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Beethoven danse (suite)

Baden-Baden
Festspielhaus
10/01/2022 -  et 2, 3 octobre 2022
Beethoven-Projekt II
John Neumeier (chorégraphie, éclairages), Ludwig van Beethoven (musique)
Hamburg Ballett John Neumeier
Klaus Florian Vogt (ténor), Anton Barakhovsky (violon), Mari Kodama (piano), Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern, Simon Hewett (direction musicale)
Heinrich Tröger (décors), Albert Kriemler – A‑K‑R‑I‑S‑ (costumes)


(© Kiran West)


Seconde contribution beethovénienne d’importance de John Neumeier, après le Beethoven-Projekt de 2018 (présenté en résidence à Baden‑Baden en mars 2019), ce nouveau ballet devait initialement être consacré à la Neuvième Symphonie, dans le cadre de l’année de commémoration Beethoven 2020. Un projet de grand format, impossible à maintenir, au vu des exigences de distanciation sanitaire encore en vigueur en décembre 2020, d’où ce programme moins exigeant en effectifs de musiciens, mais qui, même dans cette version allégée, n’a pu être créé à Hambourg qu’en mai 2021, quand fut enfin autorisé le retour d’un effectif clairsemé de spectateurs, restreint au quart de la jauge habituelle. A l’époque, l’événement était de taille, puisque c’était la première fois que le Ballet de Hambourg retrouvait son public, après six mois de fermeture totale.


« Même s’il n’était plus visible, le Ballet de Hambourg est toujours resté en mouvement. Mais il n’y avait plus personne à émouvoir », commentait John Neumeier, très ému ce soir là, au cours d’une brève allocution avant le lever de rideau... (N.B. : poétique ambivalence du verbe bewegen en allemand, « se mouvoir » et « émouvoir »). D’où aussi, à l’époque, une certaine unanimité bienveillante de la critique, à l’égard de ce nouveau projet, chiffré cette fois Beethoven‑Projekt II. Une soirée qui restera au moins historique parce que, au cours des bientôt cinquante ans de présence continue de John Neumeier à Hambourg, c’était la première fois qu’un nouveau ballet avait dû attendre six mois entre sa répétition générale et sa première publique effective.


Qu’en dire, après l’avoir découvert au Festspielhaus de Baden‑Baden, et cette fois dans des conditions tout à fait normales, tant sur la scène que dans la salle ? Sensiblement la même chose que pour le Beethoven‑Projekt vu en 2019 (et qui devrait donc, en principe, s’intituler désormais Beethoven‑Projekt I). On y apprécie comme d’habitude l’extrême professionnalisme de la troupe, invariablement scrutée par l’œil attentif du maître, assis chaque soir à la même place dans la salle. Et on ne peut qu’y constater à nouveau un relatif essoufflement créatif, mais comment, à vrai dire, pourrait‑il en être autrement, Neumeier étant parvenu maintenant à un âge où le renouvellement de l’inspiration peut légitimement faire défaut ? Ici prédomine une impression de délayage, aussi parce que Neumeier s’astreint à chorégraphier des partitions qu’il laisse dans la mesure du possible intégrales. Or il est difficile, sur de telles durées, de ne pas puiser régulièrement dans ce qui finit par apparaître davantage comme un réservoir de procédés déjà vus de multiples fois, que comme des innovations passionnantes.


