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Opéra national du Rhin
12/08/2022 -  et 9, 11, 12*, 14, 15, 17, 18 décembre 2022 (Strasbourg), 5, 6, 8 janvier 2023 (Mulhouse)
Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte, K. 620
Eric Ferring/Trystan Llŷr Griffiths* (Tamino), Lenneke Ruiten/Hélène Carpentier* (Pamina), Nicolai Elsberg (Sarastro), Svetlana Moskalenko/Marie‑Eve Munger* (La Reine de la nuit), Huw Montague Rendall/Michael Borth* (Papageno), Elisabeth Boudreault (Papagena), Peter Kirk (Monostatos), Julie Goussot (Première Dame), Eugénie Joneau (Deuxième Dame), Liying Yang (Troisième Dame), Manuel Walser (L’orateur), Iannis Gaussin (Premier homme armé), Oleg Volkov (Second homme armé), Louisa Bouzar, Léon Hieber et Benjamin Ogier/Hélisende Nuss*, Nathalie Adleiba* et Lily Lederman* (Les trois enfants), Valentin Arnoux, Chine Curchod et Faustine Lancel (marionnettistes)
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Hendrik Haas (chef de chœur), Orchestre symphonique de Mulhouse, Andreas Spering (direction)
Johanny Bert (mise en scène), Amandine Livet (décors), Pétronille Salomé (costumes), David Debrinay (lumières)


(© Klara Beck)


En ce moment l’opéra souffre d’un manque crucial de nouveaux metteurs en scène, le réseau des grandes maisons et festivals n’ayant que trop tendance à réengager toujours les mêmes, dont l’inspiration s’épuise à force d’être sollicitée à longueur d’année. Illustration parfaite de ce circuit tournant à vide : Mariame Clément, confrontée il y a exactement dix ans à la Flûte enchantée de Mozart à Strasbourg, et sans avoir grand‑chose d’intéressant à y proposer. En engageant pour cette nouvelle production le metteur en scène, plasticien, comédien et marionnettiste français Johanny Bert, passionné de longue date par un théâtre hybride associant acteurs et marionnettes, l’Opéra national du Rhin a mis en revanche la main sur un tempérament très original, tout en prenant certains risques. Johanny Bert est un néophyte total, si ce n’est en matière de spectacle musical, du moins à l’opéra, et le questionnement du genre occupe une place tellement importante dans ses projets habituels qu’il était prévisible qu’avec lui la Flûte enchantée se trouverait elle aussi scrutée sous un angle quelque peu queer.


Dans l’entretien publié dans le programme, le metteur en scène insiste d’emblée sur certains aspects troublants de la Flûte enchantée, qui pourtant de prime abord ne nous paraissent guère essentiels, notamment ses éléments « indéniablement racistes et misogynes », certes patents, mais tellement logiquement enracinés dans un contexte historique particulier qu’on peut aussi les relativiser. L’apparente focalisation du concept sur « l’identité multiple des personnages » voire un « questionnement sur les codes et les représentations de genre » font aussi craindre un didactisme un peu insistant. Mais heureusement, à l’épreuve de la scène, tout ce discours se résout en un filigrane certes perceptible, mais jamais ostensiblement lourd. Donc évidemment pas de « blackface » pour Monostatos, qui n’effraie plus Papageno par sa couleur de peau mais par ses obsessions sexuelles, le visage recouvert par le bas nylon qu’il vient de subtiliser à Pamina endormie. Un Papageno par ailleurs moins mi‑homme mi‑oiseau que d’un genre un peu flou. On notera en revanche que la réplique la plus misogyne de la soirée, dans le discours de l’Orateur, n’a pas été retouchée. Mais tout cela relève en définitive du détail.


