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A la recherche du nez perdu

Bruxelles
La Monnaie
06/20/2023 -  et 21, 23, 25, 27, 29, 30 juin, 2 juillet 2023
Dimitri Chostakovitch : Le Nez, opus 15
Scott Hendrickx (Platon Kouzmitch Kovaliov), Nicky Spence (Le nez), Alexander Roslavets (Ivan Yakovlevitch, Employé du journal, Docteur, Policier), Giselle Allen (Praskovia Ossipovna, Dame respectable, Mère), Anton Rositskiy (Ivan, Domestique de Kovaliov, Assistant du chef de la police, Vieil homme, Colonel), Alexander Kravets (Inspecteur de police, Eunuque), Natascha Petrinsky (Pelagie Grigoievna Podtochina, Comtesse), Eir Inderhaug (Fille de Podtochina, Vendeuse de bretzels), Lucas Cortoos (Ivan Ivanovic, Chauffeur de taxi, Spéculateur), Kris Belligh (Budochnik, Laquais, Père), Yves Saelens (Yarizhkin, Piotr Fiodorovitch, Eunuque), Maxime Melnik, Leander Carlier, Byoungjin Lee, Andrzej Janulek, Bernard Giovani, Joris Stroobants, Arman Isleker, Bartosz Szulc, Pascal Macou, Kurt Gysen, Alain-Pierre Wingelinckx, René Laryea, John Manning, Hwanjoo Chung, Taeksung Kwon, Geoffrey Degives, Luis Aguilar, Bruno Floriduz, Carlos Martinez, Tiemin Wang, Juan Tello Soto, Tristan Faes, Anton Kouzemin, Beata Morawska, Alessia Thais Berardi, Annelies Kerstens, Manon Poskin, Marioara Pop Rousselet, Hélène Faux (différents rôles)
Chœurs de la Monnaie, Jori Klomp (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Gergely Madaras (direction)
Alex Ollé (mise en scène), Alfons Flores (décors), Lluc Castells (costumes), Urs Schönebaum (lumières)


(© Bernd Uhlig)


Quelle musique ! La Monnaie achève sa saison avec Le Nez (1930), le premier opéra de Chostakovitch, dans une mise en scène d’Alex Ollé, créée au Théâtre royal danois, à Copenhague, l’année dernière. Cette production témoigne de la puissance musicale et dramatique de cette œuvre de jeunesse d’une stupéfiante modernité, d’une incroyable audace, d’une étonnante maturité.


Qui dit Alex Ollé, dit Fura dels Baus, et qui dit Fura dels Baus, dit effets visuels. Ce spectacle ne dément pas cet axiome. La composante principale de la scénographie consiste en une gigantesque et fine sculpture qui évoque le brouillard, jolie métaphore du flou onirique, voire cauchemardesque, dans lequel baigne cette absurde succession d’actions consécutives à la perte d’un nez, symbole de déchéance sociale, ce dernier prenant son indépendance pour gravir les échelons. Le metteur en scène, qui développe de pertinentes intentions, met à juste titre l’accent sur la satire sociale, et même politique, Kovaliov représentant, dans cette production, un homme politique. Il livre ainsi de ce livret inspiré de Gogol une lecture assez juste, et même si la férocité du propos aurait pu s’exprimer davantage, cette mise en scène témoigne, une fois de plus, d’un métier plus que respectable. C’est évidemment Lluc Castells, l’incontournable partenaire de la Fura dels Baus, qui a conçu les nombreux costumes. Et c’est aussi, sans surprise non plus, l’excellent Urs Schönebaum qui a imaginé les splendides jeux de lumières.


Cette mise en scène, qui file droit et à toute vitesse, exploite plutôt à fond le potentiel du Nez et souligne avec juste ce qu’il faut d’impertinence la singularité du propos. La voir une fois seule fois ne suffit pas pour y observer tout ce qu’il s’y passe et à l’apprécier dans ses différentes dimensions, raison pour laquelle il serait opportun de la reprendre dans quelques années, à moins que la prochaine directrice, Christina Scheppelmann, qui succédera à Peter de Caluwe à partir de juillet 2025, décide de développer des orientations artistiques radicalement différentes.


Pour cet opéra déroutant, la Monnaie a réuni une distribution solide et impliquée, avec des chanteurs qui apparaissent fréquemment à l’affiche de ses productions, comme Scott Hendrickx, Alexander Kravets, Natascha Petrinsky ou encore Yves Saelens. La plupart, sinon quasiment tous, se chargent de plusieurs personnages, deux, voire plus. Chacun se montre crédible et au point dans son rôle, aussi petit et furtif soit‑il. Les choristes, eux si souvent fondus dans la masse, délivrent de belles prestations et prouvent brillement leur aptitude scénique. Dans cette volumineuse masse d’interprètes, les interactions sont réglées avec une réjouissante précision, et la première représentation paraît réellement réussie, résultat d’un temps de préparation et de répétition suffisamment long. C’est qu’Alex Ollé a peaufiné la direction d’acteur, réglé avec minutie les mouvements, dynamisé sans essoufflement l’action, autant de qualités indispensables pour cette œuvre virevoltante dans laquelle les interprètes disposent de peu de temps pour convaincre dans leur rôle. Esprit de troupe oblige, personne ne se démarque vraiment, même si le Nez, admirablement tenu par Nicky Spence, attire forcément un peu plus l’attention.


Gergely Madaras, l’actuel directeur musical de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, effectue d’excellents débuts dans la fosse de la Monnaie, ce chef bénéficiant d’une certaine expérience à l’opéra, un genre qui semble bien lui convenir également. Il obtient le maximum, en tout cas un impeccable niveau de jeu, d’un orchestre net et vif, fin, quand il le faut, et incisif, la plupart du temps. La prestation, sans temps mort, et sans pause non plus, révèle tout le savoir‑faire des percussions, qui s’en donnent à cœur joie dans le fameux interlude, tour de force inouï, et assez original pour l’époque, durant lequel ils jouent seuls. Se distinguent également les bois, de toute beauté, et les cuivres, poussés dans leur retranchement, mais tenant bon. L’expressivité va ainsi de pair avec la précision, et tous les pupitres excellent à développer de foisonnantes et percutantes sonorités. Grâce à l’implication des interprètes et à la vigueur de l’orchestre, l’audace et la folie résident en fin de compte encore plus dans la musique que dans la mise en scène.


Cette œuvre géniale entre enfin au répertoire de la Monnaie. Le défi était de taille, mais il a été brillamment relevé.



Sébastien Foucart

 

 

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