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Ni Pelléas ni Mélisande Paris Maison de la radio et de la musique 03/03/2023 - et 5 mars 2023 Claude Debussy : Pelléas et Mélisande Ben Bliss (Pelléas), Antoinette Dennefeld (Mélisande), Allen Boxer (Golaud), Alastair Miles (Arkel), Nadine Weissmann (Geneviève), Patrick Bolleire (Le médecin, Le berger), Joachim Semezies (Yniold), Clémentine Bourgoin (soprano), Anne‑Lou Bissières (mezzo), Joël Roessel (ténor), Jérôme Savelon, Aurélien Pernay (barytons)
Orchestre national de France, Susanna Mälkki (direction)
S. Mälkki (© Jiyang Chen)
Pelléas et Mélisande, c’est une alchimie subtile entre le texte et la musique, pour dire le mystère, les ambiguïtés, les failles secrètes des habitants d’Allemonde. Et donc une intimité avec la prosodie française, à travers une déclamation qui va au‑delà de la simple articulation. Autant de conditions auxquelles n’a pas satisfait la distribution réunie à Radio France, alors qu’elle offrait souvent de très belles voix. Ben Bliss, par exemple, timbre clair, projection fière, qu’on apprécierait dans un autre répertoire, n’incarne pas Pelléas, dont les clairs obscurs lui échappent, faute de creuser les mots et d’avoir assimilé le récitatif mélodique propre à Debussy. Dommage : on aime que Pelléas soit un ténor. On se laisse également séduire par le mordant d’Allen Boxer, son impeccable français, mais on fera à ce Golaud trop uniforme, sans les dégradés allant de la fragilité à la violence, les mêmes reproches qu’à son demi-frère, sans compter qu’il se trouve en difficulté dans la grande scène de folie sanguinaire du quatrième acte où l’orchestre le couvre complètement. Il est vrai que ni l’un ni l’autre n’étaient prévus à l’origine : on devait entendre Stanislas de Barbeyrac et Luca Pisaroni. Que Radio France, en revanche, ait confié à l’exotique et usé Alastair Miles un Arkel rivé à sa partition, Geneviève à une Nadine Weissmann pas moins hors sol, laisse pantois quand on sait qu’on eût facilement trouvé des interprètes adéquats au sein de l’école française actuelle.
Si bien qu’il fallait attendre le cinquième acte et les quelques mesures du Médecin de Patrick Bolleire, qui aurait fait à coup sûr un excellent Arkel, pour se rappeler ce que chanter français veut dire. Antoinette Dennefeld, certes, incarne également une certaine orthodoxie stylistique, mais son mezzo de fruit mûr, qui avait à Aix‑en‑Provence donné un relief inattendu à Mrs. Page et qu’on a récemment aimée en Périchole, semble peu à l’aise en Mélisande, dont elle ne parvient pas à restituer l’énigmatique silhouette. Susanna Mälkki, à laquelle on doit de grands moments de théâtre, du Wozzeck de Bastille à Innocence de Saariaho, déçoit aussi, même si l’on admire sa maîtrise de la partition, la clarté d’une direction à laquelle rien ne résiste, avec des moments d’une grande beauté plastique – le jaillissement de la lumière à la sortie des souterrains au troisième acte, l’interlude précédant la scène d’Yniold au quatrième. Mais, dépouillant la partition de toute sensualité, de tout impressionnisme, elle peine, à la différence de son compatriote Esa‑Pekka Salonen, à concilier cette clarté avec « l’inexprimable » dont parlait Debussy. Et elle ne tend pas toujours l’arc, notamment dans les trois premiers actes : ce n’est qu’au quatrième qu’elle donne vraiment sa mesure. Un Pelléas assez ennuyeux, finalement.
Didier van Moere
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