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Le pouvoir mis à nu

Toulouse
Théâtre du Capitole
11/24/2023 -  et 26*, 29 novembre, 1er, 3 décembre 2023
Modeste Moussorgski : Boris Godounov
Alexander Roslavets (Boris Godounov), Victoire Bunel (Fiodor), Lila Dufy (Xenia), Svetlana Lifar (La nourrice), Marius Brenciu (Prince Vassili Chouïski), Mikhail Timoshenko (Andreï Chtchelkalov), Roberto Scandiuzzi (Pimène), Airam Hernández (Grigori), Yuri Kissin (Varlaam), Fabien Hyon (Missaïl), Sarah Laulan (L’aubergiste), Kristofer Lundin (L’Innocent), Sulkhan Jaiani (Nikititch), Barnaby Rea (Mitioukha)
Chœur et Maîtrise de l’Opéra national du Capitole, Gabriel Bourgoin (chef de chœur), Orchestre national du Capitole, Andris Poga (direction musicale)
Olivier Py (mise en scène, costumes), Pierre-André Weitz (décors), Bertrand Killy (lumières)


A. Roslavets (© Mirco Magliocca)


Présenter la version originelle de Boris Godounov (1869) est toujours une gageure, tant la première mouture âpre et intense écrite par Moussorgski résonne encore longtemps dans les esprits après chaque écoute, et ce d’autant plus que la concentration de l’auditeur bénéficie de l’action resserrée en deux heures de spectacle, comme un huis clos étouffant. La radicalité de l’ouvrage éclate par tous les pores, à la fois par l’adaptation de Pouchkine réduite à quelques grandes scènes grandioses mais souvent statiques, que la musique aux alliages de timbres et aux ruptures inattendues, d’une exceptionnelle modernité pour son époque, en lien avec les volontés du compositeur de rompre avec toute influence, surtout germanique et italienne.


Ancien assistant de Paavo Järvi à l’Orchestre de Paris (voir notamment en 2017), le Letton Andris Poga (né en 1980) se saisit des couleurs du drame avec un geste ample, qui privilégie la mise en place, sans aucun effet appuyé. Cette lecture probe mais parfois extérieure met en valeur les pupitres homogènes de l’Orchestre national du Capitole, d’une perfection technique magnifiée par le confort acoustique de la salle du Capitole. Si les chœurs souffrent dans leurs premières interventions épiques, surtout côté féminin, ils se rattrapent par la suite à force de cohésion et de maîtrise, bien aidés en cela par le soutien toujours précis de Poga.


Comme souvent à Toulouse, le plateau vocal réuni frise la perfection, ce qui est d’autant plus notable que Matthias Goerne, initialement prévu pour le rôle‑titre, a dû renoncer à sa participation. Le baryton allemand reste toutefois annoncé pour la reprise de la production prévue du 28 février au 7 mars prochains au Théâtre des Champs‑Elysées à Paris, tout en étant accompagné cette fois de l’Orchestre national de France, toujours sous la direction d’Andris Poga.


A Toulouse, Alexander Roslavets endosse le rôle de Boris avec une aisance superlative sur toute la tessiture, autour d’une composition hallucinée et pénétrante, tandis que son rival Airam Hernández (Grigori) montre davantage d’emphase et de lyrisme. A leurs côtés, le très applaudi Roberto Scandiuzzi (Pimène) fait valoir la grande classe de ses phrasés, même si l’aigu montre parfois quelques imprécisions. La jeunesse vocale est à trouver dans le chant d’une profondeur voluptueuse de Mikhail Timoshenko (Andreï Chtchelkalov), un baryton à suivre de très près, que les Toulousains ont eu la chance d’entendre en récital le 9 novembre dernier. Tous les autres rôles se distinguent avec précision et justesse, de la rayonnante Victoire Bunel (Fiodor) au désopilant Fabien Hyon (Missaïl), dans son court rôle.


D’un abord déroutant, la mise en scène d’Olivier Py prend toute sa saveur au fur et à mesure que le spectacle se déploie, faisant valoir l’audace du mélange des temporalités entre les temps anciens perturbés de Boris Godounov, jusqu’au totalitarisme soviétique et à la dictature actuelle de Vladimir Poutine. Cette réflexion sur la légitimité du pouvoir, quel qu’il soit, s’accompagne d’une déconstruction des postures et faux‑semblants attachés à toute fonction de prestige : une mise à distance critique essentielle pour éviter les pièges de la légitimation et rappeler qu’aucun homme n’est prédestiné, en soi, au rôle que la société consent à lui faire jouer. Comme à son habitude, la scénographie de Pierre‑André Weitz épouse cette vision avec un à‑propos d’une justesse millimétrée, renouvelant sans cesse le décor pour figurer de petites saynètes variées : on ne sait qu’admirer le plus, entre les images du chœur placé en hauteur comme un tableau parsemé d’icônes, et les clins d’œil poético-horrifiques (lorsqu’un militaire fait danser une ballerine dans un champ de ruines) ou historiques (le bureau glacial de Poutine revisité par un immense lustre). Un spectacle à ne pas manquer, à voir jusqu’au 3 décembre à Toulouse, avant la reprise parisienne l’an prochain.



Florent Coudeyrat

 

 

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