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Mirage de classes

Mannheim
Alte Schildkrötfabrik
12/10/2023 -  et 14*, 16, 20, 22, 26 décembre 2023
Kurt Weill : Der Silbersee
Christopher Diffey (Severin), Mirella Hagen (Fennimore), Patrick Zielke (Olim), Niklas Mayer (Lotterieagent, Diener, Arzt), Uwe Eikötter (Baron Laur), Rita Kapfhammer (Frau von Luber), Marcel Brunner (Der dicke Landjäger), Maria Polańska (Krankenschwester), Yaara Attias/Theresa Steinbach (Erste Verkäuferin), Maria Polanska (Zweite Verkäuferin), Jordan Harding, Ilya Lapich (Burschen)
Nationaltheater-Orchester, Jürgen Goriup (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène), Anna-Sofia Kirsch (scénographie), Nicole Berry (lumières), Paula Klein (costumes), Ana Cuéllar (chorégraphie), Xavier Zuber (dramaturgie)


P. Zielke, C. Diffey, M. Hagen (© Christian Kleiner)


Monté en 2021 dans la production délirante d’Ersan Mondtag à Anvers, que l’on retrouvera en avril prochain à Nancy, Le Lac d’argent (1933) fait un retour remarqué à Mannheim, en un nouveau spectacle confié à l’imprévisible metteur en scène espagnol Calixto Bieito. D’emblée, les spectateurs sont surpris par l’accueil d’un maître de cérémonie au verbe haut en couleur, qui commente l’action tout en s’occupant de la loterie, tandis que la scénographie dévoile un podium tout en longueur, façon défilé de mode. L’Opéra de Mannheim a eu la bonne idée de choisir une ancienne petite fabrique industrielle pour accueillir ses spectacles pendant la rénovation de sa salle principale : un charme indéniable s’en détache, même si l’on peut regretter son éloignement du centre‑ville.


Bieito se saisit des lieux pour en embrasser toutes les possibilités spatiales, les comédiens-chanteurs épousant les moindres recoins de la salle pendant toute la soirée, en une énergie roborative et toujours en lien avec les moindres inflexions du récit. Si le début déçoit par l’emploi redondant et bruyant des conteneurs poubelles pour figurer l’extrême pauvreté des protagonistes, cette effervescence s’assagit ensuite pour mettre en valeur le luxe du château, incarné par un long tissu doré sur toute la longueur du podium. Tel le vers dans le fruit, c’est bien Fennimore qui initie ce changement de perspective visuelle, en dévoilant et ôtant ce voile comme un symbole de travestissement : le gagnant Olim et son protégé Severin ne semblent ainsi jamais pouvoir s’extraire de leur statut d’imposteur dans le monde cloisonné des riches. Si Bieito refuse de voir une relation aux sentiments ambigus entre les deux hommes (comme l’avait suggéré Mondtag à Anvers), il insiste davantage sur les clivages de classe entre les personnages, en montrant une vénéneuse Frau Luber, ivre de puissance et d’une cruauté inouïe au moment de sa victoire : les humiliations subies par Olim et Fennimore constituent des images fortes au III, de même que la bouleversante vision finale des mirages du lac d’argent, dont on ne dévoilera pas l’issue surprenante.


Très inspirée, cette vibrante mise en scène ne peut laisser indifférent, tout en demandant à ses interprètes un investissement physique de chaque instant. De ce point de vue, le plateau vocal réuni à Mannheim frise la perfection jusqu’au moindre second rôle, parfaitement distribué. De quoi donner aux scènes chorales une perfection technique à même de faire poindre l’émotion. Déjà acclamé en début d’année à Francfort dans un même répertoire, Patrick Zielke (Olim) confirme tout le bien que l’on pense de lui, en immense artiste qui sculpte les mots au service du sens, en une voix chaude et pénétrante. A ses côtés, Mirella Hagen s’impose tout autant en Fennimore, entre maitrise de l’articulation et timbre haut perché, sans aucune dureté. On aime aussi la sincérité déchirante de vérité dramatique de Christopher Diffey (Severin), sans parler de l’aplomb scénique engagé de Rita Kapfhammer (Frau von Luber).


Enfin, Jürgen Goriup dirige un excellent orchestre local (quels cuivres !), en des tempi modérés mais toujours en lien avec les intentions narratives. Un tapis de velours idéal de raffinement dans les parties mélancoliques, souvent chorales, bien contrasté avec les élans plus dansants et rythmiques, à l’esprit cabaret ou jazzy, qui parcourent cette lumineuse partition.



Florent Coudeyrat

 

 

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