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Un opéra pour se réveiller Bruxelles La Monnaie 03/14/2023 - et 15*, 17, 18, 19 mars 2023 Howard Moody : Solar (création) Emma Posman (Talus), Kris Belligh (Daedalus), Logan Lopez Gonzalez (Icarus), Michael J. Scott (Minos)
Chœur d’enfants de la Monnaie (The Sun), Chœur de jeunes de la Monnaie (Apprentices to Daedalus), Benoît Giaux (chef de chœur), Ensemble de musique de chambre de la Monnaie, Howard Moody (direction musicale)
Benoît De Leersnyder (mise en scène), Karine Girard (chorégraphie), Emilie Lauwers (décors, costumes), Glen D’Haenens (lumières)
(© Simon Van Rompay)
Entre Eugène Onéguine et Bastarda, la Monnaie présente un nouveau projet réalisé par et pour les jeunes. Avec Solar, opéra pour quatre solistes, chœurs et orchestre de chambre, le compositeur Howard Moody et sa fille, Anna, auteur du livret en anglais, livrent une interprétation du mythe d’Icare en lien avec la crise environnementale, parabole édifiante sur la prise de conscience de la fragilité de la planète et la nécessité de respecter la nature. L’idée maîtresse de cette production consiste à intégrer dans la conception et la réalisation les enfants et les adolescents des chœurs de la Monnaie, qui jouent un rôle absolument essentiel, ainsi que des jeunes chanteurs professionnels, certains issus de la Monnaie Munt Academy.
Les représentations, certaines réservées aux écoles, se tiennent dans la Salle Malibran des Ateliers de la Monnaie, situés juste derrière le théâtre. Le dispositif de la mise en scène admirablement pensée de Benoît De Leersnyder ne manque tout d’abord pas d’étonner une fois arrivé sur place. Le public est invité à s’assoir sur des estrades autour de la scène circulaire, un peu comme dans un cirque, ou une arène de théâtre antique, elle‑même bordée d’une plateforme sur laquelle prennent place, en hauteur, les musiciens de l’orchestre. Et parmi les spectateurs, qui figurent au cœur du dispositif, se trouvent, assis, les adolescents des chœurs, vêtus d’un costume gris, qui chantent d’abord à partir de leur place avant de rejoindre la scène ; ils la quittent à la fin pour retrouver le public.
Les costumes différencient les enfants des adolescents, les premiers interprétant le rôle du Soleil, qui par ses paroles prophétiques exerce une fonction de lanceur d’alerte, le rapprochement avec la crise climatique paraissant des plus évidents, les seconds les apprentis de Dédale, soumis et résignés – ce sont eux qui construisent le labyrinthe au moyen de blocs de pierre qui finiront par s’effondrer comme dans un jeu de dominos. En plus des costumes, Emilie Lauwers a imaginé au centre du dispositif un espace circulaire, qui évoque ces sols désertiques craquelés par la sécheresse, surmonté d’un talus de pierre au sommet duquel Dédale pousse Talus dans le vide et Icare, muni d’improbables ailes, tente de prendre son envol vers le soleil. La morale doit être méditée : celui qui n’utilise pas à bon escient et avec sagesse les possibilités offertes par la science et ignore la puissance de la nature, au détriment de sa propre liberté, risque de provoquer sa chute dans l’indifférence.
Nous sommes impressionnés mais aussi touchés, voire bouleversés, par l’engagement et la maîtrise, à la fois scénique et musicale, des jeunes qui prennent part à cette création, avec toute leur fraîcheur et leur authenticité dont ils sont capables, et ceci d’autant plus qu’ils se soumettent, avec une conscience digne des grands professionnels, à des mouvements exigeants. Benoît Giaux, le chef des choristes, obtient une cohésion et une précision remarquables de tous ces jeunes qui appartiennent à une génération qui aura fort à faire pour surmonter les conséquences inéluctables des crises environnementales provoquées par les précédentes.
Trois des solistes sont annoncés encore légèrement souffrants, mais ils tiennent tout de même à assurer la représentation. Cette indisposition ne se ressent quasiment pas, et les deux lauréats de la Monnaie Munt Academy, Emma Posman, qui incarne Talus, et Logan Lopez Gonzalez, qui endosse le rôle d’Icare, livrent une prestation de qualité qui incite à vouloir les retrouver plus tard dans d’autres productions. Kris Belligh convainc sans réserve, par le jeu et la voix, en Dédale, au même titre que Michael J. Scott en Minos, deux chanteurs plus expérimentés, ce dernier figurant souvent à l’affiche de l’Opéra des Flandres.
Howard Moody dirige lui-même l’Ensemble de musique de chambre de la Monnaie, constitué d’une petite quinzaine d’excellents musiciens – cordes, vents, cuivres, percussions, l’effectif requis pour cet opéra d’une heure et vingt minutes ne présente pas d’originalité particulière. Le compositeur a écrit une musique expressive et évocatrice en ayant recourt à un langage direct et accessible. L’esprit et la conception de cette œuvre rappellent un peu les ouvrages que Britten a conçus pour des voix jeunes, comme Noye’s Fludde. Cette musique prenante et de nature, par moments, cinématographique, ce qui ne constitue aucunement un reproche, véhicule une sincère émotion à laquelle les interprètes rendent justice. Ce spectacle touchant et splendide, fruit d’un travail collectif de longue haleine, ne s’oubliera pas de sitôt !
Sébastien Foucart
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