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"L''appel de la Mer" Bordeaux Grand Théâtre 03/22/2002 - 03/24-27-29/02, 04/02-05/02
Richard Wagner : Der Fliegende Holländer (le Vaisseau Fantôme).
Pavlo Hunka (le Hollandais)~ Nina Stemme (Senta) ~ Hans-Peter König (Daland) ~ David Rendall (Erik)~ Doug Jones (le Pilote)~ Martine Mahé (Mary).
Choeurs d'hommes Etxekoak ; Choeur et Orchestre National Bordeaux Aquitaine.
Günter Neuhold (direction).
Les êtres meurtris sont-ils épris d'Absolu ? Métaphysique interrogation ! Tel semble être le propos de Francesca Zambello, qui signe ici une mise en scène - phare que le visionnaire Wieland eût en son temps revendiqué. Enfin une lecture scrupuleuse, quoique personnelle, d'une oeuvre-clef du magicien de Bayreuth ; qui ne cherche pas à épater la galerie. Foin des régisseurs pseudo-intellos déviant impunément le dessein wagnérien. Ici, un décor minimaliste axé sur un éclairage soit bleu, soit vermillon - évpquant les tourments du navigateur maudit en quête de rédemption. L'on s'embarque, tel un passager clandestin, pour une traversée opératique mouvementée - un voyage au bout de l'enfer.
Point de carcasse stylisée de fier galion. Simplement, de longues cordes lianeuses, enserrant de hautes tiges métalliques, autour desquelles se lovent des hommes-serpents : l'équipage est pendu aux mâts de misaine virtuels. L'on dirait, en fait de bateau, voire de Radeau de la Méduse, un banian - cet arbre exotique étrange, déployant de sinueuses racines en guise de feuillage. Ces mêmes lianes - ou liens - se retrouvent avec les fileuses au début du deuxième acte ; comme si, telles des Nornes avant l'heure, cette insolite confrérie tressait déjà le destin fatal de Senta, l'ange salvateur du Hollandais. Tous deux s'abîmeront dans le sanctuaire pélagique, qui célèbrera leur mystique union. La scène acquiert alors des dimensions prophétiques insoupçonnées.
Les acteurs-chanteurs de cette ballade maritime se transcendent littéralement, et - reconnaissons-le tout de go - la Senta de Nina Stemme est une divine révélation. Un soprano dramatique-lyrique, extatique, doté d'un riche médium, d'un grave conséquent ; et de superbes pianissimi lunaires. Elle incarne une jeune femme au caractère très affirmé, qui espère et attend l'Etre de Lumière qui l'affranchira d'un monde terrestre sordide que sa silhouette de sylphide ne trompe pas. La Ballade du deuxième acte, avec des Johohoe conquérants, est ainsi restituée avec une énergie guerrière qui la prédestine naturellement à s'emparer un jour de Brünnhilde.
Quitte à déclencher le courroux des wagnérolâtres desséchés, le Chant Wagnérien est toujours debout ! Autre trouvaille de mise en scène, Pavlo Hunka, par contraste, dessine un Hollandais d'une extrême fragilité - lassé, épuisé par ses vingt mille lieues parcourues sur les Mers. Il est, déjà, le Wanderer du troisième acte de Siegfried ; qui en outre porterait en lui les futurs stigmates de la blessure d'Amfortas. Ce baryton clair ,à l'aigu tamisé, compose un anti-héros situé entre Wozzeck et Barak (il n'est d'ailleurs pas étonnant de lire dans le programme qu'il a chanté ces rôles. Le public ne s'y est pas trompé : certains yeux retenaient mal de furtives larmes.
Parfait David Rendall dans le personnage utilitaire d'Erik. Idem du Daland, cupide et opportuniste, de Hans-Peter König ; choeurs étincelants. Maestro Neuhold est un Kapellmeister rigoureux, sachant discipliner un orchestre survolté, véritable lame de fond dans les moments tempétueux de cette symphonie marine - et équilibrer les masses chorales comme les voix solistes, jamais couvertes par les tutti rugissants. De surcroît, il sait ménager de purs îlots de poésie (le duo entre Senta et le Hollandais). Sa direction met en relief les audaces d'une partition (ah ! ces quintes à vide !), portée sur le thème de l'errance, et qui s'inscrit dans la filiation d'un autre grand W : Carl-Maria von Weber. Johohoe ! Johohoe !
Étienne Müller.
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