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Chair de poule

Salzburg
Grosses Festspielhaus
07/29/2023 -  
Giuseppe Verdi : Macbeth
Vladislav Sulimsky (Macbeth), Tareq Nazmi (Banquo), Asmik Grigorian (Lady Macbeth), Jonathan Tetelman (Macduff), Evan Leroy Johnson (Malcolm), Caterina Piva (La dame de Lady Macbeth), Alexey Kulagin (Le médecin), Grisha Martirosyan (Un domestique)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Jörn Hinnerk Andresen (chef de chœur), Angelika Prokopp Sommer Akademie der Wiener Philharmoniker, Wiener Philharmoniker, Philippe Jordan (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczęsniak (décors, costumes), Felice Ross (lumières), Denis Guéguin, Kamil Polak (vidéo), Claude Bardouil (chorégraphie), Christian Longchamp (dramaturgie)


(© Salzburger Festspiele/Bernd Uhlig)


Krzysztof Warlikowski, mais aussi Malgorzata Szczęsniak, Felice Ross, Denis Guéguin, Claude Bardouil... autant de noms qu’il faudrait systématiquement citer, ensemble, quand on rend compte d’une mise en scène de Krzysztof Warlikowski, puisqu’il s’agit à chaque fois d’une œuvre d’atelier, élaborée par une équipe bien soudée, et non d’un travail uniquement personnel. D’où un relatif effet de rémanence – on n’est jamais complètement dépaysé dans ces productions, sans aller, et de loin, jusqu’à affirmer qu’elles se ressemblent toutes –, mais aussi, à chaque fois, des surprises, du fait de ce brainstorming continuellement fertile.


C’est aussi la raison pour laquelle les mises en scène estampillées Warlikowski ne descendent jamais en dessous d’un certain niveau, même quand le grand souffle n’y est pas. Des productions parfois moyennes, comme par exemple le Staatsoper de Munich en a obtenu beaucoup : des Stigmatisés, Tristan, Salome et Didon et Enée/Erwartung, qui n’ont jamais pu retrouver, sur la scène du Nationaltheater, le niveau de la géniale Femme sans ombre de 2013. En revanche, Salzbourg reste pour l’instant gagnant à tous les coups. Dans le cadre exceptionnel du Felsenreitschule, autant Les Bassarides de Henze que l’Elektra de Strauss ont été mémorables. Et à présent ce Macbeth de Verdi, inquiétant, proliférant, d’une véritable démesure shakespearienne, jusqu’à ses embardées d’un mauvais goût assumé, devrait lui aussi laisser de notables traces.


Pourtant, cette fois‑ci, on se trouve au Grosses Festspielhaus, une scène d’une largeur un peu moins démesurée. Mais l’endroit reste hors normes, et Malgorzata Szczęsniak y reconstitue le même type d’espace parallélépipédique géant qu’au Felsenreitschule, avec beaucoup de parois nues et d’angles droits. Y circulent à volonté des volumes mobiles plus petits, et qui ne peuvent passer que par une seule issue , côté jardin, les chœurs arrivant sur scène, dans la plupart des cas, déjà assis sur ces plateaux coulissants. Au centre un banc de bois, analogue à ce que l’on pourrait trouver dans une station de métro, mais d’une largeur démesurée, avance et recule à vue. A l’arrière‑plan, en hauteur, un curieux passage vitré, où on ne peut apercevoir que le bas du corps des personnages qui l’empruntent. Et bien sûr beaucoup d’espaces muraux stratégiques laissés libres pour des projections vidéo. Ce lieu de tragédie abstrait mais fonctionnel, est relativement beau (chez Malgorzata Szczęsniak le choix des couleurs et des matériaux est toujours extrêmement prémédité), et de surcroît il est acoustiquement favorable, au point que, par rapport au Falstaff étouffé de la veille, on a vraiment l’impression d’être assis dans une autre salle !



(© Salzburger Festspiele/Bernd Uhlig)


Dramaturgiquement, le concept garde quelques traces de la première production de Macbeth signée par la même équipe, à Bruxelles, en 2010, mais paraît notablement dilaté, voire dispersé, pour rester compatible avec un espace de jeu beaucoup plus conséquent. Une affaire compliquée de traumatisme psychologique (les deux membres du couple Macbeth paraissent très atteints, pour des raisons vraisemblablement différentes), et qui tourne beaucoup autour de l’enfance. Des enfants qu’on ne peut pas avoir, Lady Macbeth subissant au début un examen gynécologique, pendant lequel son visage grimaçant de déplaisir est filmé en gros plan (là, vraiment, une faute de goût !), consultation médicale dont le diagnostic final paraît sans appel. Mais aussi les enfants des autres, qu’on massacre pour rester au pouvoir, voire ceux que leurs propres parents tuent pour leur éviter de tomber aux mains de l’ennemi. Tout cela indiscutablement shakespearien, mais très obstiné dans la formulation, au point de pouvoir agacer.


