About us / Contact

The Classical Music Network

München

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Strauss chauffé à blanc

München
Nationaltheater
07/28/2022 -  et 31 juillet 2022
Richard Strauss : Die Frau ohne Schatten, opus 47
Eric Cutler (Der Kaiser), Camilla Nylund (Die Kaiserin), Michaela Schuster (Die Amme), Bogdan Baciu (Der Geisterbote), Eliza Boom (Hüter der Schwelle des Tempels), Mirjam Mejak (Die Stimme des Falken), Evan LeRoy Johnson (Erscheinung eines Jünglings, Der Bucklige), Lindsay Ammann (Eine Stimme von oben), Michael Volle (Barak), Nina Stemme (Färberin), Tim Kuypers (Der Einäugige), Christian Rieger (Der Einarmige), Eliza Boom, Mirjam Mejak, Jessica Niles, Daria Proszek, Yajie Zhang, Lindsay Ammann (Stimme der Ungeborenen, Kinderstimmen), Andrew Hamilton, Theodore Platt, Roman Chabaranok (Stimme der Wächter der Stadt), Eliza Boom, Mirjam Mejak, Lindsay Ammann (Dienerinnen)
Chor und Kinderchor der Bayerischen Staatsoper, Stellario Fagone (chef de chœur), Bayerisches Staatsorchester, Sebastian Weigle (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors, costumes), Felice Ross (lumières), Denis Guéguin (vidéo), Kamil Polak (animation vidéo)


(© Wilfried Hösl)


Production de près de dix ans d’âge maintenant, la Frau ohne Schatten de Krzysztof Warlikowski n’a pris aucune ride, et l’Opéra de Munich s’arrange toujours pour la reprogrammer avec des distributions tellement alléchantes qu’elles donnent immédiatement envie de retenter l’aventure. Que dire de plus, à propos de cette formidable machine scénique, que l’on voit pour la troisième fois, si ce n’est qu’elle garde un pouvoir d’envoûtement intact, certes toujours encombrée des mêmes tics warlikowskiens immédiatement reconnaissables, mais qui fonctionnent. En 2017, lors d’une reprise précédente, on soulignait la poésie du projet d’ensemble, véritable travail d’équipe où la fluidité du dispositif scénique, des éclairages et de l’usage de la vidéo nous transporte dans un « ailleurs » propice à l’écoute, sans forcément se poser davantage de questions sur la pertinence relative de tel ou tel élément. Et c’est exactement la même impression de théâtre qui passe en force, en une seule coulée impérieuse, qui prévaut encore aujourd’hui.


Entre‑temps, Kirill Petrenko, l’autre atout maître de cette production, a quitté Munich, et il était prévu que ces deux soirées de reprise festivalière soient dirigées par Valery Gergiev. Pourquoi ce choix, et non le directeur musical de l’Opéra de Francfort, Sebastian Weigle, qui avait déjà eu l’occasion de diriger cette même production de La Femme sans ombre à Munich en 2014, et qui est tout simplement, avec Kirill Petrenko, le meilleur spécialiste actuel de cet ouvrage difficile ? Le star‑système a parfois ses (mauvaises) raisons. Mais Valery Gergiev ayant subitement disparu des écrans radars occidentaux ce printemps, suite à la crise que l’on sait, c’est heureusement à nouveau Sebastian Weigle qui a pu prendre le relais, avec exactement le résultat espéré : une lecture extraordinairement compétente, par un chef qui connaît l’œuvre dans ses plus infimes détails. Et l’Orchestre de l’Opéra de Munich restant, avec Dresde et Vienne, l’une des trois meilleures phalanges straussiennes au monde, la combinaison entre la beauté de l’instrument et la précision de la direction produit constamment des étincelles grisantes. On ne se lasse pas d’écouter les alliages sonores magiques qui sortent de la fosse, l’intégration surnaturelle des cuivres dans des textures constamment mouvantes, sans parler de quelques passages d’une intensité véritablement cataclysmique. Weigle contrôle peut‑être l’ensemble avec une emprise moins totale que Petrenko, notamment au troisième acte, où quelques signes de fatigue s’installent fugacement, la masse sonore perdant ici ou là un peu de son velours, mais le calme souverain dont il fait constamment preuve, même au cœur de la mêlée, assure à la soirée une formidable sécurité. Là aussi, il n’y a plus qu’à se laisser emporter, et à ressortir de la salle abasourdi, après chaque acte, les jambes un peu flageolantes.


Plateau vocal de rêve, sans doute le plus beau que l’on ait pu entendre dans cette production, dominé par un quatuor vocal de tête à tomber à la renverse : au sens propre à la fin, où les quatre nous bombardent ensemble d’un assaut de décibels digne d’un concert de heavy metal, mais partout ailleurs par un chant prodigieux d’intensité mais aussi doté d’un éventail beaucoup plus subtil de nuances. Camilla Nylund prend de plus en plus d’ampleur en Impératrice, son chant, cristal et porcelaine au début, résonances humaines bouleversantes ensuite, pouvant rivaliser aujourd’hui avec celui des plus grandes titulaires du passé. Eric Cutler, remplaçant de dernière minute dans le rôle de l’Empereur, est lui aussi en train de mûrir : la projection reste davantage raisonnable que renversante, mais l’incarnation sait trouver son juste poids, et surtout rester d’une constante musicalité. Et que dire d’un couple de teinturiers de référence : Michael Volle en Barak, impressionnant d’humanité, avec exactement l’humble prestance qui sied au rôle (au rideau final, la salle l’ovationne d’un véritable rugissement de gratitude, pour ces moments effectivement inoubliables), et Nina Stemme, dans une forme olympique, capable d’atteindre, dans sa grande scène de ménage du II, des moments de folie totalement délirants.


En 2017, les quatre titulaires, à l’exception de Wolfgang Koch, autre Barak de référence, rutilaient moins, ce qui permettait à la Nourrice de Michaela Schuster de s’imposer avec davantage de relief. Ce soir, sollicitée elle aussi au pied levé, pour remplacer Mihoko Fujimura, Michaela Schuster paraît en revanche batailler avec un instrument fatigué, affecté de nombreux trous d’air qui l’empêchent de soutenir correctement sa déclamation. Certes le rôle convient bien à des voix en fin de carrière, mais à condition que la dégradation relative du timbre soit compensée par une profération du texte d’une intensité intacte ; or ici, au moins ce soir, ce n’est pas toujours le cas, même si scéniquement l’interprète reste extrêmement crédible. Quant aux nombreuses autres voix de La Femme sans ombre, qu’elles soient sur le plateau ou en coulisses, l’Opéra de Munich les distribue comme toujours sans défaillance, même si on a connu des Messagers des esprits d’un relief plus marquant que Bogdan Baciu, relativement neutre.



S. Weigle, N. Stemme (© Wilfried Hösl)


Au rideau final, après les premiers saluts, l’intendant Serge Dorny arrive sur scène, nanti d’un long discours à lire sur une série de petits papiers, et d’une grande chemise cartonnée à diplôme pour annoncer la nomination de Nina Stemme au titre honorifique de Bayerische Kammersängerin, distinction décernée par l’Opéra de Munich aux stars du chant qui l’ont marqué avec le plus d’intensité. Acclamations, standing ovation, discours ému, en anglais, de la récipiendaire : un petit supplément de chaleur encore, pour une soirée que, décidément, on n’oubliera pas !



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com