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Un peu de tout

Baden-Baden
Festspielhaus
04/28/2024 -  et 26 avril (Rotterdam), 1er (Dortmund), 4 (Paris) mai 2024
Richard Wagner : Die Walküre
Stanislas de Barbeyrac (Siegmund), Soloman Howard (Hunding), Brian Mulligan (Wotan), Elza van den Heever (Sieglinde), Tamara Wilson (Brünnhilde), Karen Cargill (Fricka), Brittany Olivia Logan (Gerhilde), Jystina Bluj (Ortlinde), Iris van Wijnen (Waltraute), Anna Kissjudit (Schwertleite), Jessica Faselt (Helmwige), Maria Barakova (Siegrune), Ronnita Miller (Grimgerde), Catriona Morison (Rossweisse)
Rotterdams Philharmonisch Orkest, Yannick Nézet‑Séguin (direction)


E. van den Heever, S. de Barbeyrac, Y. Nézet‑Séguin
(© Andrea Kremper)



Suite – après un Or du Rhin remontant à il y a exactement deux ans – de ce qui semble s’annoncer comme un projet de Tétralogie complète en versions de concert, cette Walkyrie par l’Orchestre philharmonique de Rotterdam et Yannick Nézet‑Séguin, souffre, au moins à Baden‑Baden, d’un premier handicap, celui de devoir y succéder au premier acte de cette même Walkyrie par l’Orchestre philharmonique de Berlin et Kirill Petrenko, donné en concert tout juste un mois auparavant. Une confrontation abrupte, qui ne tourne vraiment pas à l’avantage des nouveaux venus.


Certes les couleurs patinées des cordes graves et les intonations agréablement fondues des cuivres de l’Orchestre de Rotterdam ont beaucoup de charme, mais il est patent que cette fois la conception globale n’atteint jamais le degré de préméditation et de maîtrise du sujet qui nous avait tant impressionné chez Kirill Petrenko il y a quelques semaines. Les luxueux plans sonores de la phalange hollandaise se superposent sans grands égards les uns pour les autres, avec de curieux effets de barrage entre cordes et cuivres, dont les lignes semblent parfois s’annihiler mutuellement au lieu de se compléter. Et même si Yannick Nézet‑Séguin paraît manifestement prendre beaucoup de plaisir à sculpter cette perpétuelle profusion d’effets de masse, son goût pour les grands élans orchestraux prend trop souvent l’avantage sur son attention portée aux chanteurs, qui peinent à se faire entendre autrement qu’en force. Et puis, surtout, un certain déficit de ligne directrice, voire tout simplement d’expérience wagnérienne, que l’on ressentait déjà dans L’Or du Rhin, devient nettement plus gênant. On a l’impression d’un Wagner trop morcelé, passionnément voué au culte du détail, en particulier au cours d’un premier acte qui s’attarde à chaque instant, ici sur un beau galbe instrumental, là sur un joli mélange de timbres, en oubliant d’avancer. Si, à l’acte III, les Adieux de Wotan sont envoûtants, et la Musique du feu, à la texture agréablement aérée par six harpes, conclut dignement la soirée, en revanche le II alterne le bon et le moins bon, dont une Annonce de la mort manquant curieusement d’intensité.


Distribution moins homogène aussi que pour L’Or du Rhin, qui puisait encore largement dans les équipes wagnériennes chevronnées des scènes allemandes, alors qu’ici c’est bien davantage en tant que directeur musical du Metropolitan Opera que Yannick Nézet‑Séguin a recruté son casting. A l’image d’un octuor de Walkyries où le meilleur voisine avec l’étrange, voire le pire, mais qui de toute façon chante aussi fort qu’il le peut, et parvient à nous assourdir sans pitié. Quant aux six chanteurs principaux, ils paraissent inégalement armés face aux exigences de leurs rôles, seule la part féminine de la distribution semblant réellement à l’aise.


Différence notable aussi, par rapport à un Or du Rhin qui parvenait à retrouver, devant l’orchestre, une tension quasi scénique, les partitions sont de retour, certains chanteurs paraissant éprouver de réels problèmes à les quitter durablement du regard. Et même si on continue à essayer de nous raconter une histoire, en particulier grâce à des choix de costumes dont l’apparente banalité se veut cependant à chaque fois évocatrice d’un caractère particulier, les entrées et les sorties paraissent anarchiquement réglées, et puis, manifestement, certains rôles ne sont pas suffisamment bien rodés pour que l’évocation devienne crédible. On reste ébahi par l’entrée du Hunding de Soloman Howard, affolant géant musculeux, sanglé dans un costume trois pièces ajusté et porté à cru, sans chaussettes ni chemise, couleur miel sur peau noire. Mais si le creux de la voix de cette jeune basse américaine reste constamment abyssal, en revanche son idiomatisme wagnérien paraît encore largement perfectible. A un autre niveau, c’est aussi le problème du Wotan de Brian Mulligan, doté là encore d’une belle voix, aux captivants reflets de bronze, mais qui bataille avec son texte allemand au point de le réduire à d’anarchiques chocs de consonnes qui parfois n’ont plus aucun sens. Et puis, techniquement, le rôle paraît le solliciter à l’extrême de ses possibilités, avec une façon de pousser en bloc la voix dans les résonateurs qui met parfois l’instrument, voire le corps même de l’interprète, à rude épreuve. Stanislas de Barbeyrac, tout nouveau Siegmund, reste, quant à lui, beaucoup plus prudent. L’émission est soigneusement contrôlée, calée délibérément un peu en arrière pour mieux soutenir, mais malheureusement, au prix de l’intelligibilité du texte, la plupart des voyelles, trop sourdes et sombres, finissant par plus ou moins ressembler à des o. La scansion dramatique ne paraît pas non plus encore une préoccupation majeure, à l’image d’une erreur de texte commise dès la première phrase. Aucune différence de sens entre « hier muss ich rasten » et « ich muss hier rasten », en revanche, dans le second cas, l’accentuation n’a plus du tout le même poids. Mais de toute façon, la préoccupation majeure du ténor français semble surtout, à ce stade, de réussir à terminer ses deux actes sans accident. Dès lors il est évident qu’au I la stature du héros n’y est pas, en dépit d’honnêtes « Wälse! », ni rachitiques, ni bluffants, alors qu’au II, quand même, quelque chose d’émouvant et digne se passe. Donc une prise de rôle nullement déshonorante, mais beaucoup de travail encore à prévoir, et une voie wagnérienne dans laquelle il est peut‑être de toute façon un peu tôt pour s’engager.


Bien davantage de liberté et d’évidence côté dames. Elza van den Heever garde çà et là quelques fragilités dans les graves et le medium, mais sa Sieglinde n’en paraît pas moins radieuse, à la fois sensible et décidée, voire intensément émouvante, au III, dans son « O hehrstes Wunder ! ». Et encore plus de punch et de déconcertante facilité pour la Brünnhilde de Tamara Wilson, qui décoche des « Ho jo to ho » d’une précision horlogère, mais ne se contente de loin pas de ces démonstrations d’athlétisme, avec au III un investissement du texte et un approfondissement psychologique tout à fait prometteurs. Et puis, enfin, il y a Karen Cargill, somptueuse Fricka, dont l’argumentaire minutieusement affûté se laisse déguster comme un génial numéro de théâtre, qui pousse lentement mais sûrement Wotan jusqu’à l’apoplexie. Certainement le meilleur moment d’une soirée intense, mais d’un niveau inégal.



Laurent Barthel

 

 

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