Ouvrage d’artisan donc, mais à un niveau de professionnalisme intact, a fortiori avec une troupe de danseurs d’une telle qualité. Ici le rôle principal, comme en 2019, est tenu par le jeune Catalan Aleix Martínez, ce qui assure une véritable continuité entre les deux opus. Mais l’incarnation allusive de ce Beethoven réactualisé, en jeans et t‑shirt, témoin de la mise en images de sa propre musique, a pris du poids dramatique. D’espiègle et naïve elle est devenue plus mûre et tendue, avec au premier plan le déchirement de la surdité (très belle image initiale du danseur, la tête appuyée sur le clavier du piano, mais dont le couvercle reste refermé sur les touches et dont il ne parvient à tirer aucun son). Les trois partitions de cette première partie, sont du reste de proches contemporaines du Testament d’Heiligenstadt : Septième Sonate pour violon et piano, Le Christ au mont des Oliviers et Finale de la Vingt et unième Sonate pour piano « Waldstein », un choix clairement signifiant. Le propos est sombre, l’accent étant mis sur les décharges motrices du danseur, tantôt seul, tantôt au cours de pas de deux dont l’affectivité semble constamment perturbée, par un sentiment d’impuissance voire de misanthropie. Etreintes tantôt avec une danseuse d’une bonne tête plus grande que lui, bien‑aimée paraissant d’autant plus lointaine, tantôt avec le sculptural et impérieux Jacopo Bellussi, passages empreints d’un homo‑érotisme plutôt évident.


Une des particularités les plus intéressantes du travail de Neumeier reste son souci d’intégrer les musiciens au cœur des spectacles qu’il conçoit. Donc ici violoniste et pianiste sont placés au coin gauche de la scène, en interaction parfois très étroite avec les danseurs, ce qui laisse cependant Anton Barakhovsky et Mari Kodama imperturbables, et puis aussi ce bel effet de révélation subite de l’orchestre, caché jusque‑là derrière le rideau du fond. Un orchestre dont il est difficile de juger la prestation tout à fait objectivement, du fait d’un positionnement acoustique pas très favorable, mais qui a au moins le mérite d’assurer une présence musicale vivante, sous la direction compétente de Simon Hewett. Et puis enfin la présence, beau luxe pour une intervention d’à peine dix minutes, du ténor Klaus Florian Vogt, qui assume sans aucune difficulté apparente la tessiture tendue de l’air du Christ du Christ au mont des Oliviers : une fantastique démonstration d’élégance, par un chanteur qui décidément se bonifie de plus en plus en mûrissant.



(© Kiran West)


Pas d’entracte, ce qui n’est pas conforme au projet initial mais a été imposé par des contraintes techniques d’occupation horaire du plateau, au cours de ces dix jours de résidence très chargés, mais ce qui aussi, de fait, préserve mieux une certaine tension. Comme pour le Beethoven‑Projekt I, la seconde partie est moins narrative, avec à nouveau une symphonie entière chorégraphiée, cette fois la Septième. Pour Neumeier, s’attaquer à cette « Apothéose de la Danse » constitue un défi évident, mais très bien relevé, grâce à l’appui de tous les piliers de la troupe qui s’y succèdent, de mouvement en mouvement. Toujours le couple mythique Anna Laudere et Edvin Revazov, qui réédite dans l’Allegretto la performance d’une étrange froideur inquiétante qui constituait déjà le point culminant, dans la Marche funèbre, de la Troisième Symphonie, mais aussi l’inépuisable énergie d’Alexandr Trusch, toujours aussi élégant et vif‑argent, en partenariat avec Madoka Sugai dans un irrésistible Scherzo, certainement le clou de la soirée. Et pour le reste, toujours ces grands ensembles kaléidoscopiques dont Neumeier garde le secret, parfois un peu perturbés par des costumes masculins qu’on peut juger d’une élégance discutable.


Accueil triomphal, réservé par un Festspielhaus comble, à l’ensemble de la troupe, danseurs et musiciens compris. Standing ovation immédiate, inondation d’énormes roses blanches sur le plateau, longue file d’admirateurs dans le foyer ensuite, devant le bureau où Neumeier signe aimablement programmes, DVD et souvenirs divers... Après la douloureuse parenthèse covid, la tradition conviviale des traditionnelles résidences du Ballet de Hambourg à Baden‑Baden peut reprendre, avec une chaleur redoublée.



Laurent Barthel

 

 

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