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L’audace a payé Verbier
Salle des Combins
07/27/2023 -
Alban Berg : Wozzeck, opus 7
Bo Skovhus (Wozzeck), Camilla Nylund (Marie), Adèle Charvet (Margret), Christopher Ventris (Tambourmajor), Gerhard Siegel (Hauptmann), Sam Furness (Andres), Albert Dohmen (Doktor), Christopher Willoughby (Der Narr), Matthieu Toulouse, Felix Gygli (Handwerksburschen)
Oberwalliser Vokalensemble, Hansruedi Kämpfen, Cyrille Nanchen (préparation), Verbier Festival Orchestra, Lahav Shani (direction musicale)
Tim Carroll (mise en espace), Aline Foriel‑Destezet (conception vidéo), Roger Krütli (scénographie visuelle), K‑WER‑K (art vidéo)
B. Skovhus, C. Nylund (© Nicolas Brodard)
Pour sa désormais traditionnelle représentation d’opéra en version semi-scénique, le Festival de Verbier n’a pas choisi la facilité cette année, en programmant Wozzeck d’Alban Berg. L’ouvrage n’est pas à proprement parler un « tube » du répertoire lyrique, et d’ailleurs la salle des Combins était loin d’être remplie. Et surtout, la partition n’est pas des plus aisées, notamment pour de jeunes musiciens peu expérimentés, lesquels constituent le noyau du Verbier Festival Orchestra. Mais l’audace de Martin Engstroem, fondateur et responsable de la manifestation, a payé, et ce Wozzeck restera, à n’en pas douter, comme l’une des plus éclatantes réussites non seulement de cette édition du trentième anniversaire mais aussi de toute l’histoire du festival.
Le succès tient tout d’abord à une distribution de très haut niveau et parfaitement homogène. Matthias Goerne ayant déclaré forfait pour des raisons médicales trois jours avant la représentation, il a été remplacé au pied levé par Bo Skovhus. Même s’il a un peu perdu de sa puissance sonore et de son lustre vocal et que ses graves se sont émoussés avec le temps, le baryton danois a incarné un Wozzeck étonnant, parce que viril et combatif, violent dans sa révolte, loin du personnage totalement résigné qu’on associe généralement au rôle, mais malgré tout sombre et glaçant, le visage constamment fermé et les yeux hagards, se rendant compte progressivement qu’il ne pourra rien changer à l’ordre des choses. Avec sa voix majestueuse et bien timbrée ainsi que ses aigus percutants, Camilla Nylund a utilisé ses ressources vocales impressionnantes pour faire de Marie un personnage tout d’abord pugnace lui aussi, mais non moins émouvant dans ses peurs et ses blessures puis dans sa lente résignation vers la fatalité. Le Capitaine de Gerhard Siegel a marqué par ses rires sarcastiques et ses cris railleurs et percutants. Autoritaire et très sûr de lui, cynique à souhait, le Docteur d’Albert Dohmen a fait preuve d’une indéniable présence scénique, avec des accents sonores et sadiques. On mentionnera également le Tambour‑Major vantard et plastronnant de Christopher Ventris, l’Andres touchant de Sam Furness ainsi que la Margret énergique d’Adèle Charvet.
L’Orchestre du Festival de Verbier n’a disposé que de trois jours de répétitions, une gageure pour un ouvrage réputé aussi compliqué. Et pourtant, les jeunes musiciens s’en sont tirés avec les honneurs, sous la direction inspirée de Lahav Shani. Le chef a offert une lecture analytique et transparente, faisant entendre toute la complexité de la partition de Berg. Il a parfaitement su en préserver l’unité, sans jamais en émousser les contrastes et le tranchant, créant un climat lourd et angoissant, souvent violent, parfois au détriment du lyrisme et de la poésie ainsi que des chanteurs, qu’il a eu çà et là tendance à couvrir. L’habile mise en espace de Tim Carroll a permis de régler les entrées et les sorties des interprètes sur le devant de la scène. La représentation était en outre rehaussée par des projections vidéo expressionnistes, dont les couleurs faisaient explicitement référence à Van Gogh ; ces images ont réussi à instaurer une ambiance pesante et mystérieuse. Elles étaient animées par les différents personnages du drame, avec notamment un Wozzeck ayant des allures de pantin désarticulé aux gestes mécaniques, dont les fils semblaient tirés par le destin.
Claudio Poloni
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