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Ovni lyrique Toulouse Théâtre Garonne 02/15/2023 - et 29 septembre, 1er, 2, 4, 5 octobre 2022 (Paris), 20, 21 (Reims), 27 (Tourcoing) janvier, 1er (Dijon), 16, 17* (Toulouse) février 2023 Wolfgang Mitterer : Dafne Les Cris de Paris : Adèle Carlier, Anne‑Emmanuelle Davy, Michiko Takahashi, Amandine Trenc (sopranos), Jeanne Dumat, Floriane Hasler, Clotilde Cantau (mezzo‑sopranos), Safir Behloul, Constantin Goubet (ténors), Mathieu Dubroca (baryton), Virgile Ancely, Renaud Brès (barytons‑basses), Geoffroy Jourdain (direction musicale)
Aurélien Bory (mise en scène, scénographie), Gabrielle Maris Victorin (assistanat à la mise en scène), Stéphane Dardé (collaborateur artistique et technique), Pierre Dequivre (décor), Arno Veyrat (lumières), Alain Blanchot (costumes), Thomas Dupeyron (régie générale), Marjolaine Carme (régie son)
(© Aglaé Bory)
En 1627, Heinrich Schütz (le « Monteverdi allemand ») compose une tragédie pastorale en un prologue et cinq actes, Dafne, sur un livret de Martin Opitz d’après les fameuses Métamorphoses d’Ovide, mais par malheur la partition disparaît peu après dans l’incendie qui ravagea la bibliothèque de Dresde. En 2022, le compositeur autrichien Wolfgang Mitterer (né en 1958), en collaboration avec le chef d’orchestre Geoffroy Jourdain et le metteur en scène Aurélien Bory, imagine une nouvelle musique pour le livret, et le nouvel ouvrage est étrenné au Théâtre de l’Athénée à Paris en octobre dernier.
Christophe Ghristi, le directeur de l’Opéra national du Capitole de Toulouse, a eu l’idée d’intégrer le spectacle dans la saison de son théâtre, mais les représentations sont données de l’autre côté de la Garonne... au bien nommé Théâtre Garonne, une des nombreuses salles coproductrices, aux côtés des opéras de Reims et de Dijon, de l’Atelier lyrique de Tourcoing, etc.
Selon la technique bien connue au Moyen Age du contrafactum, dont le principe est de réutiliser une musique en en changeant le texte, Mitterer est allé puiser dans la musique chorale et religieuse de Schütz pour créer ce qu’il appelle un « opéra madrigal », chanté ici par un chœur à douze voix (les célèbres Cris de Paris), où s’opposent et se mêlent le passé et le présent, la polyphonie du XVIe siècle et les sons de l’électronique du XXe, la partie électronique préenregistrée restant à la charge du chef Geoffroy Jourdain, placé en contrebas de la scène, qu’il enclenche par la truchement d’une pédale.
Tous les chanteurs des Cris de Paris sont placés sur une scène tournante, en configuration chorale le plus souvent, et ils sont sonorisés, ce qui contribue – à certains moments – à un léger manque d’homogénéité. Les chanteurs sont susceptibles à tout moment de prendre en charge, individuellement ou collectivement, chacun des rôles : Ovide dans l’introduction, puis Apollon, Daphné, Vénus, Cupidon, et bien évidemment les chœurs de bergers et de nymphes. Et Geoffroy Jourdain assure la restitution très limpide d’une superbe écriture vocale dont l’une des principaux bonheurs est justement de brouiller les pistes entre les citations de Schütz et les nouvelles parties composées.
Peu d’action dans un texte allégorique qui narre les déboires de la nymphe Daphné, métamorphosée en laurier dans le but d’échapper aux assiduités amoureuses d’Apollon. Sur cette trame, Aurélien Bory a imaginé (avec son scénographe Pierre Dequivre) un grand cercle tournant sur lequel évoluent avec une remarquable aisance les chanteurs, et qui évoque également le temps qui passe, les astres (soleil et lune) ou encore la cible de Cupidon. Dans cet univers plongé dans les ténèbres, sillonné parfois par de dramatiques éclairages caravagesques (réglés par Arno Veyrat), le rouge de la passion tranche, par l’entremise des costumes de l’enfant-Amour et de sa mère Vénus (signés par Alain Blanchot). Quelques spartiates éléments de décor – tel ce fleuve de plastique noir qui devient rideau pour enfermer Daphné dans la métamorphose ou cette étonnante tombée, depuis les cintres, des flèches de l’amour sur des cibles posées en contrebas – émaillent la partie visuelle du spectacle.
Un ovni lyrique qui a beaucoup plu au public toulousain, lequel n’a pas boudé son plaisir en multipliant les rappels !
Emmanuel Andrieu
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