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À la papa

Berlin
Staatsoper Unter den Linden
12/19/1999 -  
Ferrucio Busoni : Die Brautwahl
Siegfried Vogel (Voswinkel), Carola Höhn (Albertine), Siegfried Jerusalem (Thusman), Gunnar Gudbjörnsson (Edmund Lehsen), Pär Lindskog (Baron Bensch), Roman Trekel (Leonhard), Günter von Kannen (Manasse)
Nicolas Brieger (mise en scène), Hermann Feuchter (décors), Margit Koppendorfer (costumes), Peter Owen (masques)
Orchestre et choeurs du Staatsoper Unter den Linden, Daniel Barenboïm (direction)

Créé en 1912 à Hambourg avec Élisabeth Schumann dans le rôle d’Albertine, Die Brautwahl est un opéra méconnu d’un compositeur qui reste d’ailleurs lui-même un peu méconnu, si l’on excepte son magnifique Docteur Faust bientôt monté au Châtelet. L’action se déroule dans le Berlin libéré et prospère des années 1820 : dans les bosquets du Tiergarten le peintre Edmund Lehsen et la belle Albertine Voswinkel ont le coup de foudre réciproque et fileraient un parfait amour si ne venaient s’interposer deux fâcheux prétendants, le grotesque Thusman secrétaire à la chancellerie et l’élégant et un peu ridicule Baron Boesch. A priori ces derniers ne sont guère dangereux pour la stabilité du couple, mais ils disposent de bons appuis en les personnes respectives du père d’Albertine et du juif Manasse au fort bagout. Heureusement un certain Leonhard, étrange réincarnation d’un orfèvre de la Renaissance, prend le peintre en affection et décide d’utiliser ses nombreux pouvoirs pour lui venir en aide. Mais la fin ne sera pas celle que l’on croit. L’atmosphère générale de cette pièce est assez originale, et rappellerait par moments une Bohème dans un genre plus fantastique (le livret est extrait d’un conte d’Hoffmann). Pourtant, malgré quelques airs qui auraient dû lui valoir le succès (dont la vigoureuse ballade de l’usurier Lippold, reprise presque texto dans la célèbre Toccata pour piano de 1920), l’oeuvre tomba au bout de la quatrième représentation et ne fut par la suite que rarement reprise.

Il est vrai que cet opéra n’est musicalement pas très progressiste. Voire même rétrograde pour cette époque d’avant-guerre qui vit naître Le sacre du Printemps et les premiers balbutiements du dodécaphonisme (dont Busoni aura pourtant été un ardent défenseur, et même un pionnier si l’on songe à ses leçons de théorie musicale données dès 1900 à la Humboldt-Universität). Il s’agit ici d’une partition résolument tonale, parfois descriptive ou même pittoresque, et qui n’hésite pas (non sans un certain sens de l’humour) à faire appel aux bonnes vieilles recettes de l’opéra de papa : malédictions, duos d’amour (contre-ut à la clé), sermon paternel, quintette endiablé, chant solitaire près de l’étang, tout y passe. Pourtant, l’oeuvre ne laisse pas de paraître intéressante, et ne vaut sans doute pas seulement pour ses qualités de pastiche. Très bien écrite pour les voix, superbement orchestrée, on ne s’y ennuie pas une seule seconde malgré son côté un peu déjà vu. On peut cependant se demander si cette bonne impression tiendrait toujours après une deuxième écoute*.

La mise en scène de Nicolas Brieger, tout en ne cherchant pas à révolutionner les règles de l’art, distille un charme de plus en plus prenant et en grande partie responsable de la réussite de cette soirée pas gagnée d’avance. Les tableaux centraux nous ont paru les plus réussis. Nichée sous une voûte d’ombre et prolongée par un mince escalier diagonal, la cave à vin du troisième tableau évoque de façon saisissante quelque toile imaginaire de Rembrandt, la bouille de Günter von Kannen y étant pour beaucoup. Après un recours subtil aux écrans de cinéma pour illustrer la fuite angoissée très Blade Runner du secrétaire Thusman, la scène suivante s’achève dans un élégant intérieur triangulaire, qui sous la baguette de Leonhard s’anime alors de manière fort amusante (les deux mauvais prétendants coulissent sur les pilastres, tandis que Manasse et Voswinkel dansent sur un tapis volant !) puis s’ouvre par le fond pour laisser place à un beau ciel walhallesque (celui de la sérénité des amants).

Les chanteurs font tous honneur à leur statut de vedette, en premier lieu Siegfried Jerusalem qui vieillit plutôt bien et s’offre entre deux Parsifal à Dresde le plaisir d’un rôle comique rappelant Mime ou Papageno, dans lequel il révèle d’étonnants talents de comédien. Vocalement, les plus impressionnants sont von Kannen et surtout Trekel, moins pour la splendeur intrinsèque du timbre que pour le mordant et l’intelligence musicale. La seule (relative) déception viendra de la fosse : Daniel Barenboïm semble certes particulièrement inspiré par le côté brillant de cette musique et fait sonner son orchestre de bien belle manière, mais aussi souvent un peu trop fort. Trop sûrs de leur métier pour se mettre à hurler à leur tour, les chanteurs lui lancent tout de même de temps en temps quelques coups d’oeil inquiets, lesquels ne sont malheureusement pas toujours compris.



Thomas Simon

 

 

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