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Les soirées dans Grenade

Granada
Teatro del Generalife
07/08/2022 -  et 9*, 10* juillet 2022




Le soixante et onzième Festival de musique et de danse de Grenade a été long, riche, avec des œuvres et des interprètes de haut niveau. Musique classique, baroque, moderne, mais aussi un large espace pour le flamenco. Des concerts en plusieurs lieux de l’ensemble extraordinaire que forment l’Alhambra et ses jardins du Generalife, mais aussi dans les églises, les couvents et les théâtres de la ville, l’auditorium La Chumbera, le Corral del Carbón, la Plaza de los Aljibes. Des classes de maître de musique et de danse. Et la célébration d’un centenaire très important de la culture espagnole du XXe siècle, le concours de cante jondo de 1922, stimulé à l’époque par Manuel de Falla, Federico García Lorca et d’autres artistes et intellectuels de ce moment lumineux de la vie culturelle espagnole : Santiago Rusinol, Manuel Angeles Ortiz, Ignacio Zuloaga, Ramón Gómez de la Serna, Kurt Schindler, Edgar Neville et Ramón Pérez de Ayala, entre autres. Un moment lumineux, il faut malheureusement le rappeler, qui allait s’épanouir pendant la IIe République espagnole, mais écrasé par la guerre civile et la victoire de la réaction. Heureusement, les premiers concert de ce que deviendra le festival ont commencé en 1952.


Les noms de cette édition 2022 du festival sont trop nombreux. Et nous n’avons été présents que les trois derniers jours. Une clôture extraordinaire, d’ailleurs. Ce n’était pas un pari, mais la certitude de jouir de ces cinq spectacles : le London Symphony, Pires et Gardiner étaient un pari gagné d’avance, mais on attendait beaucoup du spectacle de danse de Patricia Guerrero, et aussi des deux sessions Biber de Lina Tur Bonet. Mais les attentes et les espoirs n’ont pas du tout été déçus au vu de ce qu’ont offert ces deux artistes espagnoles.


Teatro del Generalife, 8 juillet 2022
Deliranza
Patricia Guerrero (chorégraphie, direction artistique, mise en scène), Dani de Morón, Oscar Alvarez, Agustín Diassera, Sergio « El Colorao », Amparo Lagares (musique)
Patricia Guerrero, Martí Corbera, Maise Márquez, Gloria del Rosario, Ana Pérez, Hugo Sánchez, Angel S. Farina, Fernando Jiménez (danseurs)
Sergio « El Colorao », Amparo Lagares (chant), Agustín Diassera (percussion), Oscar Alvarez (claviers), Dani de Morón (guitare et direction musicale)
Juan Dolores Caballero « El Chino » (mise en scène, dramaturgie), Pablo Arbol (costumes), Manuel Madueno Son, Rafael Pipió (lumières)



P. Guerrero (© Fermín Rodríguez)


Deliranza est un ballet avec un argument plus ou moins concret. La séquence est chorégraphiée et dansée par Patricia Guerrero, dont la carrière pourtant jeune lui a déjà valu le prix national de danse en 2021. Ce ballet inspire des sensations, des idées, nous fait participer à ces délires qui donnent le nom au spectacle (le rêve même, l’action et le conflit du rêve : mourir, dormir, rêver peut‑être), même si l’on ne peut pas suivre la souplesse, l’agilité du zapateado et la vivacité des ombres, des ombres rêvées, des ombres entrevues, devinées. Au moins, le spectateur peut battre la mesure, même si parfois cela n’a pas une apparence de sens de la mesure parce que, après tout, c’est la logique du rêve. Et le flamenco, la danse gitane, sont l’essence et la présence de ce spectacle époustouflant.


