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En résonance avec notre époque

Geneva
Grand Théâtre
04/11/2024 -  et 14*, 16, 18 avril 2024
Olivier Messiaen : Saint François d’Assise
Robin Adams (Saint François), Claire de Sévigné (L’Ange), Ales Briscein (Le Lépreux), Kartal Karagedik (Frère Léon), Jason Bridges (Frère Massée), Omar Mancini (Frère Elie), William Meinert (Frère Bernard), Joé Bertili (Frère Sylvestre), Anas Séguin (Frère Rufin)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Chœur Le Motet de Genève, Mark Biggins (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Jonathan Nott (direction musicale)
Adel Abdessemed (mise en scène, décors, costumes, vidéos), Jean Kalman (lumières), Simon Trottet (collaboration aux lumières), Stephan Müller (dramaturgie)


R. Adams (© Carole Parodi)


Le monumental Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen était initialement prévu à Genève pour juin 2020, mais la pandémie est passée par là. C’est donc quatre ans plus tard que l’ouvrage débarque enfin au Grand Théâtre. Il convient de saluer l’initiative d’Aviel Cahn, directeur de l’institution lyrique genevoise, de l’avoir programmé, car depuis la création au Palais Garnier en novembre 1983, les nouvelles productions de l’œuvre se comptent sur les doigts des deux mains, parmi lesquelles la mise en scène de Peter Sellars à Bastille en 1992, reprise à Salzbourg en 1998, le spectacle de la Ruhrtriennale en 2003 sous la direction de Sylvain Cambreling ou encore la production de Stanislas Nordey à l’Opéra de Paris en 2004, sans parler d’autres représentations à Amsterdam, Munich, Madrid, Montréal ou encore Bâle (première suisse). 120 musiciens, 150 choristes, neuf solistes vocaux, l’œuvre exige des effectifs énormes, ce qui explique ses très rares apparitions sur les affiches. Totalement hors norme, l’ouvrage l’est aussi par sa durée, 4 heures 15 de musique. Et que dire du travail de composition : une partition de 2 500 pages, Messiaen ayant consacré huit années de sa vie à plein temps à son unique opéra ? Mais s’agit-il vraiment d’un opéra ? Car l’œuvre est profondément atypique dans sa forme, en ce sens qu’il n’y a pas d’action, pas d’intrigue, pas de progression dramatique, l’ouvrage narrant plutôt le cheminement de Saint François d’Assise, accompagné d’un ange, vers la spiritualité. Olivier Messiaen avait d’ailleurs défini sa partition comme des « scènes franciscaines en trois actes et huit tableaux ».


Dès le départ, Aviel Cahn a eu l’idée de confier la réalisation scénique du spectacle à l’une des stars de l’art contemporain, le plasticien algérien Adel Abdessemed, connu surtout pour ses sculptures, ses installations... et ses scandales (le bronze Coup de tête exposé sur le parvis de Beaubourg en 2012 ou encore la vidéo Printemps au Musée d’art contemporain de Lyon en 2013, c’est lui !). L’artiste a avoué dans les interviews qu’il avait mis du temps avant d’accepter le défi, effrayé par l’ampleur de la tâche et passant plusieurs nuits d’insomnie. Un peu à l’image de Frère Léon au début de l’opéra, qui ne cesse de répéter « J’ai peur, j’ai peur... ». Il faut dire qu’Adel Abdessemed ne s’était encore jamais essayé à la mise en scène lyrique. Le déclic, il l’a eu en songeant que Matisse, Cocteau ou encore Picasso s’étaient, eux aussi, frottés à l’opéra. Pour son baptême lyrique, il signe également les décors, les costumes et les vidéos. Comme Olivier Messiaen a mis énormément de lui dans sa partition, Adel Abdessemed a mis beaucoup de lui dans son spectacle. Tous les thèmes qui lui sont chers, ou presque, y passent : la foi et le syncrétisme bien entendu, mais aussi la migration, l’exil, l’oppression, la nature, l’écologie, la pollution, la pauvreté, sans oublier la maltraitance animale. Pour ce faire, il convoque sur le plateau, pêle‑mêle, une étoile de David géante, le Christ sur la croix, d’immenses sculptures de bois, un énorme pigeon taché de sang ou encore une carcasse d’église ; les frères franciscains portent des costumes faits de matériaux recyclés (sacs en plastique, ampoules, matériel électronique) et poussent des caddies de supermarché ; en outre, de nombreuses vidéos montrent par exemple des robots piétinant du raisin, des oiseaux de toutes les couleurs ou encore des femmes se lavant dans un hammam. Certains détails laissent dubitatifs, comme le dromadaire volant ou les tapis d’Orient suspendus au‑dessus de la scène, mais ce ne sont là que des détails. Pas sûr que les puristes reconnaîtront leur Messiaen dans ce bric‑à‑brac, mais force est de constater qu’Adel Abdessemed a réussi avec brio à faire entrer Saint François d’Assise en résonance avec certaines des grandes préoccupations de notre époque.


A la tête d’un Orchestre de la Suisse romande en grand effectif, Jonathan Nott enchaîne les différentes scènes qui composent l’ouvrage avec fluidité et cohésion, en donnant cohérence à chacune des scènes et en faisant preuve tout à la fois de précision et de souplesse, sans jamais perdre de vue la courbe générale de l’œuvre. On saluera aussi la prestation du Chœur du Grand Théâtre, auquel s’est joint Le Motet de Genève. Le seul bémol, c’est que les musiciens sont relégués au fond du plateau et les choristes derrière les musiciens, si bien que le son qui parvient dans la salle est quelque peu étouffé, amorti de surcroît par les immenses installations qui se trouvent sur scène. Les voix sont bien mieux loties puisque les chanteurs sont devant les musiciens et n’ont donc pas à franchir le mur de l’orchestre. La distribution est emmenée par le splendide Saint François de Robin Adams, bouleversant d’humanité et confondant d’humilité, constamment en proie au doute, au style et à la diction impeccables ; la performance est d’autant plus impressionnante qu’il s’agit d’une prise de rôle. Silhouette gracieuse, timbre lumineux et délicat, aigus évanescents, l’Ange de Claire de Sévigné semble réellement venir de l’au‑delà. Les frères franciscains sont tous convaincants et parfaitement homogènes. S’il n’est pas exempt de longueurs – mais quoi de plus normal pour un spectacle de près de 5 heures et demie – ce Saint François d’Assise restera comme la production phare de la saison 2023‑2024 du Grand Théâtre de Genève.



Claudio Poloni

 

 

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