About us / Contact

The Classical Music Network

Zurich

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Une Carmen en devenir

Zurich
Opernhaus
04/07/2024 -  et 10, 12*, 14, 19, 21, 24 avril, 4, 11, 15 mai, 12, 15 juin 2024
Georges Bizet : Carmen
Marina Viotti (Carmen), Natalia Tanasii (Micaëla), Niamh O’Sullivan (Mercédès), Uliana Alexyuk (Frasquita), Saimir Pirgu (Don José), Lukasz Golinski (Escamillo), Spencer Lang (Le Remendado), Jean‑Luc Ballestra (Le Dancaïre), Aksel Daveyan*/Gregory Feldmann (Moralès), Stanislav Vorobyov (Zuniga)
Chor der Oper Zürich, Kinderchor der Oper Zürich, SoprAlti der Oper Zürich, Janko Kastelic (préparation), Philharmonia Zürich, Gianandrea Noseda (direction musicale)
Andreas Homoki (mise en scène), Arturo Gama (collaboration à la mise en scène, chorégraphie), Paul Zoller (décors), Gideon Davey (costumes), Franck Evin (lumières), Kathrin Brunner (dramaturgie)


M. Viotti (© Monika Rittershaus)


Les propositions n’ont pas manqué, pourtant elle aura attendu longtemps avant d’aborder le rôle de Carmen. Marina Viotti voulait être prête, vocalement mais aussi physiquement, affirmant dans les interviews que le personnage ne peut pas être interprété par une jeune femme de 25 ans, qui n’a encore aucune expérience de la vie. Elle souhaitait également une production dans laquelle la bohémienne n’est pas dépeinte comme une vulgaire aguicheuse ou une croqueuse d’hommes, mais une femme fondamentalement éprise de liberté. La conception d’Andreas Homoki – que les Parisiens ont pu voir en avril dernier à l’Opéra‑Comique – lui a plu, aussi a‑t‑elle accepté le défi. Sa prise de rôle s’est donc faite à la faveur d’une reprise du spectacle à l’Opernhaus de Zurich. Vocalement, Marina Viotti tient déjà le rôle, c’est indubitable. Voix de velours, timbre particulièrement chaud et corsé, homogénéité des registres, richesse des couleurs et des nuances, allant des explosions de colère jusqu’au pianissimo, attention constante portée à chaque mot, à chaque phrase et diction française impeccable, elle a déjà tout d’une grande Carmen. Une Carmen à laquelle elle prête les traits d’une femme fière et sûre d’elle, féministe avant l’heure, qui veut être totalement maîtresse de son destin. Sans une once de vulgarité ni d’effets faciles. Une conception qu’elle doit maintenant affiner et affirmer, car sur le plateau de l’Opernhaus, on la sent légèrement sur la réserve, même si elle danse à plusieurs reprises et n’hésite pas à monter sur les tables. Un paradoxe pour une chanteuse qu’on a déjà vue maintes fois comme une « bête de scène », tant à l’opéra qu’en concert. Sûrement le trac de la prise de rôle, ou alors n’aurait‑elle pas eu suffisamment de temps de répétition ? Ce qui frappe aussi, c’est le manque d’intensité des dialogues, qui semblent être récités sans grande conviction, avec une voix « normale ». La différence avec le Dancaïre – Jean‑Luc Ballestra, l’autre francophone de la distribution – est d’autant plus grande que ce dernier s’exprime avec une voix « de théâtre » extrêmement bien timbrée. Il ne reste donc plus qu’à espérer que Marina Viotti aura l’occasion d’approfondir sa conception de Carmen dans de prochaines productions de l’ouvrage de Bizet. Une grande Carmen est en devenir, assurément.


Cette production de Carmen vaut non seulement pour la prise de rôle de Marina Viotti, mais aussi pour la splendide direction musicale de Gianandrea Noseda, à la tête du Philharmonia Zürich. Le chef attaque le Prélude au galop et les musiciens le suivent comme un seul homme. Par la suite, il n’aura de cesse de varier et de contraster les tempi à souhait, et surtout de mettre en valeur les nuances et le raffinement de l’orchestration, faisant ressortir chaque détail et sonner certaines pages comme si on les entendait pour la première fois. La tension dramatique ne se relâchera jamais tout au long de la soirée. Les musiciens sont tellement sollicités qu’on entendra çà et là quelques couacs. Le Chœur de l’Opernhaus est confondant de précision et d’homogénéité, avec aussi une très bonne diction française. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de la distribution vocale, qui ne compte, on l’a dit, que deux chanteurs francophones. Dans ces conditions, on se demande pourquoi l’Opernhaus a choisi une version de Carmen avec dialogues parlés, tant ceux‑ci sont parfois pénibles à entendre ce soir. Pour un théâtre qui se targue de programmer autant d’ouvrages français – beaucoup plus que bien des opéras de l’Hexagone – on s’étonne aussi que les chanteurs n’aient pas été mieux préparés.


Saimir Pirgu incarne un Don José ardent et passionné, vocalement tout en force, assez peu nuancé, allant parfois jusqu’au cri. Après quelques stridences initiales, la Micaëla de Natalia Tanasii ne fait que monter en puissance pour finir par livrer un splendide « Je dis que rien ne m’épouvante », lumineux et émouvant. Français totalement incompréhensible, émission nasale, l’Escamillo de Lukasz Golinski n’est guère convaincant, même si le personnage ne manque pas de panache et de prestance. Les seconds rôles sont mieux distribués, avec notamment Niamh O’Sullivan en Mercédès, Uliana Alexyuk en Frasquita, Spencer Lang en Remendado et Jean‑Luc Ballestra en Dancaïre, tous excellents.


Comme cela a déjà été dit ici lors de la création de la production à l’Opéra‑Comique, Andreas Homoki a conçu un spectacle épuré et minimaliste, loin d’une Espagne de carte postale, si ce n’est le costume de lumière d’Escamillo et celui de Carmen. Un immense rideau rouge à franges occupe l’arrière du plateau, duquel sortent des bourgeois de la fin du XIXe siècle, les hommes portant des tenues de soirée avec des chapeaux hauts‑de‑forme et les femmes des robes très élégantes. On l’aura compris, nous sommes en 1875, à la Salle Favart, lors de la création de Carmen. Au fil de l’avancement de la soirée, les époques et les costumes vont changer, avec notamment des uniformes gris rappelant les années 1940 pour les contrebandiers à l’acte III et des habits de notre époque pour la foule se pressant aux arènes de l’acte IV. Mais bien plus que ce défilé de styles et d’époques, ce qui frappe dans ce spectacle, c’est que Carmen apparaît ici très clairement comme un opéra « à numéros », avec une alternance de scènes dramatiques et de passages « opéra comique » plus légers, traités façon cabaret, la différence étant à chaque fois marquée par le rideau, qui est ouvert ou fermé selon le cas. Une Carmen comme on ne l’avait encore jamais vue jusqu’ici.



Claudio Poloni

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com