Personnellement on reste cependant sensible à de nombreuses images passionnantes, coups de poing dramatiques dont Warlikowski garde le secret. Ces sorcières groupées autour de petites tables, comme un banquet de dames patronnesses, secte à la fois bourgeoise et diffusément inquiétante, ces rites vaudous où on se sert des même aiguilles pour jeter des sorts que pour tricoter un instant auparavant, ce finale de l’acte I aussi, où tout s’enchaîne comme si on accélérait dérisoirement le cours du temps : l’assassinat de Ducan, ses obsèques en grande pompe funéraire (alors que le roi n’est même pas mort depuis dix minutes !), puis enfin, en montage cut, le couronnement de Macbeth. Ou encore, pendant les scènes d’apparition, ces nombreux enfants masqués aux gestes puissamment évocateurs, voire ce poupon servi par surprise au banquet du III, apparition hallucinante, couchée sur un plat, au milieu de sa garniture de pommes vapeur et brocolis. Les vidéos du banquet aussi, physionomies outrancières filmées en gros plan, comme au cinéma muet. Et de toute façon, après une première partie qui se cherche, la production monte en puissance, jusqu’à une scène de somnambulisme de Lady Macbeth vraiment immersive, et un finale de l’acte IV bien conduit, où, contrairement à ce qui se passe souvent, surtout quand on opte pour un mélange, forcément plus long, des deux versions de l’ouvrage, la tension ne retombe jamais. Les images d’un couple Macbeth agonisant, hagard, et pourtant d’une résistance fusionnelle qui le rend ouvertement indestructible, sont extraordinaires.


Surtout quand ce sont Asmik Grigorian et Vladislav Sulimsky qui sont assis là. Deux bêtes de scène, qui à ce moment n’ont plus rien à chanter, mais dont le magnétisme s’impose à tel point qu’on continue à ne les scruter qu’eux seuls. Vladislav Sulimsky incarne un Macbeth d’une complexité digne du rôle, le metteur en scène n’ayant qu’à lui laisser libre cours dans ses attitudes, sans trop lui en imposer, y compris même quand le Roi d’Ecosse se retrouve perclus dans une chaise roulante. Et vocalement le matériau est beau, digne d’un bon baryton Verdi, bien qu’un peu de souplesse lui fasse toujours défaut. Aucune réserve en revanche pour Asmik Grigorian, fascinante Lady Macbeth : projection percutante, maîtrise du souffle, homogénéité sur toute la tessiture, aigus dardés mais aussi nuancés, jusque dans une scène de somnambulisme idéalement incarnée. Que manque‑t‑il ? Juste ce que Verdi désirait pour le rôle : une voix laide, gutturale, anguleuse... Ici tout reste invariablement beau, mais compatible aussi avec une mise en scène où le personnage n’est peut‑être pas, du moins au début, fondamentalement mauvais, ne le devenant que progressivement.


Mieux qu’un comparse : le Macduff du ténor chilien Jonathan Tetelmann, une étoile montante que l’on surveille maintenant depuis quelques années et qui confirme tous nos espoirs. Son physique de séducteur latin est idéalement photogénique, mais il a beaucoup plus que cela à proposer : un timbre cuivré et typé, une technique bien rodée qui lui permet de soutenir les lignes avec un vrai naturel, un souffle inépuisable... Une assurance décomplexée qui fait souvent penser au jeune Domingo ! « Ah, la paterna mano » fait jubiler la salle, et à juste raison. Et, dernier élément déterminant, la basse Tareq Nazmi, que l’on a vu monter progressivement tous les échelons dans la troupe munichoise et donc le Banquo atteste maintenant d’une véritable maturité, avec des phrasés de violoncelle, à la corde, de toute beauté.


Maturité évidente aussi, maintenant, pour Philippe Jordan, qui ose toutes les tensions, les couleurs, les éclats, d’une partition qui appelle à chaque mesure ces éléments d’une intensité très picturale, à la tête de Wiener Philharmoniker continuellement au rendez‑vous pour les lui offrir. De même que le somptueux Chœur de l’Opéra de Vienne, dont le « Patria oppressa », avec les choristes rangés de chaque côté du parterre, nous enserre quasi physiquement, jusqu’à nous donner la chair de poule.



Laurent Barthel

 

 

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