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Platée entre dans la danse

Zurich
Opernhaus
12/10/2023 -  et 12, 15, 21, 26*, 30 décembre 2023, 10, 12, 14, 16 janvier 2024
Jean-Philippe Rameau : Platée
Mathias Vidal (Platée), Evan Hughes (Jupiter), Katia Ledoux (Junon), Renato Dolcini (Un satyre, Cithéron), Alasdair Kent (Thespis), Nathan Haller (Mercure), Mary Bevan (La Folie), Theo Hoffman (Momus), Anna El‑Khashem (Clarine, Thalie), Tania Lorenzo (Amour)
Chor der Oper Zürich, Janko Kastelic (préparation), Orchestra La Scintilla, Emmanuelle Haïm (direction musicale)
Jetske Mijnssen (mise en scène), Ben Baur (décors), Hannah Clark (costumes), Bernd Purkrabek (lumières), Kinsun Chan (chorégraphie), Kathrin Brunner (dramaturgie)


(© Toni Suter)


Pour les fêtes de fin d’année, l’Opernhaus de Zurich a choisi de présenter une nouvelle production de Platée de Rameau. Comédie lyrique, l’ouvrage est qualifié de « ballet bouffon » à sa création, le 31 mars 1745, au château de Versailles, à l’occasion du mariage du dauphin Louis (fils aîné de Louis XV) avec l’infante espagnole Marie‑Thérèse. Le livret est inspiré de la mythologie grecque. Platée est une nymphe repoussante qui croit que Jupiter, descendu de l’Olympe pour inspecter un marécage, est tombé follement amoureux d’elle et veut l’épouser coûte que coûte. Mais elle ignore qu’elle est la victime innocente d’une farce montée par le roi des Dieux lui‑même pour venir à bout de la jalousie de sa femme, Junon. La vanité de Platée (on pense bien sûr instantanément à la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf) va lui jouer un bien vilain tour, puisque la nymphe devient la risée à la fois des humains et des dieux. A l’époque de la création de l’œuvre, nombreux sont ceux qui ont vu dans l’intrigue entre Jupiter et Platée une allusion au mariage royal, en raison de la laideur réputée de la pauvre Marie‑Thérèse. Malgré cette insolence, Rameau est devenu peu de temps après Maître de Musique de la Chambre du Roy, signe que le souverain avait sûrement le sens de l’humour et de l’autodérision. Quoi qu’il en soit, la nouvelle production zurichoise de Platée est une réussite sur toute la ligne.


Réussite musicale tout d’abord, grâce à la présence dans la fosse (surélevée) de l’Opernhaus d’Emmanuelle Haïm. A la tête de La Scintilla, la formation sur instruments baroques de l’institution lyrique zurichoise, la chef a offert une lecture musicale de tout premier ordre, particulièrement électrisante : tendue et nerveuse, dynamique et contrastée, avec des tempi extrêmement alertes, sans aucun temps mort. Après une telle interprétation, impossible de dire que la musique baroque est ennuyeuse ! Les musiciens ont répondu comme un seul homme, avec des attaques précises et un son plein et rond, sans aucune sécheresse.


Réussite scénique aussi, grâce à la production fine, intelligente et teintée d’humour imaginée par Jetske Mijnssen. La metteur en scène néerlandaise a transposé l’action à notre époque, dans un théâtre, pendant les répétitions d’un ballet. Platée est ici le souffleur du théâtre ; homosexuel au physique ordinaire, de petite taille, il cherche désespérément à séduire tous les hommes qu’il croise sur son passage, en particulier les fringants danseurs de la compagnie, et surtout Jupiter, danseur étoile, bel homme grand et athlétique. L’humour est omniprésent tout au long du spectacle, notamment dans le traitement des nombreux quiproquos qui rendent l’ouvrage de Rameau tellement mordant et ironique. On pense par exemple à la scène du mariage, avec Jupiter et Platée célébrant leur (fausse) union debout sur un énorme gâteau. Les esprits chagrins pourront rétorquer qu’un spectacle de danse n’a pas besoin de souffleur, c’est là un détail tout à fait anecdotique dans une mise en scène particulièrement fluide et réussie au demeurant. A noter qu’en raison de la transposition dans une répétition de ballet, la plupart des chanteurs sont aussi amenés à danser, tâche dont ils s’acquittent avec les honneurs.


Réussite vocale enfin, avec une distribution homogène composée de nombreux chanteurs francophones (ce n’était pas le cas de Barkouf l’année dernière, qui s’était caractérisé par un joyeux galimatias). Spécialiste du répertoire baroque et du rôle de Platée, Mathias Vidal atteint avec une facilité déconcertante les notes aiguës de la partition et séduit par ses vocalises parfaitement ciselées. Le chanteur est présent sur scène pendant pratiquement tout le spectacle ; pour mener à bien ses tentatives de séduction, son personnage va même jusqu’à enfiler un tutu pour s’immiscer dans la troupe de ballet, où les vrais danseurs auront fort à faire pour éviter les collisions avec lui. Evan Hughes incarne un Jupiter à la voix grave bien projetée et aux indéniables qualités de danseur. Sa femme, la jalouse Junon, est incarnée par Katia Ledoux, dont le mezzo de stentor traduit bien les accès de colère qui résonnent dans tout l’auditoire. Nathan Haller est un Mercure devenu ici chef de chœur, au timbre puissant et brillant. Mary Bevan a revêtu les traits de La Folie, transformée pour l’occasion en maîtresse de ballet particulièrement sévère et exigeante, aux ornementations exquises et aux aigus lumineux. En satyre et en Cithéron, Renato Dolcini impressionne par sa voix profonde et son legato. En Thespis, Alasdair Kent séduit par la facilité de ses aigus. En Clarine et en Thalie, Anna El‑Khashem impressionne non seulement par son soprano extrêmement bien conduit mais aussi par ses réels talents de danseuse. En Amour, Tania Lorenzo Castro se révèle impayable en comédienne de cabaret, dansant avec brio devant un rideau à paillettes.



Claudio Poloni

 

 

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