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Mythes

Paris
Grande halle de la Villette
11/23/2023 -  et 24*, 25, 26  novembre 2023
Philip Glass : Einstein on the Beach
Alfheidur Erla Gudmundsdóttir, Emily Dilewski (sopranos), Sonja Koppelhuber, Nadja Catania (mezzo‑sopranos), Diamanda La Berge Dramm (violon)
Basler Madrigalisten, Raphael Imoos (chef de chœur), Ensemble Phoenix Basel, André de Ridder, Jürg Henneberger (direction musicale)
Suzan Boogaerdt, Tarren Johnson, Frank Willens, Tommy Cattin, Dominic Santia, Ixchel Mendoza Hernández (danse)
Susanne Kennedy (conception, mise en scène), Markus Selg (conception, scénographie, vidéo), Meret Kündig (dramaturgie), Teresa Vergho (costumes), Cornelius Hunziker (lumières), Richard Alexander (création sonore), Rodrik Biersteker (vidéo), Ixchel Mendoza Hernández (chorégraphie)


(© Ingo Hoehn)


Depuis des mois, il n’y avait plus de places disponibles pour le retour d’Einstein à la plage de Philip Glass (né en 1937) à Paris, cette fois dans la Grande halle de la Villette dans une production du Théâtre de Bâle et dans le cadre du Festival d’automne. Elles ont été prises d’assaut. C’est dire le succès de sa programmation. Le phénomène est d’autant plus remarquable que l’œuvre avait été donnée par le Collegium Vocale de Gand il y a peu, l’an dernier, et début 2014 au Théâtre du Châtelet.


Le spectacle a déjà commencé lorsque le nombreux public pénètre dans la Grande halle car de curieux personnages s’y déplacent très lentement, portant une sorte de bandeau sur le front de différentes couleurs maintenant une lampe frontale éclairant leur visage impassible mais répétant sans cesse des chiffres en anglais ou semblant les prononcer alors qu’ils sont diffusés grâce à des dispositifs entourant leur cou. En contrebas des gradins, un grand carré de moquette imprimée comportant des images d’os et de fossiles sur fond de désert sert de scène. Au milieu de ce carré, il y a deux principaux éléments : une sorte d’autel où trône un crâne de bovidé sous un portique et devant lequel une femme paraît se prosterner et de l’autre un escalier ne menant nulle part et cerclé d’arcs à la Bernar Venet. Les deux étant sur un immense plateau tournant apparaissent et disparaissent ainsi tout au long du spectacle. Le mouvement est suffisamment lent pour permettre au public de circuler partout, y compris sur la scène mobile. Il y aura d’ailleurs de plus en plus de monde sur cette scène, au milieu des chanteurs, danseurs ou acteurs comme si ces spectateurs voulaient participer au spectacle lui‑même. Peu s’attardent en revanche autour de la fosse où officient sept musiciens, dont deux à l’orgue électronique et un à la clarinette basse. Tout autour sont installés des écrans montrant le chef, très précis et d’une résistance à toute épreuve, les dirigeant et organisant les interventions des voix via une caméra placée juste devant lui. Au‑dessus sont projetés sur de larges écrans des images de liquides instables, de fumées ou de nuages ou d’arbres dont on a évidemment du mal à saisir le sens.


Tel est le cadre, entre esthétique bouddhiste, mystique aztèque, délire hippie, univers psychédélique aux couleurs criardes et BD façon Conan le Barbare, où les signes saturant l’espace et peu compréhensibles se télescopent dans une sorte de syncrétisme religieux abscons, sans morale aucune et ne menant nulle part.


L’affiche présente en gros caractères les noms de Suzanne Kennedy et de Markus Selg, respectivement metteuse en scène allemande et plasticien également allemand. Les auteurs de l’opéra, Philip Glass et Robert Wilson, figurent en petits. C’est à la fois pertinent en l’espèce et injuste.


