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La Nonne sanglante selon Julien Ostini enfin dévoilée à Saint‑Etienne Saint-Etienne
Grand Théâtre Massenet
04/30/2023 - et 2, 4 mai 2023
Charles Gounod : La Nonne sanglante
Florian Laconi (Rodolphe), Erminie Blondel (Agnès), Marie Gautrot (La nonne), Jérôme Boutillier (Le comte Luddorf), Jeanne Crouseau (Arthur), Thomas Dear (L’ermite), Luc Bertin‑Hugault (Le baron Moldaw), Charlotte Bonnet (Anna), Raphaël Jardin (Fritz), Corentin Backès (Arnaud), Bardassar Ohanian (Norberg), Aurélien Reymond (Le veilleur)
Chœur lyrique Saint‑Etienne Loire, Laurent Touche (chef de chœur), Orchestre symphonique Saint‑Etienne Loire, Paul‑Emmanuel Thomas (direction musicale)
Julien Ostini (mise en scène, décors, costumes), Véronique Seymat (costumes), Simon Trottet (lumières), Florence Pageault (chorégraphie)
(© Cyrille Cauvet)
L’aventure de cette Nonne sanglante (de Charles Gounod) s’était arrêtée à l’Opéra de Saint‑Etienne à cause de la pandémie : la première de cette nouvelle production confiée aux soins de Julien Ostini devait en effet avoir lieu le jour du confinement. C’est donc trois ans plus tard que l’on peut enfin assister à cet événement – car c’en est un au vu de la rareté de cet ouvrage pourtant de belle facture, après que l’Opéra-Comique en a également proposé une version de son côté en 2019, juste avant l’épisode de covid‑19.
Mais commençons par retracer succinctement l’histoire de cette Nonne sanglante, créée en 1854 à l’Opéra de Paris (Salle Le Peletier). C’est à l’intention de Berlioz que le fameux Eugène Scribe tira un livret d’opéra d’un épisode du non moins célèbre roman noir de Matthew Gregory Lewis, The Monk. Mais jugeant sans doute qu’il trouverait un musicien plus ami du succès, il ne lui donna que les deux premiers actes (et Berlioz réutilisera la musique déjà composée pour cette Nonne dans ses Troyens à venir). Quand le livret échut finalement à Gounod, désireux de retenter sa chance à Paris après sa Sapho (créée en 1851), il avait été refusé par Halévy, Félicien David... et même Verdi ! Dans ses Mémoires d’un artiste, Gounod reconnut que le sujet avait « l’inconvénient d’être plus qu’imaginaire, plus qu’invraisemblable : il était en dehors du possible, il reposait sur une situation purement fantastique, sans réalité, et par conséquent sans intérêt dramatique ».
Captivante à la lecture, l’histoire de cette nonne assassinée par un fiancé parjure dont, devenue spectre, elle épouse le fils pour le contraindre au parricide, perd toute saveur à la scène, même rehaussée du prestige de la musique – et quelle musique en l’occurrence qui, grâce à Dieu, fait passer le côté « abracadabrantesque » du livret. L’écriture vocale est également impeccable, avec des belles phrases lyriques, les contre‑ut du ténor et de la soprano et le la aigu du baryton sont bien amenés, les ensembles aérés laissent passer nettement chaque voix et l’orchestration tantôt légère, tantôt très puissante, distille charme et terreur.
Et l’ouvrage connut un certain succès à sa création, avant d’être brutalement retiré de l’affiche, suite à l’arrivée d’un nouveau directeur à la tête de l’institution parisienne, qui qualifia l’œuvre d’« ordure » et la jeta ainsi aux oubliettes, avant que l’Opéra d’Osnabrück, en Allemagne, ne lui redonne sa chance... en 2008.
