans le paysage et disparaît.
Après un rêve de Fauré poursuit naturellement ce voyage aux confins de l’intériorité et du rêve. La voix explore ici des contrées où le grave se fait plus présent (« splendeur », « entrave »), car le sommeil ici est un « mirage » dont émerge peu à peu l’amertume. Si le fluide pastel d’« éclairé par l’aurore » s’estompe vite, bousculé par des vocalises descendantes aux teintes quasi mozarabes (« triste réveil des songes »/« mensonges »), le cœur amoureux n’a plus pour solution que de rappeler la « nuit mystérieuse » pour que le mensonge consolateur l’apaise. La longueur de souffle du ténor permet ici toutes les suspensions et les tenues de notes mourantes qui sont les pleins et les déliés du vocabulaire fauréen.
L’appel à l’amour et au soleil du Roméo de Gounod s’inscrit idéalement dans cette esthétique semi-nocturne, où le rêve et l’émerveillement se font concurrence. Le piano diaphane de Mathieu Pordoy permet à l’aurore de surgir de façon progressive, et une fois encore, Pene Pati délivre des merveilles de diction pour équilibrer voyelles et consonnes dans un creuset d’une rare homogénéité, entre fluidité et touches picturales. Rythmiquement, l’irrépressible et bouillonnant élan attendu de « Ah ! lève‑toi soleil » se mue en lente prise de conscience émerveillée de la possibilité du bonheur, ici plutôt prière très intériorisée que cri du cœur. « Amour, amour » s’inscrit dans cette esthétique oratoire, seul « Ah, je n’ai rien entendu » fait entendre le frémissement de la passion, avant un retour au ton de l’intériorité. Si les premiers « parais » forte sont tendus, à la limite de la rupture, le dernier est un enchantement : chanté pianissimo comme le réclame la partition, mais ensuite augmenté puis diminué, il déclenche une ovation méritée avant l’entracte.
Au retour, on change de langue, pour éviter de se maintenir dans un univers trop uniment onirique et francophone. Les mélodies de Tosti permettent alors d’introduire une forte dose de volubilité et une couleur toute différente dans la déclamation de notre ténor. Auparavant, pour rester dans la thématique du rêve, Mathieu Pordoy distille dans In sogno de Catalani un toucher très délicat, et verse dans une intériorité que Fauré n’aurait pas reniée, avant que certains mouvements fassent émerger plus de vivacité voire de mordant. Ici encore, la transition avec les mélodies chantées est presque insensible. Et on se rend compte à quel point l’italien de Pati est naturel, d’autant plus que cet italien‑ci est plutôt napolitain, teinté donc de dialecte.
Dans La Serenata de Tosti, l’éclat des consonnes est bien plus marqué que dans la première partie francophone, mais les vocalises sont tout aussi délicieuses, alanguies avec grâce, les ralentis charmants, le grave du ténor coloré, ses raffinements d’émission tout aussi convaincants. Le sourire du chanteur est ici globalement plus présent, le legato tout aussi impressionnant, qui permet un phrasé libre et quasi continu. Les répétitions correspondent à l’esthétique du bel canto, jusqu’à une vocalise proche du trille, et une conclusion pleine de douceur. Non t’amo più débute toujours piano et quasi langoureusement. Le désespoir sobre du narrateur est en phase avec la première partie du récital, en longues phrases piano morendo (« e te ricordi ancor », répété). La reprise laisse poindre plus de désespoir, qui se pare de demi‑teintes étreignantes (« ideal’ »), finissant encore pianissimo, dans un quasi-recueillement d’une sobre nudité. C’est peut‑être dans cette mélodie aux reprises épanouies et délicates que le récital atteint son sommet.
C’est à une tout autre esthétique que ressortit Marechiare. Le rythme vif, presque trépidant, est celui d’une sérénade autrement plus impatiente et enivrante. La volubilité de l’italien de Pati est ici très en situation, le débit très rapide et les couleurs du timbre rappellent tant Di Stefano que l’inévitable Pavarotti, autant que l’accentuation des consonnes, très en situation. Ici encore les vocalises ralentissent le tempo jusqu’à l’expression d’une extase langoureuse, et atteignent les parties graves de l’ambitus, contrebalançant la vive gourmandise du débit des reprises. L’aigu final de « dolce » fuse, libre, avant une note finale très longuement tenue qui déclenche encore l’enthousiasme du public.
Le lamento de Federico « E la solita storia del pastore » extrait de L’Arlesiana de Cilea est très fréquent dans les récitals. Il permet ici de passer de la sérénade à la déploration de l’amant en souffrance, toujours liée au sommeil : il le réclame pour oublier sa situation. Sous les notes délicates du piano de Mathieu Pordoy, Pati propose encore une épure en guise de dynamique et de phrasé, qui nous épargnent tout vérisme larmoyant. Le « povero ragazzo » est évoqué avec grâce et compassion, « s’addormi » est dessiné d’un pinceau délicatissime. Le tempo lent, engourdi, s’anime peu à peu d’un rêve mauvais pour diffuser l’éclat de lumière douloureux de « perché degg’io tanto penar ? ». Loin du cri vériste, Pati continue à distiller les sortilèges d’un pianissimo a mezza voce non pas enchanteur cette fois mais apte à exprimer la prostration et l’affliction de Federico dans « il dolce sembiante ». C’est là que se situe tout son art : les mêmes nuances prennent des sens différents selon les affects exprimés par la grâce d’une palette de colorations d’une variété époustouflante. L’exaspération du personnage se dessine progressivement dans la dernière strophe : malgré des aigus tendus, l’expression de la douleur dans « Mi fai tanto male ! Ahimè » touche au cœur un public conquis.