Ce qu’on retient bien davantage ? Un appréciable sens du merveilleux, en rapport avec une utilisation pas très fréquente, mais toujours spectaculaire, de marionnettes, soit à fils, soit de grande taille et nécessitant l’intervention simultanée de plusieurs opérateurs. C’est le cas pour Sarastro, émouvante marionnette de vieillard en chaise roulante, dont les physionomies de poupée géante, les ouvertures de bouche et les gestes s’effectuent en parfaite synchronisation avec le chanteur debout à côté de lui, qui lui prête sa voix. C’est le cas aussi pour le dragon de la première scène, l’un des plus évocateurs et gentiment effrayants que l’on ait pu voir dans La Flûte enchantée et pourtant esquissé avec des moyens très simples. Plus conventionnelles, à fils multiples, les deux grandes poupées à l’effigie de Pamina et Tamino qui affrontent les épreuves, mais, là, autre image très poétique, les marionnettistes sont suspendus à d’autres fils, qui les font évoluer eux‑mêmes dans les airs avec une belle fluidité, en même temps que les personnages qu’ils actionnent.


Ce qu’on peut reprocher ? Le caractère parfois trop abrupt de la lecture, la Reine de la nuit et Sarastro devenant explicitement un couple divorcé qui se dispute son enfant, mise à plat facile, en tout cas simpliste. Le traitement banalisé de la Reine de la nuit aussi, mère déchue, alcoolique, bourrée de tranquillisants, qui vit dans une mansarde misérable et se nourrit... d’ampoules électriques (ça c’est nettement plus original). Et surtout l’absence des arrière‑plans philosophiques ou maçonniques, même allusifs, qui sont l’un des éléments clés de l’ouvrage. Dès lors l’ordre nouveau timidement esquissé à la fin, quand tout le peuple se « libère », en se barbouillant de traits de marqueur rouge, ne prend guère de sens. Un relatif inaboutissement, mais pour un spectacle dont les grandes lignes conservent une vraie cohérence, et dont on découvre les scènes successives avec un véritable plaisir, à partager autant avec un public d’initiés qu’avec des spectateurs découvrant éventuellement La Flûte enchantée pour la première fois.


Deux distributions différentes en alternance, sous le direction d’Andreas Spering, dont le Mozart court de souffle ne convainc pas toujours. L’Ouverture est prestement et joliment enlevée, mais ensuite le propos manque de densité, à force de vibrato parcimonieux et de valeurs de notes écourtées. Les sonorités insuffisamment nourries de l’Orchestre symphonique de Mulhouse se perdent dans une acoustique peu généreuse, assèchement qui expose les chanteurs à nu, avec leurs qualités mais aussi leurs défauts, qu’aucun enrobage flatteur ne vient masquer. Les ensembles, en particulier les deux quintettes, manquent aussi de cohésion, voire partent dans tous les sens.


C’est dommage, car même imparfaite, la distribution de ce soir paraîtrait certainement plus attractive si elle était mieux soutenue. Hélène Carpentier a presque trop de voix pour Pamina, un timbre trop nourri, pas assez lumineux, cela dit son air « Ach, ich fühl’s » nous toucherait certainement davantage à un tempo plus retenu. De même Marie‑Eve Munger, qui a bien les aigus de la Reine de la nuit, paraît en constante lutte pour réussir à les placer au sein d’une ligne de chant trop nerveuse. Davantage d’assurance pour le Tamino du ténor gallois Trystan Llŷr Griffiths, joli timbre et physique qui lui permet même de ne pas paraître ridicule en « tenue estivale », une fois que les trois Dames, profitant de son évanouissement pour lui subtiliser la plupart de ses atours guerriers, ne lui ont laissé que son caleçon et ses chaussettes. Pas de problème particulier pour le Papageno générique de Michael Borth, dans un rôle difficile à rater, ni pour la Papagena d’une incroyable énergie physique d’Elisabeth Boudreault. Mais la seule voix qui nous laisse un souvenir ineffaçable, c’est le Sarastro de la basse danoise Nicolai Elsberg : une stature imposante, des graves abyssaux, un legato somptueux. Là, de toute façon, même si l’orchestre est anémique, on n’écoute plus que le chant.



Laurent Barthel

 

 

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