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Que cela nous serve de leçon

Bruxelles
Bozar, Salle Henry Le Bœuf
05/02/2023 -  et 27 (Dortmund), 29 (Köln), 30 (Essen) avril 2023
George Benjamin : Lessons in Love and Violence
Evan Hughes (King), Gyula Orendt (Gaveston), Georgia Jarman (Isabel), Paul Curievici (Mortimer), Samuel Boden (Young King, Boy), Hannah Sawle (Witness 1), Krisztina Szabó (Witness 2), Tristan Hambleton (Witness 3)
Mahler Chamber Orchestra, George Benjamin (direction)
Dan Ayling (mise en scène)


G. Benjamin (© Matthew Lloyd)


Les opéras de George Benjamin (né en 1960) se portent bien, jugez plutôt. Le prochain, Picture a day like this, toujours en collaboration avec Martin Crimp, sera monté, en juillet, au Festival d’Aix‑en‑Provence, là où a été créé, en 2012, Written on Skin, sans doute l’œuvre qui a le mieux contribué à établir la réputation du compositeur britannique dans ce genre. Ce deuxième opéra a depuis lors été représenté à plusieurs reprises ailleurs, en ce compris en version de concert, une chance que connaît également le premier, Into the Little Hill (2006). Le troisième, et dernier en date, Lessons in Love and Violence, créé, lui, à Londres, en 2017, poursuit également une belle carrière.


Le compositeur, qui, à l’instar de Britten, a l’habitude d’interpréter sa propre musique, dirige, ce mardi soir, devant un public clairsemé, l’Orchestre de chambre Mahler dans son dernier opéra, fondé sur la pièce Edouard II de Christopher Marlowe, un contemporain de Shakespeare. Au vu de la faible affluence, la musique contemporaine suscite décidément des craintes. Des spectateurs – pas trop nombreux, mais quand même – quittent même la salle durant l’exécution, un comportement incompréhensible et même grossier. L’œuvre est pourtant belle et captivante, et l’argument accessible. Amoureux des arts, le roi Edouard, qui entretient des relations difficiles avec sa femme et ses deux enfants, s’éprend passionnément de Gaveston, un être honni par le peuple, affamé et en révolte. Son conseiller militaire, Mortimer, accuse le monarque de sa mauvaise gouvernance et lui reproche ses penchants homosexuels. Ce dernier le bannit.


Les deux parties de cet opéra d’un peu moins d’une heure et demie relatent, en sept scènes, une succession de faits qui conduisent à l’avènement du fils du roi, qui, libéré de l’emprise de sa mère, Isabel, entend rétablir l’ordre dans le royaume suite à la mort du souverain. A y regarder de près, cette histoire sentimentale et politique trouve quelque écho aujourd’hui, et il y a là matière à réflexion sur la nature humaine. Benjamin a composé sur cet argument intéressant une musique puissante et expressive, constamment tendue, même dans les passages moins agités, et qui, conciliant éloquence et lyrisme, laisse toute sa place au chant, proche du parlando. Exécutée d’un seul tenant, cette œuvre possède la limpidité et la cohérence des plus grandes, à l’image, par exemple, d’un Wozzeck, de durée à peu près équivalente. L’orchestration, particulièrement dense, mais sans fioriture, ne cesse de fasciner, par sa maîtrise et ses teintes sombres. Elle recourt à un effectif assez important, notamment dans les pupitres de percussions qui comportent divers instruments peu habituels comme des bongos, des castagnettes et des tambourins. La musique, splendide et fascinante, ni avant‑gardiste, ni passéiste, impressionne par son souffle dramatique et son degré d’élaboration.


Exécuter un opéra contemporain en version de concert constitue une bonne manière de mieux le faire connaître, autrement que par le disque ou le DVD, sans devoir supporter le coût considérable d’une production traditionnelle, avec décors, costumes et lumières. Dan Ayling, qui a assisté Katie Mitchell lors de la création à Covent Garden, a conçu une mise en espace qui rend justice à la dimension dramatique de l’ouvrage. Attentive à la caractérisation des personnages, sa direction d’acteur contribue largement à la réussite de ce concert.


La distribution de la création réunissait deux chanteurs fort réputés, Stéphane Degout et Barbara Hannigan, absents ce soir, mais celle, en partie différente, de ce concert ne nous déçoit pas, bien au contraire. L’excellent Evan Hughes incarne le Roi dont il exprime bien la personnalité trouble. Gyula Orendt reprend avec compétence le rôle de Gaveston, mais la prestation de Paul Curievici en Mortimer nous convainc encore plus. Georgia Jarman, qui interprète Isabel, attire l’attention par sa belle prestance, l’excellente tenue générale de son chant et sa capacité à incarner son personnage avec conviction, même si Barbara Hannigan, célèbre pour son engagement scénique extrême, aurait probablement davantage marqué – et différemment – le rôle de son empreinte. Samuel Boden, ténor au timbre d’une finesse remarquable, accomplit une belle – peut‑être la plus belle – performance dans le rôle du fils du Roi, à l’évolution psychologique admirablement cernée. Hannah Sawle, Krisztina Szabó et Tristan Hambleton complètent plus que convenablement cette distribution solide et impliquée. Acclamé par un public manifestement conquis, George Benjamin obtient le meilleur d’un orchestre vigoureux et précis, et il ne fait aucun doute que cette formation excellera également, cet été, dans le prochain opéra du grand compositeur.



Sébastien Foucart

 

 

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