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Un spectacle coup de poing

Geneva
Grand Théâtre
04/30/2023 -  et 2*, 4, 7, 9 mai 2023
Dimitri Chostakovitch : Lady Macbeth de Mtsensk, opus 29
Ausrinė Stundytė (Katerina Lvovna Ismaïlova), Dmitry Ulyanov (Boris Timoféiévitch Ismaïlov), John Daszak (Zinovi Borissovitch Ismaïlov), Ladislav Elgr (Sergueï), Julieth Lozano (Aksinia), Kai Rüütel (Sonyetka), Michael Laurenz (Le balourd miteux, Un cocher), Alexander Roslavets (Le pope, Un vieux forçat), Alexey Shishlyaev (Le commissaire de police), Omar Mancini (Troisième Commis, L’ivrogne, Le maître d’école), Vladimir Kazakov (Le portier), Marin Yonchev (Premier Commis), Georgi Sredkov (Deuxième Commis), William Meinert (Le meunier), Igor Gnidii (Le régisseur), Aleksandar Chaveev (Un policier, Un sergent), Anna Samokhina (Une détenue), Dimitri Tikhonov (Une sentinelle)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Alejo Pérez (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène), Rebecca Ringst (décors), Ingo Krügler (costumes), Michael Bauer (lumières), Bettina Auer (dramaturgie)


(© Magali Dougados)


La production de Lady Macbeth de Mtsensk actuellement à l’affiche à Genève est un spectacle coup de poing qui vous prend littéralement aux tripes, un spectacle choc comme on n’en voit que très rarement à l’opéra. Aviel Cahn, directeur du Grand Théâtre, a tenu à proposer aux mélomanes genevois la version du chef‑d’œuvre de Dimitri Chostakovitch qu’avait montée Calixto Bieito à Anvers en mars 2014, à l’époque où il dirigeait l’Opéra des Flandres. Un seul regret : que le public n’ait pas répondu présent, car la salle semblait à moitié vide pour cette deuxième représentation de la série. Cette Lady Macbeth de Mtsensk est très certainement le spectacle le plus abouti du célèbre metteur en scène. Adepte de la provocation et des excès, Calixto Bieito s’est mis cette fois complètement au service de la musique de Chostakovitch. Certes, les images sont crues et réalistes, insoutenablement violentes, mais elles sont toujours suggérées par la partition elle-même. La scénariste Rebecca Ringst a conçu un univers oppressant et sordide : de hautes structures métalliques noires représentent « un site industriel pourri ou une exploitation pétrolière dégueulasse », pour reprendre les termes fleuris de Calixto Bieito dans le programme de salle. On peut aussi penser à Tchernobyl. Dans ce dispositif est imbriquée une demeure moderne et design sur deux étages, à la blancheur froide et clinique. C’est dans cette maison que végète Katerina Ismaïlova, hantée par ses désirs d’amour mais opprimée par son mari Zinovi Borissovitch et surtout par son beau‑père Boris Timoféiévitch. Au dernier acte, des techniciens démontent le décor à vue, pour le transformer en quelques minutes en prison cernée de grillages. Le plateau est couvert de boue, boue dans laquelle se produiront les méfaits les plus terribles et les plus glauques, boue dans laquelle aussi sont traînées les victimes, qui en portent la marque comme une souillure : Katerina est violemment brutalisée par son beau‑père tyrannique à coups de ceinturon ; son amant, Sergueï, viole sauvagement une jeune fille, Aksinia, devant une meute d’ouvriers déchaînés ; Aksinia subit également les outrages de Boris, devenant son esclave sexuelle qu’il tient en laisse ; Boris fouette ensuite Sergueï à en avoir mal à la main ; des policiers violent puis marquent au fer rouge un jeune homosexuel qui a le malheur de se trouver sur leur chemin ; Katerina et Sergueï étouffent Zinovi avant que Katerina étrangle Sonyetka, une détenue dont Sergueï est tombé amoureux, puis se donne elle‑même la mort en s’égorgeant. Un monde hostile et renfermé sur lui‑même, dans lequel règne la violence la plus sordide contre les femmes et, plus généralement, contre les éléments les plus faibles de la communauté ; autant de scènes d’une brutalité inouïe et parfaitement réalistes, susceptibles de bouleverser les spectateurs et de leur procurer des haut‑le‑cœur, mais jamais vulgaires ni gratuites car toujours induites par la musique particulièrement suggestive de Chostakovitch.


Comme déjà dit ici en 2014, le réalisme des scènes doit beaucoup à la magistrale direction d’acteurs de Calixto Bieito, qui a réussi à convaincre tous les chanteurs de la distribution de jouer le jeu et de donner de leur personne, en acceptant notamment de se déshabiller sur le plateau. Dans les rôles principaux, Ausrinė Stundytė en Katerina et Ladislav Elgr en Sergueï renouvellent leur exploit d’il y a neuf ans. La soprano lituanienne est une véritable bête de scène : elle s’identifie totalement au personnage, en en faisant une héroïne incandescente, en quête absolue de désir et d’amour, prête à tout pour y parvenir et bien décidée à faire tout ce qui est en son pouvoir pour garder cet amour lorsqu’elle croit l’avoir trouvé, quitte à commettre deux meurtres. Qu’importe alors si la voix n’est pas des plus belles et que des stridences émaillent souvent le chant, tout cela n’a absolument aucune importance face à une incarnation scénique aussi électrisante et bouleversante. Sergueï à la fierté et à l’assurance jamais prises en défaut, Ladislav Elgr est, lui aussi, présent sur scène pratiquement de bout en bout, ne se ménageant à aucun moment ; et ce n’est pas lui faire injure que de dire qu’on retient de lui davantage ses talents d’acteur que de chanteur. Boris presque bestial en raison de sa carrure, vicieux à souhait et vêtu de santiags et d’un chapeau de cow‑boy, Dmitry Ulyanov impressionne par sa puissance sonore et ses graves profonds. John Daszak réussit l’exploit d’incarner un Zinovi Borissovitch insignifiant, totalement dans l’ombre de son père. Les rôles secondaires sont tous très bien tenus, ce qui en dit long sur une distribution de haut vol et parfaitement équilibrée. A la tête de l’Orchestre de la Suisse romande, Alejo Pérez propose une lecture musicale contrastée et dynamique, particulièrement dense et enflammée dans les nombreuses pages lyriques de la partition de Chostakovitch, mais peut-être un brin trop sage dans les passages plus corrosifs, ironiques ou grotesques. Quoi qu’il en soit, un spectacle dont on ne ressort pas indemne, mais quel spectacle, fort et saisissant !



Claudio Poloni

 

 

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