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Shani à la barre

Paris
Philharmonie
01/17/2024 -  et 18 janvier 2024
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour clarinette en la majeur, K. 622
Gustav Mahler : Symphonie n° 6 en la mineur

Martin Fröst (clarinette)
Orchestre de Paris, Lahav Shani (direction)


L. Shani (© Laurent Barthel)


Grand mahlérien, Lahav Shani ? Certains en doutent peut‑être encore, arguant notamment qu’à trente‑cinq ans tout juste, on n’est pas suffisamment mûr pour faire le tour de massifs symphoniques d’un tel acabit. Mais c’est oublier l’envergure pas moins exceptionnelle de Lahav Shani, musicien dont le profil actuel dépasse de toute façon largement celui d’un simple jeune chef en devenir. Enfant prodige, contrebassiste de formation mais aussi pianiste accompli qui peut rivaliser avec les plus grands (écouter son Beethoven concertant ou encore son récent enregistrement du Trio de Tchaïkovski suffit à prendre la mesure du phénomène), et puis aussi un chef qu’on s’arrache (directeur musical en poste à Rotterdam, mais aussi à Tel Aviv, en attendant de l’être à Munich à partir de 2026)... Manifestement, dans une telle carrière tout relève de l’extraordinaire, y compris la modestie de celui qui est en train de l’accomplir.


En tout cas le jury du Concours Mahler de Bamberg, fondé en 2004 par Jonathan Nott, ne s’y était pas trompé, en décernant à Lahav Shani, en 2013, le premier prix de son concours triennal. Pour mémoire, tous les autres lauréats de ce concours ont été distingués à bon escient : le Britannique Finnegan Downie Dear en 2020, le Singapourien Kahchun Wong en 2016, le Letton Ainārs Rubikis en 2010, sans oublier, évidemment, Gustavo Dudamel, tout premier élu, en 2004. En définitive, pas un seul mauvais choix ! Et le lauréat 2023, tout frais émoulu, est un jeune Italien à peine trentenaire : Giuseppe Mengoli. A nouveau un chef à suivre ? L’Orchestre de Bamberg, qui l’a appelé tout récemment à la rescousse, suite à la chute d’Herbert Blomstedt, en décembre dernier, ne l’a apparemment pas regretté.


Mais revenons à Lahav Shani et à son défi du moment : la vertigineuse Sixième Symphonie de Mahler, qu’il a déjà abordée victorieusement en concert, notamment à Londres en 2022. Un défi, car tout ici relève de la démesure, du combat de titans. Si le chef ne tient pas fermement les rênes, la masse orchestrale déborde, par une sorte d’effet centrifuge inexorable qu’il faut à tout prix éviter. On se souvient de rien moins que Simon Rattle, victime à Baden‑Baden de ce genre de tsunami, carrément écrasé par un rouleau compresseur berlinois échappant à tout contrôle, et au contraire de Mikko Franck, canalisant à la perfection le Philharmonique de Radio France, exploit peut‑être en passe d’être réédité prochainement (à l’Auditorium de Radio France, le 16 février).


Ce soir, après quelques premières minutes d’une coordination instrumentale perfectible, on est vite rassuré : le chef a tous les bons leviers en main. Et d’ailleurs on peut se demander par quelles mystérieuses méthodes il procède, à mains nues, avec une gestique en définitive ni très variée ni particulièrement explicite, mais, qui, à l’évidence, fonctionne. Tout se met en place avec une remarquable aisance, le tempo est vif et pourtant l’orchestre respire, garde une relative aération, l’acoustique grand format de la Philharmonie préservant l’ensemble de toute saturation, même quand une relative surcharge, occasionnellement, menace. Et l’œil de revenir tout le temps à la frêle silhouette du chef, qui livre là un combat semblable à celui du héros mahlérien fictif dont la musique raconte le destin tragique.


A la différence que Lahav Shani, lui, triomphe haut la main, avec vraisemblablement pour principal atout un sens inexorable de l’avancée. C’est sans doute ce qui est le plus patent : le discours reste toujours une quête, fiévreuse, sans jamais l’ombre d’une contemplation ou d’un soupçon de pause pour faire valoir tel ou tel détail, et pourtant tout s’imbrique naturellement, chaque élément restant tangible, pondéré à sa juste valeur. Emblématique de ce refus de concéder toute importance inutile à l’anecdote : des cloches d’alpage à peine perceptibles, tout juste un friselis supplémentaire dans la couleur instrumentale. Le sublime Andante, placé, comme de juste, en troisième position (après d’incessantes polémiques, davantage de chefs semblent revenir ces dernières années à cet ordre des mouvements, beaucoup plus logique), pourrait en pâtir, mais en fait non. Là encore le discours est parfait d’élévation et de justesse, suscitant l’émotion avec une noble droiture qui laisse admiratif. L’Orchestre de Paris, quant à lui, se couvre de gloire, avec de mémorables soli et une rangée de cuivres de toute beauté. Finale torrentiel, où il devient de toute façon impossible de tout contrôler, du moins pour un chef invité disposant d’un temps de répétitions limité. La narration s’y dilue un peu, mais reste marquée par les progressions stupéfiantes jusqu’à des coups de marteau cataclysmiques, lesquels suscitent à deux reprises une agitation de volière effarouchée dans le public placé à l’arrière de l’orchestre, qui n’a pas pu voir l’effet venir, l’objet responsable du tintamarre restant probablement caché dans un angle mort. Trente minutes particulièrement denses, qui couronnent dignement un itinéraire émotionnellement chargé à bloc, jusqu’au dernier soubresaut. Alors, grand mahlérien, Lahav Shani ? Manifestement, la réponse est oui !


Et grand mozartien aussi. Ça, on le savait déjà. Et autant en tant que chef que pianiste, quand il ne fait pas les deux en même temps. Ce soir, en début de concert, Lahav Shani ne fait qu’accompagner, mais avec une musicalité et une souplesse de tous les instants, un soliste aussi passionnant que remuant, le clarinettiste suédois Martin Fröst. Visuellement, on n’est pas sûr d’apprécier particulièrement le sort réservé ici au sublime Concerto pour clarinette, qui paraît comme chahuté, bousculé par un interprète qui rebondit beaucoup sur ses pieds, en allant chercher de l’air spasmodiquement tantôt à gauche tantôt à droite, ce qui donne même parfois la fausse impression d’un discours nerveux et haché, alors qu’il suffit de fermer les yeux pour que tout redevienne plus serein. Une lecture de toute façon un peu particulière, du fait de l’instrument utilisé, qui descend inhabituellement loin dans le grave, clarinette de basset de conception moderne mais inspirée de l’instrument du clarinettiste Stadler dédicataire de ce concerto. La réorganisation de certains traits, même si elle est plus conforme à l’original, fait sursauter. Par ailleurs quelques recherches en vue de susciter çà et là l’impression d’une lecture plus libre et improvisée, paraissent davantage artificielles que convaincantes. De même quelques ornementations surajoutées peinent aussi à paraître vraiment utiles. Donc en définitive une interprétation brillante, d’une maestria indiscutable, mais un rien extérieure.



Laurent Barthel

 

 

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