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Turandot ou le miroir des vanités humaines

Amsterdam
Nationale Opera & Ballet
12/02/2022 -  et 4, 6, 9*, 12, 14, 17, 21, 22, 23, 25, 28, 30 décembre 2022
Giacomo Puccini : Turandot
Tamara Wilson (Turandot), Kristina Mkhitaryan*/Juliana Grigoryan (Liù), Najmiddin Mavlyanov*/Martin Muehle (Calaf), Liang Li*/Alexei Kulagin (Timur), Marcel Reijans (Altoum), Germán Olvera (Ping, Un mandarin), Ya‑Chung Huang (Pang), Lucas van Lierop (Pong)
Koor van De Nationale Opera, Edward Ananian-Cooper (chef de chœur), Nederlands Philharmonisch Orkest, Lorenzo Viotti (direction musicale)
Barrie Kosky (mise en scène), Michael Levine (décors), Victoria Behr (costumes), Alessandro Carletti (lumières), Otto Pichler (chorégraphie)


(© Monika Rittershaus)


Il faut courir voir ce spectacle donné jusqu’à la fin de l’année à Amsterdam, qui démontre une fois encore le génie de Barry Kosky pour aborder d’un regard nouveau des ouvrages archi-rebattus : ainsi de cette Turandot à nulle autre pareille, qui choisit d’évacuer réalisme et exotisme pour confronter Calaf à ses vaniteuses illusions. Et si, comme fanfaronne Ping en début s’ouvrage, Turandot n’existait pas ? Voici le point de départ de cette production radicale, qui prend le risque de ne jamais montrer son rôle‑titre, ici incarné par une Tamara Wilson reléguée dans les coulisses pendant tout le spectacle. Un choix évidemment contestable au niveau vocal, puisque la voix de la soprano américaine ne quitte jamais les filtres des enceintes en hauteur, perdant en naturel d’émission. Un désagrément qui n’empêche pas Wilson de délivrer une interprétation hors du commun (nous y reviendrons), justement applaudie par un public dithyrambique en fin de la représentation.


Autre motif d’étonnement, la production prend le risque de supprimer le duo d’amour final, non composé par Puccini, en rejetant tout à la fois les versions d’Alfano et Berio (cette dernière pourtant commandée par l’Opéra d’Amsterdam en 2001). La récente production genevoise de Daniel Kramer a pourtant démontré combien ce dernier choix se tient dramatiquement, tant Turandot accepte d’accueillir la vitalité en elle, après avoir été émue par le sacrifice de Liù. Avec Kosky, point de lueur d’espoir : c’est bien la mort qui rode dans tous les interstices, et ce dès le début de l’ouvrage, où le chœur bouillonnant occupe toute la scène dénudée. Cernée par d’omniprésents et vénéneux mandarins, la confusion mentale de Calaf trouve en écho les mouvements incessants et nerveux de la foule, brillamment dirigée avec l’adjonction de danseurs : on reconnait là un des habituels points forts de Kosky, toujours aussi inspiré en ce domaine. Il faut ainsi entendre avec quelle rage le peuple s’exprime en début d’ouvrage, en lien avec ses déplacements confus, avant de s’apaiser ensuite dans les troublantes scènes nocturnes précédant le suicide de Liù.


Il fallait sans doute un chef de la trempe de Lorenzo Viotti pour épouser une vision aussi sombre, fouillant chaque détail de la partition pour en faire ressortir les alliages de timbres les plus morbides. En étirant les tempi dans les passages lents, d’un raffinement inouï, le Suisse joue de sa baguette féline pour offrir un tapis de velours à ses interprètes, tous très investis pour ne pas surjouer la grandiloquence dramatique. Les verticalités péremptoires, particulièrement le thème cuivré de l’Empereur, trouvent ainsi un tempo plus enjoué, bien loin des raideurs majestueuses entendues ailleurs. Après Tosca au printemps dernier, on tient là une nouvelle réussite du couple formé avec Barry Kosky, à même d’imprimer une tension dramatique saisissante pour ce spectacle donné d’une traite (sans entracte, pour une durée totale de 2 heures).


Il faut dire que la composition de Tamara Wilson frise la perfection, tant dans l’intention dramatique, que l’aisance vocale sur toute la tessiture. Quelle aisance dans le velouté des phrasés fielleux comme dans la fureur, sans aucune stridence ! A ses côtés, Kristina Mkhitaryan (Liù) compense un volume plus modeste par une finesse d’interprétation sans ostentation, avec une intention infinie aux nuances. Le timbre de Najmiddin Mavlyanov (Calaf) n’est pas des plus séduisants, tout comme sa projection, peu audible dans le medium. Mais quelle attention aux phrasés, en sculptant amoureusement chaque mot, toujours en lien avec les intentions scéniques ! On aime aussi Liang Li (Timur), aux graves profonds et empreints d’une noblesse tragique, tandis que Germán Olvera (Ping) s’impose brillamment dans un rôle décisif qui prend toute sa saveur dans cette production.


En faisant de Turandot une parabole des vanités humaines, Barrie Kosky démontre une nouvelle fois sa capacité à surprendre là où on ne l’attend pas. Du grand art à savourer d’urgence.



Florent Coudeyrat

 

 

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