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Un ratage presque total

Prague
Národní divadlo
09/02/2023 -  et 28 septembre, 28* octobre, 18 novembre 2023, 1er janvier 2024
Bedrich Smetana : Libuse
Dana Buresová*/Mária Porubcinová (Libuse), Svatopluk Sem*/Adam Plachetka/Jirí Brückler (Premysl ze Stadic), Frantisek Zahradnícek/Martin Bárta* (Chrudos od Otavy), Jirí Brückler*/Ales Jenis (Radovan od Kamena Mosta), Alzbìta Polácková/Tamara Morozová* (Krasava), Eva Esterková (Moissonneurs), Jaroslav Brezina*/Ales Briscein (St’áhlav na Radbuze), Pavel Svingr (Lutobor z Dobroslavského Chlumce), Katerina Jalovcová*/Jana Sýkorová (Radmila)
Sbor Národního divadla, Kühnùv smísený sbor, Charles University Choir, Pavel Vanìk (chef des chœurs), Orchestr Národního divadla, Robert Jindra (direction musicale)
Jan Burian (mise en scène), Daniel Dvorák (scénographie, lumières), Katerina Stefková (costumes), Petr Zuska (chorégraphie), Ondrej Hucín (dramaturgie)


(© Hana Smejkalová)


Si l’aura internationale de Dvorák et dans une moindre mesure de Janácek et Martinù, fait la fierté de chaque Tchèque, la place occupée par Smetana reste celle du cœur, tant le compositeur a porté l’étendard d’une nation longtemps restée dans l’ombre des peuples germaniques, aussi bien politiquement que culturellement. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de rappeler que Smetana se disait lui-même moins à l’aise pour parler le tchèque par rapport à l’allemand, cette dernière langue étant alors celle des milieux intellectuels supérieurs, à l’instar de tous les pays de l’empire Austro-Hongrois. Pour autant, Smetana va peu à peu se laisser convaincre de la nécessité de composer dans la langue du peuple, et ce dès ses premiers ouvrages, tout en privilégiant des sujets glorifiant les légendes locales : d’abord Les Brandebourgeois en Bohème en 1866 et surtout, deux ans plus tard, Dalibor (voir notamment la récente reprise de la production de Martin Otava à Ostrava).


Donné chaque année le jour de la fête nationale (28 octobre) qui célèbre la création de la Tchécoslovaquie en 1918, Libuse (1881) va plus loin encore dans l’exaltation des racines tchèques, en célébrant la figure fondatrice de Prague (elle‑même surnommée la « mère de toutes les villes »). Devenu trésor national, cet ouvrage que Smetana considérait comme son chef‑d’œuvre a pourtant bien du mal à être donné en dehors de son pays d’origine, du fait d’un livret trop étiré, à l’action minimaliste et aux nombreux personnages sans consistance dramatique. Souvent qualifié d’oratorio déguisé, Libuse sait récompenser l’auditeur attentif à ses riches beautés orchestrales, qui lorgnent du côté de Wagner, tout en incorporant des pages déchirantes (dévolues à Krassava) ou des coloris folkloriques savoureux (avec Premysl, notamment).


Assister à une représentation de Libuse, qui plus est au Théâtre national où l’ouvrage a été créé, reste un privilège rare. Il est toutefois dommage que la production imaginée par Jan Burian, directeur de l’Opéra de Prague depuis 2013, adopte des partis pris d’un classicisme trop prudent au niveau visuel, notamment des costumes pâles et peu différenciés entre les personnages. L’utilisation minimaliste de la vidéo, laissant entrevoir des images marines en arrière‑scène (en début et fin d’opéra, lors des incantations de Libuse), reste uniformément illustrative, sans aucun apport dramatique. De même, l’ajout d’un tapis roulant sur lequel arrivent les chanteurs interroge, pour des raisons identiques, tout en renforçant le statisme par ses poses hiératiques. Mais la plus grande maladresse revient au « ballet des paysans », qui frise l’amateurisme par ses poses ridicules et ridicules. En bref, un spectacle globalement raté, dont seul le tableau final trouve enfin une idée audacieuse (que nous ne divulgâcherons pas) : trop peu, malheureusement, pour sauver l’impression d’ensemble.


Le Chœur du Théâtre national se distingue comme seul rayon soleil de la soirée, autant par sa cohésion que son engagement de tous les instants. C’est insuffisant, hélas, pour faire oublier un plateau vocal des plus moyens, dominé par une Tamara Morozová (Krasava), très touchante, à la technique vocale sans faille. On aime aussi la prestance très en voix de Martin Bárta (Chrudos od Otavy), malgré quelques détimbrages, tandis que Svatopluk Sem (Premysl) fait valoir son timbre superbe, à même de faire oublier quelques décalages avec la fosse. Dana Buresová impose quant à elle une Libuse aux accents tranchants, sans parvenir à provoquer le frisson attendu, tout en étant bien épaulée par les phrasés bien articulés de Katerina Jalovcová (Radmila) et la noblesse de ligne de Pavel Svingr (Lutobor). Peu aidé par une technique chaotique, Jaroslav Brezina (St’áhlav) est l’élément le plus faible de la distribution.


La direction du pourtant expérimenté Robert Jindra souffle le chaud et le froid tout au long de la soirée, sonnant trop virile dans les tutti (notamment la tonitruante ouverture), tout en imprimant un élan narratif heureusement plus nuancé dans les passages lyriques et apaisés.



Florent Coudeyrat

 

 

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