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L’Itinéraire fête ses 50 ans La Grave
Eglise Notre-Dame de l’Assomption
07/20/2023 -
Hugues Dufourt : The Watery Star
Roger Tessier : Comme un écho de mémoire enfouie
Tristan Murail : Cloches d’adieu, et un sourire... In memoriam Olivier Messiaen
Michaël Levinas : Trio avec piano (création)
Gérard Grisey : Périodes
L’Itinéraire, Mathieu Romano (direction)
(au centre) T. Murail, M. Levinas, H. Dufourt (© Bruno Moussier)
Fêter les cinquante ans de l’Ensemble Itinéraire revient à tracer « l’itinéraire » d’un courant : le spectralisme – le terme a été forgé par Hugues Dufourt. Son influence outrepasse grandement ses limites avouées et l’on peut dire qu’il a gagné en imprégnation diffuse ce qu’il a perdu en cohésion apparente. Demandez aux jeunes compositeurs les figures qui comptent le plus pour eux dans la musique « contemporaine » et le nom de Gérard Grisey ne tardera pas à fuser. Le programme conçu par Bruno Messina, directeur du festival, varie œuvre phare et œuvre de circonstance, œuvre ancienne et création, de 1974 à aujourd’hui.
Le concert se referme avec l’emblématique Périodes (1974), c’est‑à‑dire là où l’histoire a commencé. Gérard Grisey (1946‑1998) y dilate le temps et l’espace. L’auditeur est invité à pénétrer à l’intérieur du son par le biais d’une palette sonore enrichie et une expérience temporelle singulière en ce qu’elle s’apparente, selon ses dires, à la respiration humaine : inspiration (tension), expiration (détente) et repos (seuil d’attente dans le cycle périodique). Sept musiciens auscultent cette matière âpre et rugueuse (trombone bouché, contrebasse), encouragés par le geste appuyé de Mathieu Romano.
The Watery Star (1993) est une œuvre mélancolique, faite de dénouement. Hugues Dufourt a certes toujours besoin d’une certaine durée pour laisser à sa musique le temps de respirer et de s’éployer en toute plénitude, mais la légèreté s’invité ici aux détours d’échappées elfiques, comme si l’esprit disruptif d’un scherzo s’invitait parmi les ruminations d’un adagio. De même qu’on salue chez un grand styliste des bonheurs d’expression, il y a chez Dufourt des bonheurs de textures, de sonorités : autant d’instants faustiens qu’on aimerait pouvoir arrêter. On n’en prendra pour exemple que son usage si délicat du vibraphone en un grelot satiné.
Roger Tessier (né en 1939) est à l’Itinéraire ce que Louis Durey était au Groupe des Six : la figure oubliée. Comme un écho de mémoire enfouie (2019) est une pièce émouvante, à la fois tombeau pour Gérard Grisey (la partition s’appuie sur le mi initial de Périodes) et clin d’œil à Claude de France, la flûte et la harpe engageant un colloque où passe le souvenir de la Sonate pour flûte, alto et harpe. Julie Brunet‑Jailly (flûte) et Elisabetta Giorgi (harpe) font merveille dans cette musique étincelante et filigranée. Le trio à cordes (violon, alto, violoncelle), lui, reste cantonné au second plan. La courte pièce « sans prétention » de Tristan Murail (né en 1947), Cloches d’adieu, et un sourire..., se veut quant à elle un hommage explicite à Olivier Messiaen dont elle cite fugitivement le Prélude pour piano « Cloches d’angoisse et larmes d’adieu ». L’harmonie postdebussyste et l’écriture procédant par étagement des sonorités sont des plus explicites. Il n’est pas jusqu’aux « grappes d’accords » et aux « tonalités souriantes » qui ne renvoient directement à l’art de son maître ; aussi « l’hommage » vire‑t‑il facilement au pastiche... fort bien joué au demeurant par David Chevalier.
L’idée thématique des « lettres enlacées » (« un canon micro‑intervallique en doubles cordes au violon et au violoncelle ») préside au Trio « Les Chemins égarés II », commande du Festival Messiaen au Pays de la Meije. Il est constitué de deux mouvements : « Les Voies intérieures » et « Les Chemins égarés ». S’y fait jour le « feedback levinassien » (Michèle Tosi), ce phénomène sonore répété liant le mélodique et l’harmonique, ici baigné dans les résonances du piano dont l’usage méticuleux de demi‑pédales permet de savoureux glissements. Les superpositions d’échelles empruntent des chemins qui bifurquent, comme si le compositeur lui‑même cherchait à s’y perdre à mesure que la forme s’écrit. On notera le son riche en harmoniques impures du violoncelle, à la fois granuleux et démultiplié : tel un prestidigitateur gardant secret ses tours de passe‑passe, Michael Levinas prend garde de divulguer dans les notes de programme l’usage qu’il fait de la sourdine « Scelsi » (je remercie ma consœur Anne Ibos‑Augé pour cette précieuse information). Plus que rompus à cette esthétique, les musiciens en exhaussent les sortilèges sous l’œil bienveillant du maître et président d’honneur de l’Ensemble.
Jérémie Bigorie
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