Il est vrai en effet que la production présente une œuvre très fortement écourtée, des textes nouvellement restructurés, voire improvisés. L’opéra est ainsi ramené de cinq heures trente à trois heures trente. Mais si l’on saisit bien les chiffres et les notes do, , mi, fa, sol... répétés à satiété, il faut bien reconnaître qu’on ne prête guère attention au reste, au nouveau texte, d’autant qu’il n’y a pas de surtitrage. De toute façon, cela n’a absolument aucune importance voire aucun intérêt au vu du livret distribué et le son est assez assourdissant pour ne quasiment rien saisir dans ce maelström où les rythmes se succèdent et changent brutalement sans développement ni transition. Peu de chutes de tension nous sont en effet réservées. Quand il y en a, la ventilation de la salle, aussi puissante que constante, se charge de nous assommer définitivement.


Contrairement à la version historique, rien aussi ne fait référence à Einstein, à part des litanies de chiffres. Nulle allusion à la métaphore du train qui permettait à Einstein d’expliquer la relativité. Le violoniste qui, lors de la création de l’œuvre, rappelait par sa tignasse, sa moustache et son instrument le célèbre physicien est ici remplacé par une violoniste, Diamanda Dramm, le crâne rasé. Des déplacements, parfois avec deux chèvres, des défilés organisés, des prosternations, des transes, des bras levés au ciel vers quelque divinité, des projections d’images indéterminées ou d’un jerrican d’essence ou d’eau tournant sur lui‑même et des funérailles plus ou moins hindoues, un corps étant porté à bout de bras par plusieurs chanteurs, animent plutôt la scène dans une sorte de fatras, de happening permanent.


L’essentiel du public, nombreux, attentif et respectueux, reste assis, scotché, soit sur les sièges des gradins soit sur la scène, mais certains osent circuler silencieusement quand même comme cela était le cas en 1976 et comme cela était autorisé voire presque recommandé à l’entrée.


Mais l’œuvre, même réduite et arrangée, reste ce qu’elle est. Et le résultat est, malgré tout ce qui précède et peut irriter, plutôt convaincant. Le spectacle suscite au fond des sentiments mêlés parfaitement contradictoires. Finalement, alors que l’opéra est assez difficile à écouter au disque de bout en bout, on a droit ici à un spectacle vivant, varié, certes aussi creux que la musique, mais qui fait passer ou occulte l’insupportable. On évite par exemple le passage « Mr Bojangles », le pire, à peine moins inaudible que Drumming de Steve Reich, autre œuvre jalon du mouvement minimaliste/répétitif. Pour reprendre un bon mot de Gioacchino Rossini à propos de Richard Wagner, on pourrait en effet parfois dire : « Il y a de beaux moments mais de bien mauvais quarts d’heure ».


Sur le plan musical, les prestations, toutes sonorisées, sont de grande qualité. Les chœurs sont remarquables, capables de nuances malgré ce motorisme constant. La direction ne souffre d’aucune faille et, sans temps mort, tout se déroule parfaitement. Chacun est bien à sa place. C’est un spectacle à l’américaine, bien huilé et qui se déroule avec naturel. Le bémol concernera simplement le violon à la pureté toute relative même si le bras ne faiblit pas.


Au total, on reste face au même ovni musical qu’en 1976 ; le monument historique continue d’exaspérer, mais moins que dans la version longue, et de fasciner. Il n’a rien perdu de sa radicalité et de son caractère hypnotique. Le reformatage est clair, annoncé, et les concepteurs tirent sans doute beaucoup la couverture à eux pour un résultat inégal alors que le coup de génie revient quand même à Philip Glass et Robert Wilson, mais l’œuvre n’est pas fondamentalement dénaturée pour autant à notre sens. Il la rend simplement plus acceptable, plus digeste. On ne fuit pas en criant, comme telle spectatrice lors de la première du Boléro : « Au fou !  ». L’opéra surfe sur des mythes et la mystique orientalisante ; il demeure mythique lui‑même.



Stéphane Guy

 

 

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