Et la distribution retenue par Eric Blanc de La Naulte à l’Opéra de Saint‑Etienne – maison toujours prompte à redécouvrir (la plupart du temps aux côtés du Palazzetto Bru Zane, cette production n’échappant à la règle) notre patrimoine musical, après des « redécouvertes » comme Lancelot de Victorin Joncières en 2022 ou Andromaque de Grétry en mars dernier – se situe ainsi à un haut niveau d’exigence. Elle est dominée par la superbe vaillance du ténor messin Florian Laconi, dans le rôle de Rodolphe, qui se joue des nombreuse difficultés et embûches de sa partie (« Un jour plus pur »), avec un aplomb qui laisse pantois. Le rôle‑titre, moins exposé que celui précité ou celui d’Agnès, est ici confié à la mezzo Marie Gautrot, qui, elle aussi, affronte crânement les redoutables écarts de registre de sa partie. La jeune et talentueuse soprano Erminie Blondel campe le personnage d’Agnès, auquel elle apporte la fraîcheur de sa voix, au timbre de velours, mais puissamment projeté. Après avoir été découverte (et remarquée) dans la Cendrillon de Nicolas Isouard (autre pépite oubliée mais ravivée ici même en 2019), la soprano colorature Jeanne Crousaud récolte un triomphe personnel mérité dans son rôle travesti du page Arthur, notamment après ses deux airs « L’espoir et l’amour dans l’âme » et « Un page de ma sorte », auxquels elle fait un véritable sort, en les couronnant de contre‑ut percutants. Elle brille également par sa remarquable aisance scénique, ce qui lui permet de voler la vedette à ses deux consœurs que la mise en scène et la partition exposent beaucoup moins théâtralement et vocalement.
Dans le rôle du méchant Comte Luddorf, Jérôme Boutillier gratifie l’auditoire d’une voix coulée dans le bronze, avec un phrasé qui fait passer le frisson le long de l’échine, un timbre gorgé de couleurs, et qui sait sa faire péremptoire quand la partition l’exige. Les voix des deux basses Luc Bertin‑Hugault et Thomas Dear, respectivement le Baron Moldaw et l’Ermite, font aussi leur effet, chacune percutante et sonore, avec un registre grave pour le second qui donne à explorer les abysses. Enfin, les deux jeunes amoureux, Raphaël Jardin (Fritz) et Charlotte Bonnet (Anna), sont tout simplement délicieux à voir et à entendre, tant leur timbre respectif offre une image bénie de la jeunesse, en faisant souffler un vent de légèreté sur le plateau.
Déjà signataire in loco d’un Faust (du même Gounod) particulièrement remarqué et remarquable, le jeune metteur en scène français Julien Ostini récidive en signant un travail à nouveau très esthétique et esthétisant. Il transpose cependant de manière plutôt étonnante cette histoire du XIe siècle médiévo-européen au milieu d’une tribu inuit vers le cercle polaire. La scénographie (conçue par Ostini lui-même) se compose d’un iceberg placé sur une tournette, puis de magnifiques totems dressés comme des dolmens et faisant penser aux statues de l’île de Pâques. Ce côté glacial des décors est contrebalancé par une pluie de confettis rougeoyants, qui tomberont des cintres quasiment sans interruption du début à la fin de la soirée, évoquant bien évidemment le caractère « sanglant » de l’ouvrage. Les costumes, très « couleur locale » et donc dépaysants, sont également signés par cet artiste protéiforme (mais aidé par Véronique Seymat), tandis que les superbes éclairages réglés par Simon Trottet sont pour beaucoup dans la réussite visuelle du spectacle, dramatiques à souhait, et tirant vers le rouge du feu ou le bleu de la glace. Ils contribuent de manière très active à plonger le spectacle dans cette atmosphère emplie de mystère et d’effroi qu’appelle le livret.
Dernier bonheur de la soirée, la direction pleine de panache et d’énergie de Paul‑Emmanuel Thomas, directeur musical de l’Orchestra Classica Italiana de Turin (et directeur artistique du prestigieux Festival de Menton), à la tête d’un Orchestre symphonique Saint‑Etienne Loire particulièrement bien disposé à l’égard du chef, et aussi attentif qu’enthousiaste à exhumer cette partition pleine de trouvailles chromatiques. La phalange stéphanoise confirme qu’elle est l’une des meilleures du pays dans ce type de répertoire auquel elle est habituée, en restituant magnifiquement les combinaisons de timbres pour donner à la savante orchestration de Gounod ses couleurs spécifiques. Et la direction de Paul‑Emmanuel Thomas, toute de souplesse et d’équilibre, fait également ressortir les différentes influences (entre autres meyerbeeriennes) repérables dans cette attachante partition. Bravi !
Emmanuel Andrieu
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