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Once upon a time... Elizabeth I

Bruxelles
La Monnaie
03/21/2023 -  et 25, 28 mars, 1er*, 4, 11, 15 avril (première partie), 23, 30 mars, 2*, 6, 8, 13, 16 avril (seconde partie) 2023
Bastarda
Gaetano Donizetti : Elisabetta al castello di Kenilworth (extraits) – Anna Bolena (extraits) – Maria Stuarda (extraits) – Roberto Devereux (extraits)

Myrtò Papatanasiu/Francesca Sassu* (Elisabetta), Salome Jicia (Anna Bolena), Enea Scala (Leicester), Luca Tittoto (Enrico), Raffaella Lupinacci (Giovanna Seymour, Sara), Valentina Mastrangelo (Amy Robsart), Lenneke Ruiten (Maria Stuarda), Sergey Romanovsky (Roberto Devereux), Bruno Taddia (Nottingham), David Hansen (Smeton), Gavan Ring (Cecil), Nehir Hasret*/Hadley Dean Randerson (The Child)
Académie des chœurs de la Monnaie, Chœurs de la Monnaie, Giulio Magnanini (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Francesco Lanzillotta (direction musicale, arrangements)
Olivier Fredj (concept, script, mise en scène), Urs Schönebaum (décors, lumières), Petra Reinhardt (costumes), Avshalom Pollak (chorégraphie), Sarah Derendinger (vidéo)


Première partie (© Simon Van Rompay)


Bastarda ? Inutile de s’affoler, ce n’est pas un opéra de Donizetti sorti de l’oubli. La Monnaie monte, en ces mois de mars et d’avril, une ambitieuse production prévue à l’origine pour la saison 2020‑2021. Ambitieuse, car elle est formée de deux parties indépendantes, bien qu’il soit nettement préférable de voir les deux, idéalement la première avant la seconde, mais aussi audacieuse : le concept original du metteur en scène Olivier Fredj aboutit à une nouvelle œuvre, constituée d’un assemblage d’extraits de quatre opéras, Elisabetta al castello di Kenilworth (1829), Anna Bolena (1830), Maria Stuarda (1834) et Roberto Devereux (1837), reliés par de brèves transitions composées par le chef, Francesco Lanzillotta, dans un langage relativement moderne, inspiré de celui de Donizetti, donc sans réel hiatus, et au sein desquels s’insère un texte en anglais inédit. Texte, musique et scénographie demeurent ainsi indissociables dans Bastarda, qui possède un rythme et une dramaturgie propres, distincts de ceux des opéras qui en constituent la source, avec un souffle dramatique et musical équivalent à ceux-ci, ou presque. Ce diptyque, dont les volets, chacun d’environ trois heures, s’intitulent « For better, for worse... » et « ... till death do us part... », relate le long règne – quarante‑cinq ans – de la reine d’Angleterre Elisabeth Ire (1533‑1603), née hors mariage, donc illégitime, d’où le choix du titre, en mettant l’accent, à la fois, sur le politique et sur l’intime. Ambitieux, audacieux, mais aussi pertinent et cohérent, car, contre toute attente, telle est notre conviction à l’issue des deux représentations auxquelles nous avons eu la chance d’assister, dans l’ordre, pour mieux apprécier la démarche, et sur deux jours, afin de rester dans l’ambiance.


L’idée d’Olivier Fredj d’abolir la distance entre le plateau et la salle permet au public de s’immerger dans le récit, une partie des sièges du parterre ayant été retirés afin que les chanteurs et les figurants y jouent. Mais la meilleure idée consiste à avoir dédoublé le personnage d’Elisabeth avec une enfant – elle-même, en réalité. Cette dernière, la voix de la conscience de la souveraine, rappelle sans cesse la condition de bâtarde et les contradictions de cette reine célibataire – Queen Virgin fut un de ses surnoms – et sans descendance. Si un doute nous envahit au début, compte tenu de l’importance des dialogues et des interventions en anglais, qui relèvent plus du théâtre musical que de l’opéra, rapidement, ce spectacle puissant et de grande classe finit par nous séduire, par nous captiver et par nous convaincre de l’intérêt de ce projet, lequel invite aussi à s’interroger sur la représentation de ce genre assez codifié d’opéras à numéros. Bien entendu, certains puristes à l’esprit plus fermé dénonceront ce montage, forcément artificiel, qui les prive d’entendre ces opéras en entiers, tels que le compositeur les a conçus. Mais si Elisabetta al castello di Kenilworth reste, il est vrai, encore de nos jours, une rareté, et il serait intéressant de l’exécuter à l’occasion en version de concert, les trois autres, surtout Anna Bolena et Maria Stuarda, figurent depuis longtemps en bonne place dans le grand répertoire, ce qui légitimise la volonté de la Monnaie de proposer cet arrangement inédit, surtout que l’excellente direction d’acteur insuffle de l’énergie et de la diversité à la représentation. Mais il ne faudrait pas que cela devienne une habitude chaque année, au risque que cette démarche, si elle devient systématique, conduise à de graves détournements et pertes de sens. Rien de tel, toutefois, ici.