Mathieu Pordoy offre ensuite une « Barcarole » de Rossini au lyrisme teinté de malice. Le son rond et plein du piano esquisse les clins d’œil goguenards des arpèges rapides du cygne de Pesaro, dans une plage de respiration bienvenue.
La dernière mélodie napolitaine de Tosti est la célèbre A vucchella, dont le ton est plus léger. Pati se distingue toujours par une diction napolitaine très travaillée. C’est dans un sourire qu’il chante, lançant des volate gracieuses, grâce à un souffle très long. Il charme par son aisance légère et amusée, prenant toujours le temps d’un son filé allégé (« rusella ») pour finir sur des pointes (« appassuliatèlla »).
Les derniers morceaux sont deux arias assez difficiles, et le ténor s’en amuse pour détendre l’atmosphère (« Je vais pouvoir chanter cela ? »).
L’aria de Rodolfo dans Luisa Miller de Verdi (« Quando le sere la placido ») est à nouveau une déploration qui pourrait verser dans l’expression exacerbée des sentiments qu’on peut qualifier de vériste. Comme toujours, Pati s’impose par un soin extraordinaire dans l’expression du récitatif qui fuse avec un slancio remarquable (« mentite »), grâce au mordant impressionnant dont il sculpte sa diction. Très vite, l’impatience, l’urgence l’emportent, grâce à une excellente gestion des silences légèrement écourtés (« Le lagrime, l’affanno ? »). Il dessine l’aria avec un legato étale, et des couleurs vocales un rien éteintes qui esquissent le désespoir du personnage. Les longs « Ah », admirablement projetés, aboutissent à un « mi tradia » mourant, qui exprime mieux le désespoir de celui qui se croit trahi que la hargne qu’on y entend trop souvent. L’exquise douceur des attaques (« Allor ») participe d’une esthétique de la délicatesse du cœur qui met en valeur par contraste les éclats récurrents des forte : c’est bien là le « suono angelico » invoqué par Rodolfo. Si les aigus trahissent une certaine fragilité en fin de récital, le « mi tradia » qui clôt l’aria, empreint d’une douceur presque consolatrice, est encore un coup de maître.
« Cielo e mar » achève le programme avec logique : la beauté picturale de l’aria de La Gioconda de Ponchielli, la figure de l’aimée attendue, espérée, le baiser promis résonnent autant avec les mélodies de Fauré qu’avec celles de Tosti. L’exquise pureté des attaques, la longueur des notes, la couleur émue d’« altar », le ritenuto de « dal mare », le rallentando de « che mi sospir » retardent l’expression de l’extase et lui donnent plus de poids, jusqu’à un « sogni d’or » morendo du plus bel effet. La qualité du phrasé est pour beaucoup dans la réussite de l’air, grâce au dosage parfait des élans et hésitations d’un cœur trop plein de sentiments.
Les effusions ne se limitant pas au texte, c’est par des accolades fougueuses que les deux protagonistes manifestent leur joie d’avoir rendu le public si enthousiaste que les saluts se muent en ovation debout.
Après quelques hésitations, les deux artistes se décident pour plusieurs bis : d’abord une Danza de Rossini au tempo très vif, à la légèreté virevoltante, dans laquelle Pati visiblement s’amuse et ravit l’auditoire, ondulant des épaules pour accompagner la musique, et carrément rieur. Le public demande un « Nessun dorma » que son dernier disque a mis en exergue. Mathieu Pordoy met un peu de malice dans le tempo, avant que Pati déroule les grandes phrases pucciniennes avec aise, dans un recueillement sensible. Malgré une certaine fatigue, le ténor offre un « vincero » convaincant, comme symbole d’une soirée où il a donné le meilleur de lui-même face à un public ravi.
Mais le dernier bis nous transporte sur d’autres sommets : le rêve de Des Grieux, « En fermant les yeux » est issu de la Manon de Massenet que Pati a chantée à Hambourg et Barcelone avec grand succès. Il l’a toujours interprété l’aria avec grâce, mais ici, en fin de soirée, après beaucoup d’émotions vécues et transmises à un public émerveillé dans un Grand‑Théâtre plein comme un œuf, il nous offre un moment unique. Dès le récitatif, (« le bonheur est passager »), d’une diction absolument exquise, il dresse le portrait d’un Des Grieux peint par Fragonard. Mathieu Pordoy se fend d’un comique « A table » en réponse à la même phrase de Des Grieux, mais ensuite la magie qui opère laisse ces facéties de côté. Le legato de rêve du ténor, sa voix mixte enjôleuse conduit le public en apesanteur. Une telle justesse de sentiment, une telle plus‑value émotionnelle dans un pianissimo nourri, timbré, et à la fois évanescent, le timbre miroitant de fascinantes moirures, ressortit à de la pure magie, d’autant que la dynamique encore est idéalement utilisée (« il y faut encore » pianissimo, augmenté puis diminué), jusqu’à un « O Manon » filé, d’un raffinement inouï et d’une longueur infinie.
Le public, médusé, ne peut que répéter son ovation debout, alors que Mathieu Pordoy lui promet des retrouvailles rapides. En rouvrant les yeux, on se rend compte que le récital qui devait durer une heure trente s’est étendu jusqu’à deux heures, et que la magie qui y a opéré nous a transportés dans un moment de grâce qui nous a fait oublier le temps.
Philippe Manoli
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