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Schiff et l’Everest

Paris
Philharmonie
04/22/2025 -  
Johann Sebastian Bach : Die Kunst der Fuge, BWV 1080
András Schiff (piano)


A. Schiff (© Robert Torres/Celebrity Series of Boston)


Après nous avoir enchantés avec des interprétations magistrales du Clavier bien tempéré, András Schiff revient à Bach avec L’Art de la fugue, son sommet ultime et inachevé.


Œuvre majeure de la dernière décennie de Jean‑Sébastien Bach comme la Messe en si et L’Offrande musicale, L’Art de la fugue est considéré comme l’un des tours de force intellectuels les plus importants de la civilisation occidentale, en tous cas, la fugue étant l’art suprême, une des sept merveilles de l’art musical. Il résume à lui seul le potentiel connu entier du contrepoint, l’art de composer de la musique en superposant des dessins mélodiques. Fondée sur un seul grand thème, l’œuvre, mettant en forme une forme, fait défiler toutes manières de contrepoints et de canons dans la seule tonalité de  mineur.


Bach alors âgé de 65 ans, presque aveugle, allait laisser inachevée la toute dernière fugue (Contrapunctus XIV ou Fuga a 3 soggetti) dans lequel son nom apparaissait codé dans la notation germanique des notes. Sur le pourquoi de cette brutale interruption après 239 mesures, qui produit toujours un effet extraordinaire au concert, les musicologues n’ont pas fini d’épiloguer, évoquant soit la cécité brutale après sa fatale opération, soit le désir de laisser aux générations suivantes le soin de trouver la fin si toutefois cela était possible. Œuvre composée avec ses intentions strictes et sévères pour le régal des analystes ou dans un but purement pédagogique ? Dans son ouvrage Musique au château du ciel, (Flammarion, 2013) John Eliott Gardiner le résume ainsi : « disons que dans L’Art de la fugue ou dans les dix canons de L’Offrande musicale, nous nous heurtons à des membranes tellement impénétrables qu’elles découragent les recherches les plus obstinées pour découvrir le visage de leur créateur ».


L’hypothèse la plus couramment admise est que Bach aurait composé l’œuvre pour clavier. Après plusieurs siècles d’oubli, elle a connu de nombreuses adaptations, orchestrée, arrangée aux proportions de l’orchestre de chambre, d’ensembles à vents, du quatuor à cordes. Au clavier, organistes, clavecinistes et pianistes se partagent avec d’âpres discussions la légitimité de leurs instruments respectifs.


La discographie n’est pas si riche. Même Glenn Gould, qui a enregistré presque tout Bach, ne l’a abordée qu’à l’orgue et de façon incomplète (Sony), faisant dire à un critique américain qu’il lui faisait penser « à un phoque de cirque klaxonnant God save the Queen » ! Gustav Leonhardt, Kenneth Gilbert et Davitt Moroney en ont donné au clavecin des interprétations magistrales. Pour le piano, on retient celles de Grigory Sokolov mais surtout de Tatiana Nikolaïeva (Hyperion) et, à l’orgue, Marie‑Claire Alain dans sa légendaire intégrale.


András Schiff, qui dit avoir attendu l’âge de 70 ans pour jouer cette œuvre et ne l’a fait à ce jour qu’à Berlin et Londres avant Paris, se meut avec une aise confondante dans cet austère labyrinthe d’abstraction. Il la compare au mont Everest, que l’on ne peut pas gravir d’un seul jet, L’Art de la fugue en étant le sommet. Comme toujours, on admire la précision de son jeu, la science des ornements, la rigueur des tempi, la régularité d’une sonorité qui ne cherche jamais l’effet mais toujours le bon sens musical. Et on se laisse embarquer pour ce voyage d’une très grande heure au pays de la fugue. Fugues, contre‑fugues, doubles et triples fugues, fugues en miroir, fugues canoniques et canons dans lesquels on peut toujours chercher le thème ou bien entrer de plain‑pied dans le labyrinthe sans en chercher la sortie ni réfléchir aux secrets fascinants de sa fabrication. Tout commentaire supplémentaire est inutile.


Dans les éditions successives, l’ordre des pièces diffère ; il semble que chaque interprète adopte l’ordre qui lui semble le plus logique, si logique il y a. On admire au passage l’habilité du tourneur de pages appelé à revenir en arrière d’une, mais parfois de plusieurs pages, ce qu’il a fait sans la moindre hésitation, ne perturbant jamais le pianiste dans sa progression.


Lorsqu’il lève la main sur la mesure inachevée de la dernière fugue, on pense l’interprète au bout de ses forces pianistiques. Fausse impression car il revient, manifestement très touché par l’accueil chaleureux d’une salle pleine et enthousiaste, et offre une Fantaisie chromatique et Fugue ébouriffante, par la vitesse et la précision, Et non sans malice, car il n’ignore pas l’anecdote unique dans l’histoire du concert de Rudolf Serkin offrant comme bis à son public la totalité des Variations Goldberg, il en donne le plus mélodique et apaisé chant de leur Aria. Est‑ce prémonitoire car on sait qu’il reviendra la saison prochaine jouer à deux reprises dans la série « Piano 4 Etoiles », les 11 février et 29 juin 2026 avec des « programmes non déterminés » mais dans lequel le nom de Bach est clairement mentionné ?



Olivier Brunel

 

 

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