La mise en scène ne fait pas l’impasse sur la vidéo et sur la danse, deux adjuvants fréquents, aujourd’hui, à l’opéra, mais assez réussis dans Bastarda. Les images, en différé ou en direct, de Sarah Derendinger offrent à l’action un contrepoint souvent saisissant et ouvrent d’intéressantes perspectives dramatiques, surtout dans la première partie. La chorégraphie d’Avshalom Pollak ajoute de la vie et du rythme aux différents tableaux, et elle se prolonge même pendant la pause, les danseurs, qui adoptent des postures et des mouvements semblables à ceux de pantins désarticulés, évoluant dans les couloirs. Composante sans doute la plus mémorable de cette scénographie, malgré la sobriété et la beauté du dispositif, les merveilleux costumes de Petra Reinhardt témoignent non seulement de l’excellence des ateliers mais constituent aussi de véritables créations : aux tenues luxueuses, complétées, pour la reine, par d’extravagantes perruques, et semblant provenir tout droit d’anciens tableaux, s’ajoutent des costumes plus inventifs ou décalés, ceux des danseurs notamment.



Seconde partie (© Bernd Uhlig)


Toutes les représentations reposent sur une distribution unique, à l’exception du rôle assez lourd d’Elisabeth, incarné en alternance par deux chanteuses et deux jeunes actrices. Les prestations vocales offrent de quoi satisfaire les amateurs de beau chant, bien que la pure virtuosité s’efface clairement au profit de la caractérisation et du drame. Solide technicienne et bonne styliste, Francesca Sassu, qui apparaît pour la première fois à l’affiche de ce théâtre, possède les moyens pour incarner avec conviction la reine à différents âges. La soprano cerne admirablement la psychologie du personnage, qui se détache toutefois mieux dans la seconde partie, où elle délivre à la fin une performance prenante et aboutie, alors que la reine paraît plus effacée dans la première. Il faut dire qu’elle évolue, pour son double, avec une partenaire d’exception. Dans le rôle de l’enfant, Nehir Hasret livre, à 12 ans seulement, et dans un anglais impeccable et percutant, une performance sensationnelle, avec une maîtrise, un aplomb et un naturel confondants. La jeune fille, véritable phénomène, au point d’afficher plus de présence, et même de charisme, que la chanteuse, en particulier dans la première partie, parvient à capter immédiatement l’attention à chacune de ses nombreuses apparitions et à ne plus la relâcher. Sans elle, le spectacle perdrait assurément beaucoup de son intérêt et de son impact.


Valeur sûre dans ce répertoire, Salome Jicia réussit, par son physique et sa voix, à marquer le rôle d’Anna Bolena de son empreinte, ce qui s’applique également au noble et puissant Enrico de Luca Tittoto. Chantant fréquemment à la Monnaie, le ténor Enea Scala reste fidèle à sa réputation en Leicester, un personnage dans lequel il se montre convaincant, mais vocalement plus inconstant, à cause de sa tendance à forcer dans les aigus et à pas toujours bien canaliser sa puissance, un écueil dans lequel ne tombe pas Sergey Romanovsky, au chant plus fin et à l’ardeur mieux tempérée en Roberto Devereux. Quant à Lenneke Ruiten, elle accomplit en Maria Stuarda une des meilleures prestations, par son engagement, sa sensibilité, la justesse de sa caractérisation, autant de qualités qui compensent un timbre plus quelconque. La soprano touche au cœur dans la scène de l’exécution, une des mieux conçues, dans laquelle elle concilie sobriété et émotion, courage et fragilité, et sa confrontation avec Elisabeth ne manque pas non plus de marquer les esprits.


Seule interprète distribuée dans deux rôles, celui de Giovanna Seymour et de Sara, la mezzo‑soprano Raffaella Lupinacci complète remarquablement cette distribution finalement assez homogène, dans laquelle se distingue aussi Valentina Mastrangelo, une révélation en Amy Robsart. Outre Nehir Hasret, trois autres excellents artistes déclament le texte en anglais : Bruno Taddia, David Hansen et Gavan Ring, respectivement Nottingham, Smeton et Cecil, forment un savoureux trio, autant d’éloquents maîtres de cérémonie, surtout les deux derniers, capables quand il le faut d’humour. Ces excellents comédiens, créant ainsi une connivence avec le public, chantent également par moments, et plutôt bien, encore que la voix du contre‑ténor, une tessiture différente de celle que Donizetti a prévue pour Smeton, destiné à une voix de femme, peine à séduire.


La prestation dense et rigoureuse de l’orchestre, placé sous la direction compétente et inspirée de Francesco Lanzillotta, constitue un autre motif de satisfaction. Faut-il encore répéter que cette musique, pour qu’elle vive et captive, nécessite la contribution d’un grand chef de fosse pour lui conférer de l’élégance, de l’éclat et de la fermeté ? La Monnaie a bien choisi : le maestro met admirablement en exergue les qualités d’écriture de Donizetti, tandis que ses arrangements musicaux, qui renforcent la cohérence et l’unité du flux musical, se combinent harmonieusement, dans le montage sophistiqué qu’il a conçu, les parties originales restant, heureusement, largement dominantes. Préparés pour la première fois par Giulio Magnanini, les choristes se montrent, quant à eux, précis et impliqués, renforçant ainsi l’unité du plateau.


Pari osé mais relevé haut la main, ce splendide spectacle fera date : d’ailleurs, la saison prochaine, la Monnaie continuera sur sa lancée avec une production sur le même principe, cette fois fondée sur les meilleurs moments musicaux de douze opéras de jeunesse de Verdi. Avant Rossini et Haendel ? Espérons, en tout cas, que ce sera toujours pour le meilleur, jamais pour le pire.



Sébastien Foucart

 

 

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