About us / Contact

The Classical Music Network

Lyon

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Un double succès

Lyon
Opéra
03/29/2023 -  et 31* mars, 2 avril 2023
Béla Bartók : A kékszakállú herceg vára, opus 11, Sz. 48, BB 62
Károly Szemerédy (Barbe‑Bleue), Kai Rüütel, Anna Lapkovskaja (Judith)
Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Orchestre de l’Opéra de Lyon, Titus Engel (direction musicale)
Andriy Zholdak (mise en scène, lumières), Andriy Zholdak, Daniel Zholdak (décors), Simon Machabeli (costumes), Georges Banu (dramaturgie), Etienne Guiol (vidéo)


(© Bertrand Stofleth)


L’édition 2021 du festival d’opéra à Lyon avait choisi judicieusement de confronter sur scène les deux plus belles adaptations lyriques du conte de Barbe‑Bleue, dues à Dukas (Ariane et Barbe‑Bleue) et Bartók, en deux soirées successives. Les aléas de la pandémie en ont malheureusement décidé autrement, puisque les représentations du Château de Barbe‑Bleue (1918) ont toutes été supprimées, à l’exception d’une captation sans public, destinée à une diffusion en ligne. Repris cette année sur scène, ce spectacle continue de jouer de malchance, du fait cette fois de plusieurs annulations dues aux grèves contre la réforme des retraites.


Trois représentations ont pu être maintenues au total, sur les cinq prévues, tout en accordant aux grévistes le droit de lire un texte avant le début de spectacle, également augmenté d’un extrait du Boléro de Ravel, pour le moins inattendu dans ces circonstances. Quoi qu’il en soit, on se réjouit de pouvoir assister à cette production très réussie, dont le début énigmatique concentre immédiatement l’attention : d’emblée, le metteur en scène ukrainien Andriy Zholdak (déjà applaudi ici même en 2019 dans une production haute en couleur de L’Enchanteresse de Tchaïkovski) donne à voir un unique miroir, accroché sur le rideau de scène, que franchit le personnage principal pour rejoindre sa promise. C’est là l’entrée symbolique à l’intérieur du château, que Bartók et son librettiste voient comme une exploration de l’âme de Barbe‑Bleue : l’ouvrage l’ausculte en pénétrant une à une les sept portes, comme autant d’aspects de la personnalité de cet inconnu que découvre Judith. Peu à peu, l’intérieur sinistre s’anime d’un ballet fantomatique de personnages agités comme des feux follets, sans but apparent, qui disparaissent aussi vite qu’ils ont accouru. Des extraits de films donnent à voir ces mêmes personnes, en des visions énigmatiques et tout aussi fugitives. La proposition scénique reste globalement épurée, permettant de se concentrer sur le texte poétique de l’ouvrage, et plus particulièrement l’exploration des méandres du château, alors que Judith avance littéralement au bord du précipice.


Après l’entracte, la surprise n’en est que plus grande lorsqu’on découvre que l’ouvrage, d’environ une heure, est donné à nouveau en son entier – alors qu’il est habituellement couplé en miroir avec un autre ouvrage court (par exemple La Voix humaine de Poulenc à l’Opéra de Paris en 2018). L’autre motif d’étonnement vient de la mise en scène, entièrement différente, mais toujours confiée à Andriy Zholdak. Prenant le contrepied de la première partie, l’Ukrainien nous empoigne par une proposition délibérément plus sordide et extravertie, autant dans l’exploration virtuose d’un quadruple décor tournoyant que par l’ajout de personnages désormais en interaction avec le couple principal. Le Barbe‑Bleue nocturne et réservé de la première partie fait ainsi place à un prédateur sexuel à peine dissimulé, entouré de serviteurs tout aussi dépravés.


Cet exercice de style, certes un peu facile dans l’opposition caricaturale entre les deux propositions scéniques, donne toutefois à réfléchir sur le pouvoir accordé au metteur en scène, capable d’imposer la concentration sur le texte en première partie, en laissant le spectateur libre de se faire sa propre interprétation, là où l’énergie scénique totalement débridée de la seconde, passionne par ses partis pris singuliers, mais nécessairement plus univoques. Il fallait, pour affronter cette transposition provocante (notamment sa scène scatologique), un interprète de la trempe de Károly Szemerédy (Barbe‑Bleue), capable de se transfigurer dans la redoutable seconde partie. Son art des phrasés, d’une souplesse jamais prise en défaut, ravit tout du long, de même que son timbre harmonieux. On aime aussi la voix puissante de Kai Rüütel, un rien ampoulée dans le suraigu, tandis qu’Anna Lapkovskaja (Judith) donne davantage de rebond dans l’articulation, tout en relevant le défi d’une interprétation plus osée au niveau théâtral.


Enfin, Titus Engel exalte les lignes claires de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, avec un sens des contrastes bien affirmé, même si l’on aurait aimé, ici ou là, davantage d’attention aux couleurs morbides de l’orchestration, à même de souligner les nombreuses ambiguïtés du texte.



Florent Coudeyrat

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com