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Pour les voix Lyon Opéra 04/28/2023 - et 2, 4, 7, 9, 11, 13 mai 2023 Leos Janácek : Kátia Kabanová Corinne Winters (Kátia Kabanová), Adam Smith (Boris Grigorjevic), Natscha Petrinsky (Marfa Ignatěvna Kabanová (Kabanikha)), Oliver Johnston (Tikhon Ivanyc Kabanov), Willard White (Savël Prokofjevic Dikój), Benjamin Hulett (Vána Kudrjas), Ena Pongrac (Varvara), Pawel Trojak (Kuligin), Giulia Scopelliti (Feklousa), Karine Motyka (Glasa), Robert Lewis (Un passant), Alexandra Guérinot (Une femme du peuple)
Chœurs de l’Opéra de Lyon, Benedict Kearns (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Elena Schwarz (direction musicale)
Barbara Wysocka (mise en scène), Barbara Hanicka (décors), Julia Kornacka (costumes), Benedikt Zehm (lumières)
(© Jean‑Louis Fernandez)
Les coïncidences font parfois bien les choses : à seulement un mois d’intervalle, le public lyonnais a pu découvrir aux Célestins la rarissime pièce L’Orage (1859) d’Alexandre Ostrovski (en tournée dans toute la France dans la mise en scène de Denis Podalydès), avant de pouvoir apprécier son adaptation lyrique, sous le titre de Kátia Kabanová (1921) : de quoi évaluer le drame de Leos Janácek sous un regard neuf, tant l’action a été recentrée sur les souffrances de l’héroïne, en supprimant toute une galerie de personnages secondaires savoureux, tout en préservant le message de désespérance d’une société crispée et désenchantée, annonçant déjà Tchekhov. Janácek, lui‑même empêtré dans un amour sans issue avec une femme mariée, se passionne pour cette histoire avec une résonnance brûlante, qui transparaît dans sa musique, frémissante et mouvante, à la sensualité sous‑jacente.
Ancienne assistante à Paris de Mikko Franck, Elena Schwarz se saisit des différentes humeurs du drame en faisant ressortir une myriade de détails et de couleurs, en étageant les interventions des différents pupitres avec beaucoup de sensibilité. Il est dommage que ses variations de tempo, entre ralentissements excessifs dans les passages apaisés et accélérations dantesques dans les parties plus enlevées, ne viennent parfois nuire à la conduite narrative, apportant aussi quelques décalages avec le plateau, par endroit. Rien de rédhibitoire toutefois, d’autant plus que le plateau vocal se montre d’un haut niveau, jusque dans les moindres seconds rôles.
Déjà acclamée dans le rôle‑titre l’automne dernier à Genève, Corinne Winters poursuit son irrésistible ascension, à force de facilité d’articulation et de puissance dévastatrice. A Lyon, l’acoustique plus directe au parterre nécessiterait peut‑être, ici et là, des nuances plus fines pour mieux saisir les errances de l’héroïne, notamment en dernière partie, où les pianissimi sonnent trop forts. On pourrait faire le même reproche au tonitruant Benjamin Hulett, même si l’on finit par rendre les armes face à la sincérité de son engagement, sans parler de sa technique sans faille. On lui préfère toutefois le timbre d’une rayonnante jeunesse d’Adam Smith, aux couleurs plus différenciées, malgré une puissance moindre en comparaison. En matière de mordant et d’intentions, Natscha Petrinsky donne à son rôle vénéneux une teinture admirablement cuivrée – autant de qualités qui manquent au chant parfait, mais trop propre d’Ena Pongrac (Varvara), là où le superlatif Willard White donne encore une leçon de classe vocale dans son bref rôle de Dikój. On aime aussi le très expressif Tikhon d’Oliver Johnston, bouleversant dans son rôle de mari falot, brisé par sa mère castratrice.
La déception de la soirée vient de la mise en scène peu imaginative de Barbara Wysocka, qui fait là ses débuts en France. La Polonaise, à l’instar de Christoph Marthaler à Garnier (voir la dernière reprise de ce spectacle, en 2011), installe tout son petit monde dans l’espace unique et étouffant d’un HLM sordide, où l’horizon semble bouché pour tous les protagonistes. Autour de saynètes qui enrichissent l’action lors des interludes symphoniques, la mise en scène annonce à plusieurs reprises les velléités de suicide de l’héroïne, comme seule échappatoire possible. Trop discret en première partie, ce travail s’anime quelque peu ensuite, en mettant en avant les éléments (l’eau, surtout, comme symbole d’une purification morale apportée par l’orage). Pas de quoi, toutefois, convaincre sur la totalité de la durée du spectacle.
D’ores et déjà annoncée, la nouvelle saison de l’Opéra de Lyon s’annonce encore une fois passionnante, en poursuivant l’exploration du legs lyrique de Janácek, avec L’Affaire Makropoulos, tout en donnant une place remarquée aux spectaculaires La Femme sans ombre de Strauss et La Fille du Far West de Puccini. Parmi les reprises, on note le retour attendu des délicieux Barbe‑Bleue d’Offenbach (production créée en 2019) et Brundibár de Hans Krása (production créée en 2016). De quoi maintenir le haut de niveau de qualité de l’institution lyrique lyonnaise, aux côtés de Strasbourg et Toulouse, en région.
Florent Coudeyrat
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