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Un niveau vocal de très bonne tenue

Grenoble
Le Summum
03/31/2023 -  et 1er*, 2, 4 avril 2023
Giacomo Puccini : Turandot
Olivia Doutney (Turandot), Sonia Menen (Liù), Thierry Grobon de Marcley (Calaf), Anthony Stuart Lloyd (Timur), Jérôme de Lignerolles (Altoum), Christoph Engel (Ping), Philippe Noncle (Pang), Germain Bardot (Pong), Jean‑François Baron (Un mandarin)
Chœur en scène, Sébastien Jaudon, Sophie Cayuela, Emmanuel Cury (chefs de chœur), Orchestre symphonique universitaire de Grenoble, Patrick Souillot (direction musicale)
Corinne et Gilles Benizio, alias Shirley et Dino (mise en scène), Jacques Rouveyrollis (lumières)




Ancien assistant de Leonard Bernstein, Patrick Souillot partage avec le maître américain la vocation de passeur et de pédagogue, qui l’a conduit en 2007 à créer la structure associative La Fabrique Opéra : cette initiative originale permet chaque année de monter un opéra coopératif avec pas moins de 500 lycéens des métiers techniques et des apprentis de l’agglomération grenobloise, chargé d’élaborer coiffures, maquillages, décors (y compris en format vidéo) et costumes, en lien avec des spécialistes de ces métiers. C’est là autant une première expérience professionnelle stimulante qu’une opportunité de désacraliser l’art lyrique et rajeunir son audience – autant d’atouts décisifs pour construire les publics de demain.


Preuve en est du succès rencontré, la structure a essaimé sur tout le territoire métropolitain, de l’Alsace au Loiret, en passant par la Dordogne ou la Côte‑d’Or, pour construire autant de projets indépendants et tout aussi fédérateurs au niveau local. De quoi découvrir en juin prochain des productions de Carmen à Dijon ou Roméo et Juliette à Narbonne, avant La Flûte enchantée prévue à Saint‑Brieuc au printemps 2024. En attendant, les équipes grenobloises ont eu la bonne idée de faire appel à deux metteurs en scène bien connus du grand public en la personne de Corinne et Gilles Benizio (alias Shirley et Dino) : c’est principalement le partenariat avec Hervé Niquet qui leur a permis de s’imposer dans les ouvrages comiques, en un mélange de fantaisie lumineuse et bon enfant, à même de revisiter plusieurs raretés (pas seulement lyriques), de Don Quichotte chez la Duchesse de Boismortier, notamment à Montpellier en 2015, à La Belle au bois dormant d’Hérold, à Puteaux en 2021.


S’attaquer à un ouvrage volontiers plus tragique tel que Turandot (créé en 1926) peut surprendre de premier abord, sauf à considérer la richesse d’interprétation de ce conte, aussi bien au niveau de la variété d’évocation de son imaginaire visuel que de ses ressorts psychologiques (voir sur ce dernier point la récente production genevoise, très réussie, qui mettait l’accent sur la figure trouble de Calaf). Loin d’une adaptation torturée, le travail des Benizio choisit au contraire une illustration tournée vers l’enfance, en un transposition mi‑onirique, mi‑fantasy, rappelant à bien des égards le monde des elfes de l’épopée du Seigneur des anneaux. Si le peu de moyens offerts à la production ne peut être tout à fait masqué, faute notamment d’une qualité d’éclairage plus imaginative, on aime l’esprit décalé à la Monty Python qui offre quelques scènes désopilantes avec les trois ministres, de même que l’Empereur farfelu (aux faux airs de l’humoriste Carlos), apeuré autant par sa fille, que son mandarin (grimé à la manière du chanteur M) ! Il est toutefois regrettable de constater l’absence de surtitrage, qui aurait permis de bien saisir toutes les subtilités des joutes entre Ping, Pang et Pong, ainsi que la finesse des énigmes résolues par Calaf. Le bref résumé préalable de l’action, lu par une voix off aux graves abyssaux (digne d’une caricature d’une mauvaise bande‑annonce de film), aurait aussi gagné à davantage de malice et d’originalité, à l’instar du travail réalisé récemment pour Coups de roulis, à l’Athénée.


En dehors de ces réserves, la mise en scène joue la carte d’une efficace sobriété, assez étonnante de la part des Benizio, tirant davantage parti des images animées projetées en arrière‑scène, d’une virtuosité de réalisation rappelant les jeux vidéo actuels. De quoi se plonger dans cette transposition avec bonheur, pour qui veut bien la voir avec son regard d’enfant épris de contes et de récits initiatiques. Si la direction d’acteur assure l’essentiel, compte tenu du nombre considérable d’amateurs en présence, on se réjouit surtout de la qualité du plateau vocal réuni, il est vrai bien aidé par la sonorisation individuelle. Ainsi d’Olivia Doutney, pénétrante Turandot qui évite toute stridence pour donner une incarnation saisissante à son rôle, jouant finement de son accoutrement de diva grandiloquente, en écho aux plus savoureuses méchantes (entre Cruella et Yzma) des films Disney. A ses côtés, Sonia Menen (Liù) remporte une ovation méritée du public, tant son chant souple et aérien fait de chacune de ses apparitions un délice de raffinement évocateur. On aime aussi le timbre chaleureux et les phrasés millimétrés de Thierry Grobon de Marcley (Calaf), un peu juste toutefois dans la tessiture aiguë, surtout en fin d’ouvrage. Rien de tel pour le majestueux Timur d’Anthony Stuart Lloyd, à la ligne vocale d’une parfaite homogénéité, de même que les superlatifs Christoph Engel (Ping), Philippe Noncle (Pang) et Germain Bardot (Pong), très à l’aise dans la farce.


Outre la bonne qualité des chœurs amateurs, y compris du côté des enfants, on reste bluffé par le haut niveau technique de l’Orchestre symphonique universitaire de Grenoble, conduit avec mesure par un Patrick Souillot attentif aux équilibres entre les pupitres et l’articulation avec la scène. Autant de qualités à même d’expliquer le succès de la représentation, quasi complète dans la vaste salle de concerts du Summum (un peu moins de 3 000 places).



Florent Coudeyrat

 

 

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