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Simplicité poignante

Geneva
Grand Théâtre
03/28/2023 -  et 30*, 31 mars, 2, 4 avril 2023
Christian Jost : Voyage vers l’espoir
Kartal Karagedik (Haydar), Rihab Chaieb (Meryem), Ulysse Liechti/George Birkbeck* (Mehmed Ali), Areg Sultanyan (Güney), Guilan Farmafarmaian (Fatma), Ivan Thirion (Matteo), Denzil Delaere (Haci Baba), Julieth Lozano (Une médecin), Omar Mancini (Un paysan), William Meinert (Un policier)
Orchestre de la Suisse Romande, Gabriel Feltz (direction musicale)
Kornél Mundruczó (mise en scène), Monika Pormale (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Kata Wéber (livret, dramaturgie)


(© Gregory Batardon)


De nos jours, les nouveaux opéras sont une denrée plutôt rare, et toute nouvelle création mérite donc d’être saluée. C’est ce qui vient d’arriver au Grand Théâtre de Genève, qui a étrenné Voyage vers l’espoir, du compositeur allemand Christian Jost (1963), sur un livret de Kata Wéber (1980). L’ouvrage est fondé sur le film éponyme (Reise der Hoffnung) du réalisateur suisse Xavier Koller, qui a obtenu l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1991. Le film était lui‑même tiré d’un fait divers tragique qui avait fait la une des médias helvétiques quelques jours durant, avant de tomber dans l’oubli : une famille kurde abandonne le petit lopin de terre qu’elle possède pour tenter de parvenir au paradis : la Suisse. Premier déchirement : les trois enfants ne peuvent pas tous faire partie du voyage, et c’est finalement le benjamin, Mehmed Ali, qui accompagnera ses parents, Haydar, le père, et Meryem, la mère, sur la route de l’espoir. Mais le paradis va se transformer en mirage, en s’éloignant toujours plus à chacun de leurs pas. Après d’harassantes journées de marche par n’importe quel temps et un bout de route fait à bord d’un camion, la petite famille arrive dans les sous‑sols de la gare de Milan, au milieu d’une marée d’autres réfugiés. Haydar et Meryem se rendent compte que leur argent ne suffira pas à payer les passeurs et, en désespoir de cause, ils s’engagent à verser à ces derniers la moitié des revenus qu’ils percevront en Suisse pendant deux ans. La traversée des Alpes est un cauchemar : le petit Mehmed Ali meurt de froid et d’épuisement. La police arrête les parents, les sépare et Haydar se retrouve menotté dans le bureau d’un inspecteur, qui l’inculpe d’émigration illégale et d’homicide involontaire. A la question du policier de savoir pourquoi ils sont venus ici, Haydar répond tout simplement : « J’avais de l’espoir. » C’est en 2017 – soit deux ans après la vague de réfugiés syriens qui a submergé l’Europe – qu’Aviel Cahn, directeur du Grand Théâtre de Genève, a passé commande d’un opéra à Christian Jost. L’ouvrage était programmé pour 2020, mais il a dû être reporté en raison de la pandémie. Trois ans plus tard, le sujet reste d’une actualité brûlante, même si aujourd’hui la plupart des réfugiés proviennent d’autres régions du globe et qu’ils doivent traverser non pas la montagne mais la mer.


C’est à un cinéaste, le Hongrois Kornél Mundruczó, qu’a été confiée la mise en scène d’un ouvrage lyrique adapté d’un film. La production est parfaitement fidèle au livret. L’action est très souvent doublée de projections vidéo de scènes parallèles. Au lever de rideau, on voit ainsi un immense champ de maïs pendant que Haydar essaie de convaincre sa femme de partir. Les trois enfants du couple jouent au bord d’une voie de chemin de fer quand déboule un train à vive allure. Et la longue marche du trio est complétée par des images de flux de réfugiés sur les routes. Tout au long du spectacle, qui dure un peu plus d’une heure trente, des techniciens, caméra au poing, filment les personnages, dont l’image apparaît en gros plan sur un écran à l’arrière du plateau. La direction d’acteurs est particulièrement fouillée et les différents rôles sont bien caractérisés. Tout est linéaire et parfaitement compréhensible ; d’ailleurs le spectacle est recommandé pour les familles. Kornél Mundruczó signe une production dont la simplicité poignante bouleverse, compte tenu aussi bien évidemment du thème abordé. Au baisser de rideau, l’émotion est d’ailleurs clairement palpable dans la salle et le public met un certain temps à applaudir les artistes qui viennent saluer sur scène, sous le choc des émotions fortes qu’il a traversées.


La musique de Christian Jost est, elle aussi, accessible et compréhensible, avec même, parfois, des élans mélodieux. Foisonnante et variée, elle est toujours extrêmement rythmée, avec quelques déferlements sonores impressionnants. Les percussions et les cuivres se taillent la part du lion. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, le chef allemand Gabriel Feltz, spécialiste de musique contemporaine, rend parfaitement justice à la partition, très attentif aussi bien à la fosse qu’au plateau. La distribution, homogène, est composée de chanteurs qui sont tous aussi d’excellents acteurs. Le baryton Kartal Karagedik est impressionnant de puissance et de justesse dans le rôle du père un peu bourru. Seul bémol : une diction française pas toujours très claire. La soprano Rihab Chaieb est émouvante dans le rôle de la mère qui cherche coûte que coûte à dissuader son mari de partir pour préserver l’intégrité de sa famille avant que, à la gare Milan, les rôles s’inversent : c’est elle qui insistera finalement pour que son mari signe la reconnaissance de dette qui doit leur permettre de franchir les Alpes. George Birkbeck prête sa jolie voix un brin fragile à un petit garçon particulièrement touchant. Les seconds rôles sont tous excellents, à commencer par la doctoresse empathique de Julieth Lozano, ou encore le chauffeur routier bienveillant d’Ivan Thirion et le passeur lugubre et sans scrupules de Denzil Delaere. Comme toujours après une création, il ne reste maintenant plus qu’à espérer que le spectacle sera repris par d’autres théâtres.



Claudio Poloni

 

 

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