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Un grand opéra en noir

Bruxelles
La Monnaie
05/11/2023 -  et 13, 16, 18, 21*, 23, 25, 27 mai 2023
Camille Saint-Saëns : Henry VIII
Lionel Lhote (Henry VIII), Ed Lyon (Don Gomez de Féria), Vincent Le Texier (Le Cardinal Campeggio), Enguerrand de Hys (Le Comte de Surrey), Werner Van Mechelen (Le Duc de Norfolk), Jérôme Varnier (Cranmer), Marie‑Adeline Henry (Catherine d’Aragon), Nora Gubisch (Anne de Boleyn), Claire Antoine (Lady Clarence), Alexander Marev (Garter, Un officier), Leander Carlier (Un huissier de la cour), Alessia Thais Berardi, Annelies Kerstens, Lieve Jacobs, Manon Poskin (Quatre dames d’honneur), Alain‑Pierre Wingelickx, Luis Aguilar, Byoungjin Lee, René Larya (Quatre seigneurs)
Académie des Chœurs de la Monnaie, Chœurs de la Monnaie, Stefano Visconti (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction musicale)
Olivier Py (mise en scène), Pierre‑André Weitz (décors, costumes), Bertrand Killy (lumières)


(© Baus)


Encore une production reportée à cause de la pandémie. La Monnaie monte enfin cet Henri VIII (1883) tout de suite après Bastarda. Les deux spectacles offrent, en effet, des points de rapprochement, la dynastie Tudor, essentiellement, avec une figure commune, Anne Boleyn, Henri VIII étant le père d’Elisabeth Ire, le personnage central de la double soirée donizettienne. L’ouvrage de Saint‑Saëns, aussi rare qu’il soit, ne constitue pas pour autant une entrée au répertoire pour le théâtre bruxellois : en effet, ce grand opéra, au sens propre du terme, car s’inscrivant dans la lignée de La Muette de Portici, de Robert le Diable et de Guillaume Tell, avait été représenté, sur cette scène, en 1935, avec une reprise il y a septante ans. Cette œuvre, non sans longueurs, malgré des airs intéressants et des ensembles impressionnants, ne se hisse probablement pas au même niveau de constance et d’inspiration que le bien plus illustre Samson et Dalila, mais il conviendrait de la réentendre, idéalement au disque, pour s’attarder sur les singularités et mieux en percevoir les influences et les partis pris originaux. Nous ne pouvons toutefois nous empêcher d’éprouver une réelle admiration et un grand respect pour la musique de Saint‑Saëns, qui a si bien assimilé, dans sa vaste composition, la leçon de Gounod.


Olivier Py ne doit plus désormais démontrer son talent et son métier dans ce genre de fresque puissante. De fait, il ne montre plus rien de neuf, fidèle à son langage, son style, son esthétique, toujours en collaboration avec ses partenaires de longue date, Pierre‑André Weitz et Bertrand Killy, aux décors, aux costumes et aux lumières. Il développe, en tout cas, des intentions limpides, la direction d’acteur, attentive, sans surprise, à la psychologie des personnages et à l’intensité des situations, parait au point, et les couleurs de cette scénographie une fois de plus conséquente correspondent bien à la marque de fabrique de ce trio – essentiellement du noir, avec des touches de rouge, et peu de doré.


Le metteur en scène joue assez habilement sur deux temporalités, le XVIe siècle, celui du monarque, et, surtout, le XIXe, celui de la composition, marqué par le progrès, au risque de souligner un peu trop la démonstration. A la fin de la seconde partie, laquelle offre, tout compte fait, plus d’idées intéressantes que la première, une locomotive à vapeur surgit en pulvérisant le décor, ce qui ravive le souvenir, en tout cas pour les spectateurs de longue date de la Monnaie, de la mise en scène de Wernicke pour Orphée aux enfers, une des productions emblématiques de cette institution. Durant l’entracte, enfin, des danseurs exécutent à l’extérieur, sur le parvis du théâtre, sur un enregistrement, les numéros du ballet. De chorégraphie, il en est aussi question durant la représentation, exécutée par ces danseurs qui, à un moment, idée plutôt intéressante, surgissent, nus ou presque, pour ceux préférant le port d’un sous‑vêtement couleur peau, d’un tableau d’un maître italien, probablement Le Tintoret. Il s’agit donc bien d’un grand opéra, et le metteur en scène le traite comme tel.


Grand artiste, impeccable chanteur, Lionel Lhote ajoute une nouvelle prise de rôle à son répertoire, deux mois après son splendide Hamlet à Liège. La voix sonne somptueusement et la technique s’efface au profit de la caractérisation du personnage, à nouveau absolument remarquable. Le baryton aborde ainsi chaque rôle en véritable artisan, soucieux d’évidence et de justesse, accomplissant ainsi une carrière, mieux un parcours artistique, décidément admirable. Nora Gubisch incarne Anne Boleyn en restant fidèle à elle‑même, La voix, la présence physique, le jeu d’acteur restent une affaire de goût personnel, et plus encore dans le cas de cette mezzo‑soprano pour laquelle, malgré ses nombreux et réels mérites, nous devons confesser avoir bien peu d’appétence.


Marie-Adeline Henry obtient une chaleureuse ovation du public pour sa prestation en Catherine de Médicis, une manifestation d’enthousiasme partiellement compréhensible. La soprano s’emploie, en effet, à dresser un portrait sensible de cette touchante figure historique, et son chant véhicule une certaine émotion, mais ce dernier évolue dans un registre un peu trop étroit, manque de diversité et de contrastes ; la prononciation demeure, en outre, perfectible. Vincent Le Texier possède toutes les qualités pour endosser la tenue du Cardinal Campeggio, une incarnation, à tous points de vue, extrêmement crédible, vocalement et, plus encore, physiquement. Ed Lyon trouve en Don Gomez de Féria un rôle dont il possède assurément le profil vocal et le style de chant de nature plutôt mozartiennne. Son français teinté d’un accent léger, mais bien compréhensible, constitue un reproche relatif en regard de l’excellente performance du ténor.


Dans les rôles secondaires, il faut surtout retenir le Duc de Norfolk de fort belle tenue de Werner Van Mechelen, davantage que le Comte de Surrey, tout à fait convenable, d’Enguerrand de Hys, distribué dans un personnage qui n’exploite pas entièrement tout le potentiel de ce chanteur. Les autres plus petits rôles sont bien répartis entre des interprètes qui garantissent la réputation de la maison, avec une double mention spéciale pour Claire Antoine et sa ravissante présence en Lady Clarence, et pour Alexander Marev, qui renforce son métier au fur et à mesure des productions. Préparés, cette fois, par Stefano Visconti, les chœurs accomplissent une performance rigoureuse, sans pour autant que celle‑ci ne marque cette production d’une manière décisive.


Malgré quelques passages plus épais et moins précis, l’orchestre tient plus que bien son rang, sous la direction toujours aussi excellente d’Alain Altinoglu. Le chef, qui, tout comme le metteur en scène, rend parfaitement le ton et l’allure propres à ce grand opéra tardif, dont il entend exécuter une version la plus proche possible de celle de la création, imprime à cette musique d’impeccable facture de la grandeur et du souffle, sans négliger bien sûr les moments plus intimes. Un grand spectacle, éminemment respectable, mais qui peine à supporter la comparaison avec le formidable Bastarda, autrement plus original et captivant.


Le spectacle en intégralité :





Sébastien Foucart

 

 

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