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Sang, souffrance et déshérence

Geneva
Grand Théâtre
01/25/2023 -  et 27, 29, 31* janvier, 2, 5 février 2023
Richard Wagner : Parsifal
Daniel Johansson (Parsifal), Christopher Maltman (Amfortas), Tareq Nazmi (Gurnemanz), Tanja Ariane Baumgartner (Kundry), Martin Gantner (Klingsor), William Meinert (Titurel, Second Chevalier), Louis Zaitoun (Premier Chevalier), Julieth Lozano, Tinike van Ingelgem, Louise Foor, Valeriia Savinskaia, Ena Pongrac, Ramya Roy (Filles‑fleurs), Julieth Lozano, Ena Pongrac, Omar Mancini, José Pazos (Ecuyers), Ena Pongrac (Une voix)
Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève, Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Jonathan Nott (direction musicale)
Michael Thalheimer (mise en scène), Henrik Ahr (scénographie), Michaela Barth (costumes), Stefan Bolliger (lumières), Bettina Auer (dramaturgie)


(© Carole Parodi)


Un monde sombre, lugubre et complètement dévasté. Ses habitant errent hagards, fatigués, dans des vêtements couverts de sang. Le metteur en scène Michael Thalheimer – très connu dans le milieu du théâtre allemand – a choisi de proposer une lecture radicale de Parsifal au Grand Théâtre de Genève. La Terre a subi une catastrophe ou un cataclysme dont elle peine à se relever, mais s’en relèvera‑t‑elle jamais ? Les chevaliers du Graal sont totalement impuissants dans leur costume ensanglanté, la plupart d’entre eux agonisent. Gurnemanz, constamment recroquevillé, qui peine à se tenir debout sur ses deux béquilles, n’arrive pratiquement plus à se déplacer. Amfortas se tord de douleur tant sa blessure le fait souffrir. Pendant le Prélude, Parsifal, vêtu de blanc, s’extrait avec peine de deux grandes parois et s’avance très lentement sur le plateau, image forte symbolisant sa naissance et son arrivée dans ce monde en déshérence, ou tout n’est que désespoir et noirceur. Ayant accepté sa mission, il parvient au château de Klingsor et se retrouve face‑à‑face avec Kundry, qui tient un pistolet dans la main. Cette dernière finit par lui tendre l’arme, qui le blesse à la poitrine et lui fait ainsi ressentir dans sa propre chair les souffrances d’Amfortas. Kundry tuera ensuite Klingsor, ce qui permettra à Parsifal de s’enfuir avec la lance. Il revient à Montsalvat, dans le même état que les autres : visage bandé, lèvres rouges de sang, un peu comme le Joker de Joaquin Phoenix, et vêtements maculés. Parsifal prend les rênes de la confrérie du Graal mais demeure totalement impuissant et désemparé, ne sachant que faire pour sauver ses camarades et le reste du monde. On l’aura compris, les deux axes principaux de la production de Michael Thalheimer sont la culpabilité première qui accompagne l’être humain dès sa venue au monde ainsi que la responsabilité de chacun lorsqu’une crise éclate, qu’il s’agisse d’une guerre, d’une pandémie ou d’une inondation suite au réchauffement climatique : que faire, à part se retirer du monde ? Le constat est implacable, sans espoir. Bref, une production choc et violente, où l’hémoglobine a tendance à (trop) couler à flots, certes, mais un spectacle fort et cohérent, d’une simplicité et d’une sobriété poignantes, sur un plateau complètement nu, sans aucun accessoire, à part d’immenses parois qui écrasent les personnages.


A la tête de l’Orchestre de la Suisse romande, dont il est le directeur musical et artistique, Jonathan Nott commence par livrer un Prélude au tempo passablement étiré, mettant à nu chaque pupitre et faisant entendre chaque détail orchestral. Le chef accélère un peu le mouvement par la suite, mais toujours dans le même souci de clarté et de transparence. Précision, fluidité, douceur et sobriété sont aussi les maîtres mots de sa lecture. L’orchestre, dans une forme splendide, lui répond comme un seul homme. Tout au plus pourrait‑on souhaiter une interprétation un peu moins uniforme et plus dynamique et nerveuse, surtout dans le dernier acte. Comme toujours, le Chœur du Grand Théâtre de Genève est confondant d’homogénéité et d’engagement. En Kundry, la soprano allemande Tanja Ariane Baumgartner, à l’émission puissante et sonore, séduit tout autant par ses graves corsés que par ses aigus percutants ainsi que par sa forte présence scénique, quand bien même il lui faut du temps pour chauffer sa voix. Tous les autres interprètes de la distribution, qu’il s’agisse des personnages principaux ou des personnages secondaires, chantent leur rôle pour la première fois, une gageure ! Le jeune baryton Tareq Nazmi incarne un splendide Gurnemanz, au phrasé impeccable et à l’émission racée, bouleversant d’émotion à chaque fois qu’il essaie de se déplacer à l’aide de ses béquilles. Christopher Maltman est, lui aussi, confondant d’intensité en Amfortas souffrant le martyre, même si la projection n’est pas toujours homogène et équilibrée. William Meinert impressionne en Titurel par ses graves caverneux. Annoncé souffrant, Martin Gantner pêche par un défaut de noirceur et de méchanceté en Klingsor, en raison de sa voix un peu trop claire pour le rôle. Malgré un timbre un peu terne qui trahit une certaine fatigue au dernier acte, Daniel Johansson convainc par ses élans sincères et saisissants en Parsifal héros malgré lui. Une production qui fera date, à n’en pas douter.



Claudio Poloni

 

 

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