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Une réussite totale

Lyon
Opéra
03/16/2024 -  et 19, 22, 24, 27, 30* mars, 3 avril 2024
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : La Dame de pique, opus 68
Dmitry Golovnin (Hermann), Pavel Yankovsky (Comte Tomsky, Zlatogor), Konstantin Shushakov (Prince Yeletsky), Sergeï Radchenko (Chekalinsky), Alexei Botnarciuc (Surin), Tigran Guiragosyan (Chaplitsky), Yannick Berne (Le maître des cérémonies), Paolo Stupenengo (Narumov), Elena Zaremba (Comtesse), Elena Guseva (Lisa), Olga Syniakova (Polina, Milovzor), Giulia Scopelliti (Masha, Prilepa)
Chœurs de l’Opéra de Lyon, Benedict Kearns (chef des chœurs), Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Nicolas Parisot (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction musicale)
Timofeï Kouliabine (mise en scène), Oleg Golovsko (décors), Oskars Paulins (lumières), Vlada Pomirkovanaya (costumes), Alexander Lobanov (vidéo), Ilya Kukharenko (dramaturgie)


(© Jean‑Louis Fernandez)


Comme chaque année au printemps, le festival d’opéras de Lyon fait dialoguer trois ouvrages sur une thématique originale, cette fois dédiée au jeu de cartes, et plus généralement sur la fascination du public pour ces coups du sort, capables de briser ou glorifier une destinée en un rien de temps. Déjà mise en avant lors du festival Pouchkine en 2008, puis 2010, La Dame de pique (1890) de Tchaïkovski fait son retour dans une nouvelle mise en scène confiée à Timofeï Kouliabine (né en 1984).


Disons-le tout net : il s’agit du spectacle le plus marquant vu depuis le début de l’année, qui donne envie de découvrir plus avant le travail de cet artiste russe, désormais installé en Europe de l’Ouest. En 2019, la critique du conflit guerrier avec l’Ukraine, présente dans son adaptation de Don Pasquale, a en effet conduit à l’annulation immédiate du spectacle donné au Bolchoï : de quoi sonner le glas de ses ambitions en Russie, qui avaient pourtant été récompensées dès 2014 par un Masque d’or (l’équivalent de nos Molières).


Proche des audaces d’un Tcherniakov, aussi bien dans la réalisation visuelle très soignée (splendides éclairages revisités tout du long avec maestria) que dans un enrichissement constant du livret, le travail de Kouliabine consiste à dédoubler l’action en deux tableaux distincts, à plusieurs moments clés de l’ouvrage : dès le début, la Comtesse est ainsi représentée sous les traits de Juna Davitashvili (1949‑2015), une guérisseuse et cartomancienne aux allures de gourou, tandis que la guerre rôde par tous les interstices. Les images d’archives situent le récit dans les années 1980, après l’invasion de l’Afghanistan. Dans ce contexte, Hermann apparaît comme un traumatisé qui ne se remet pas des atrocités de la guerre, conduisant à plusieurs scènes de groupe saisissantes, notamment en fin d’ouvrage.


Parmi les nombreuses trouvailles mises en avant, Kouliabine a la bonne idée de muscler le rôle du Prince, promis initialement à Lisa, pour lui prêter un amant : la scène des adieux entre Hermann et sa promise, ici transposée sur un quai de gare contemporain, voit le Prince quitter en parallèle son prétendant avec une pudeur touchante, notamment lorsqu’ils éludent un dernier baiser en public. Plus généralement, toutes les scènes secondaires chargées de détendre l’atmosphère du drame, souvent dévolues au chœur, trouvent ici une illustration scénique mieux intégrée à l’action, à même d’enrichir le livret écrit par Modeste Tchaïkovski, le plus proche des frères cadets du compositeur.


Tout connaisseur des péripéties initialement prévues se délecte ainsi de l’enrichissement du récit, sans que le profane ne soit pour autant gêné par une lecture au premier degré, également possible. C’est sans doute là la marque des plus grands que de parvenir à une telle synthèse, permettant de satisfaire les goûts des plus curieux, comme des autres. Face à cette mise en scène de haut vol, la direction de Daniele Rustioni se situe sur les mêmes cimes, en embrassant de sa fougue coutumière les envolées de Tchaïkovski, en des verticalités altières. L’attention à la construction des crescendos, comme à la pulsation rythmique des graves (délibérément appuyés), donne beaucoup de relief à l’orchestre, en véritable acteur du drame. Avec des chœurs toujours aussi bien préparés par Benedict Kearns, on tient là un autre atout décisif de la soirée.


Le plateau vocal n’est pas moins impressionnant de classe internationale, jusque dans le moindre second rôle. Ainsi de l’Hermann déchirant de vérité théâtrale de Dmitry Golovnin, à la voix blanche articulée au service d’une parfaite prononciation, de même qu’une très investie Elena Guseva (Lisa), qui brule les planches à force de prises de risques, tout en faisant valoir un instrument puissamment incarné, d’une belle longueur de souffle. Le chant techniquement plus parfait d’Olga Syniakova (Polina, Milovzor) n’offre malheureusement pas les mêmes possibilités du fait de son rôle moins dramatique, à l’instar de celui de la parfaite Elena Zaremba (Comtesse). Les phrasés infinis de nuances de Konstantin Shushakov donnent une hauteur de vue bienvenue à son rôle princier, tandis que Pavel Yankovsky (Comte Tomsky, Zlatogor) montre un côté plus animal dans ses rugosités ravageuses dans les graves.


Après L’Enchanteresse en 2019, l’Opéra de Lyon poursuit donc avec bonheur l’exploration du legs lyrique de Tchaïkovski, qui souffre encore d’un déficit de notoriété par rapport à ses ballets ou symphonies.



Florent Coudeyrat

 

 

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