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Quand les bis déjouent les pronostics...

Paris
Philharmonie
03/22/2024 -  
Antonín Dvorák : Concerto pour violoncelle en si mineur, opus 104 – Symphonie n° 8 en sol majeur, opus 88
Pablo Ferrández (violoncelle)
Ceská filharmonie, Semyon Bychkov (direction)


S. Bychkov (© Umberto Nicoletti)


Paris marquait la dernière étape d’une vaste tournée européenne (dix villes en dix‑neuf jours) que la vénérable Philharmonie tchèque consacrait entièrement à Antonín Dvorák (1841‑1904). Au programme étaient alternativement données trois ouvertures (Othello, Carnaval et la rarissime Dans la nature), trois concertos (pour violoncelle, pour violon et pour piano, requérant notamment la présence à plusieurs concerts de Sir András Schiff et du violoniste Augustin Hadelich) et trois symphonies (les trois dernières). Pour le premier des deux concerts parisiens, point d’ouverture malheureusement mais le Concerto pour violoncelle et la Huitième Symphonie, deux œuvres dirigées par Semyon Bychkov, directeur musical de l’Orchestre philharmonique tchèque depuis la saison 2018‑2019.


Entre le chef de 71 ans et le violoncelliste de 33 ans, c’est le mariage du feu et de la glace pourrait‑on dire ou, plus exactement, du feu et de la sagesse car Semyon Bychkov nous aura rappelé, à qui l’aurait oublié, le très grand chef qu’il est. D’emblée, il tire de l’Orchestre philharmonique tchèque de somptueuses sonorités, sans emphase excessive, les cordes reposant sur un beau soubassement de contrebasses (tenant leur archet « à l’allemande ») tandis que la petite harmonie brille autant par ses solistes (mention spéciale à la flûtiste Andrea Rysová et au clarinettiste Jan Mach) que par sa cohésion d’ensemble. Après une belle introduction orchestrale, voici l’entrée du violoncelle ; ancien étudiant de la célèbre Escuela Superior de Música Reina Sofía avant d’avoir été notamment boursier de la Fondation Anne‑Sophie Mutter, Pablo Ferrández aborde le concerto sur un registre différent de l’orchestre : on n’est plus dans la musique tchèque, on est presque dans le Don Quichotte straussien tant le soliste s’engage avec fougue (prenant même une petite avance sur le tutti avant de finalement retrouver ses marques), déployant une musicalité et une technique à toute épreuve. Après la large péroraison concluant le premier mouvement vint le clou de la soirée avec le mouvement lent, Adagio ma non troppo. Que dire si ce n’est qu’on toucha là à la perfection ? Délaissant pour l’occasion sa baguette au profit de ses seules mains, Bychkov introduisit l’orchestre dans une atmosphère véritablement chambriste (ce qui n’empêcha pas, plus tard, les cors et les contrebasses de sonner à qui mieux mieux dans des accents quasi wagnériens) au sein de laquelle le violoncelle de Ferrández se fondit dans une poésie des plus rares. Finesse du trait, aigus étincelants, sens inné des nuances : on rend les armes devant tant de beauté, l’orchestre et le soliste imposant leur jeu habité à une assistance dont l’attention était palpable. Difficile dans ces conditions de redescendre sur terre pour écouter le Finale. Allegro moderato qui, après un léger manque d’élan, conclut néanmoins de la plus belle manière ce chef‑d’œuvre du répertoire.


Ovationné par le public, Pablo Ferrández délaissa Bach, passage presque habituel pour les bis de violoncellistes, au profit d’une version pour violoncelle d’Asturias d’Albéniz : nouvelle occasion de profiter des talents du jeune soliste espagnol, que l’on espère revoir bientôt sur les scènes françaises.


On ne regrettera jamais assez, à titre personnel, que les premières symphonies de Dvorák ne soient jamais données. Qui peut se targuer d’avoir jamais entendu la Première, la Deuxième ou même la Cinquième symphonie en concert ? Ce sont en effet fréquemment les trois dernières que choisissent chefs et orchestres et cette tournée ne fit pas exception avec, ce soir, la Huitième. Comme ce fut le cas quelques jours plus tôt à Vienne, l’interprétation de Semyon Bychkov fut exemplaire. Il faut dire que la Philharmonie tchèque dans Dvorák, c’est un peu Berlin dans Beethoven, Vienne dans la famille Strauss ou les orchestres parisiens dans Debussy ou Ravel : un sens inné des couleurs, du rubato, des sonorités belles mais légèrement mélancoliques souvent, bref une musique qui tient de l’ADN plutôt que du véritable apprentissage.


Dès l’Allegro con brio, et en dépit de légères anicroches (petit problème de mise en place au tout début, une jonction flûte-piccolo qui aurait pu être meilleure), on est emporté par ces vagues de cordes (quel pupitre de violoncelles !), par ces solistes (le flûtiste Naoki Sato ou le charismatique corniste Jan Voboril) et par cette fougue générale qui ne gomme en aucune manière les mille et un détails de cette partition : les dialogues entre les deux flûtes, les duos entre les flûte et clarinette solo, les contrechants du pupitre de violoncelles... L’Adagio fut un très beau moment, empli d’une sorte de superbe nonchalance dans le jeu des musiciens, notamment des cordes, offrant en particulier un passage d’une distinction incroyable avant le grand tutti faisant suite à la première intervention du violon solo. L’Allegretto grazioso fut conduit par Bychkov dans un tempo retenu mais qui permit de déployer toute une palette de nuances dans une atmosphère globalement nostalgique : on en redemande ! Enfin, l’œuvre se termina par un Allegro ma non troppo mené à belle allure, qui offrit des éclats de cuivres triomphants auxquels répondit l’enthousiasme des spectateurs, véritablement conquis par les interprètes de cette soirée.


A l’évidence ému par les vifs applaudissements du public, Semyon Bychkov lui offrit un bis qui, contrairement à ce que l’on pouvait s’attendre, ne fut pas une Danse slave de Dvorák mais une danse hongroise de Brahms (la Première), dont le phrasé irrésistible acheva une soirée qui restera comme l’un des grands concerts de la saison parisienne.

Le site de Semyon Bychkov
Le site de Pablo Ferrández
Le site de l’Orchestre philharmonique tchèque



Sébastien Gauthier

 

 

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