Son parcours est une migration qui emprunte aux autres disciplines de la danse, comme la « danse contemporaine ». Un parcours artistique qui adapte, qui vole pour aboutir avec succès à une expérience tout à fait neuve, d’une beauté stylisée, émouvante et classique en même temps. Alors, peut‑on parler d’avant‑garde ? On peut assurer que Deliranza est avant‑gardiste, parce qu’il se trouve devant le reste des troupes. Patricia Guerrero, danseuse, et sa troupe ont réussi largement en expérimentant cette inoubliable histoire dansée. Pour emprunter les mots d’une spécialiste, Sara Arguijo (DeFlamenco.com), « Patricia Guerrero est une bête de scène. Une bailaora d’une force surnaturelle, doté d’une incroyable capacité d’interprétation et de ressources infinies. »


Je crois qu’on peut s’avancer à prétendre que le zapateado est comme l’union de deux beautés, de deux grâces. Un beau corps humain devenant un instrument de percussion. Un corps de ballet (sept artistes formidables) devenu aussi percussion, un petit ensemble dont la danse est la percussion. Mais c’est une percussion rythmée, des notes brèves ; les pieds, en dansant, n’admettent pas des blanches, seulement des notes brèves. A contretemps, qui plus est, en dehors de la mesure, à la manière des syncopes accolant les notes d’une mesure à l’autre. Le contretemps est un marqueur du flamenco : par exemple, las palmas a contratiempo (percussion agile et excitée des mains accompagnant le chant ou la danse).


Pour disposer d’une vision complète et exacte de Deliranza, il faudrait s’étendre sur les images, voire les énigmes posées par la chorégraphie. Une heure et demie vertigineuse se promenant par les palos du flamenco (un palo chante, danse, formule avec une expressivité différente aux autres, et il semble qu’il y en ait plus de cinquante : la soleá dramatique, la granadina mélismatique...), mais les palos sont stylisés, un échange de tradition et modernité. Et il ne faut pas oublier la fantaisie expressive des costumes, batas de cola, ternos negros. Les voix perçantes de Sergio « El Colorao » et Amparo Lagares étaient des instruments augmentés d’un caractère poétique au sein du petit ensemble de musiciens au service de ce beau projet nommé Deliranza. Dans ce compte rendu, on veut surtout témoigner d’un étonnement. On en attendait beaucoup, mais pas tant que cela, tantissime.


Monasterio de San Jerónimo, 9* et 10* juillet
Heinrich Ignaz Franz von Biber : Sonates du Rosaire
MUSIca ALcheMIca: Andrew Ackerman (violone), Sara Agueda (harpe), Jadran Duncumb (théorbe), Javier Núnez (clavecin), Daniel Oyarzabal (orgue), Lina Tur Bonet (violon et direction)



(© Fermín Rodríguez)


De même pour les deux journées (matinées) de Lina Tur Bonet avec MUSIca ALcheMIca, une violoniste et un groupe qui ont été résidents lors de la dernière saison du Centre national de diffusion musicale. C’est un parcours par les Sonates du Rosaire – le Rosaire, composé de mystères, qu’on prie avec un chapelet (vers 1676) – de Heinrich Ignaz Franz von Biber (1644‑1704). On ne connaît pas le titre donné par le compositeur, et on le dénomme ainsi en raison de la séquence des mystères : les mystères joyeux (Sonates 1-5), les mystères douloureux (Sonates 8-10), les mystères glorieux (Sonates 12-15), en concluant avec une Passacaglia pour violon seul. Mais il ne s’agit pas de sonate da chiesa, plutôt de suites de danses adaptées aux nuances des épisodes et à ce qu’ils suggèrent (Annonciation, Visitation, Nativité..., la couronne d’épines, Jésus avec la Croix..., Résurrection, Ascension...), et on peut parler de musique pleine de nuances dramatiques (au‑delà des nuances de la musique) mais il serait anachronique d’avancer qu’il s’agit d’une musique descriptive.


Le très bel essai de Pablo J. Vayón pour le programme de salle parle de la scordatura. Et Lina Tur Bonet, avec pas moins de quatre violons pour toute la diversité des sonates, a elle‑même insisté sur ce concept. Parce que la scordatura (« l’accord non conventionnel des cordes du violon afin d’obtenir des harmonies, des couleurs ou des effets impossibles à réussir d’une autre façon », Pablo J. Vayón) joue un rôle essentiel dans les changements d’accord tout au long de la série des sonates. Enfin, il est trop tôt dans l’histoire de la musique pour pouvoir parler de normalisation des mouvements de la sonate, et c’est pour cette raison que nous avons l’impression de nous trouver face à des suites. Les interventions parlées de Lina Tur Bonet faisaient preuve d’enthousiasme pédagogique, mais très bien ancré dans sa propre réalisation du continuo, de l’orchestration pour ainsi dire : violon soliste avec clavecin, violone, harpe, théorbe, orgue. Très souvent, le violon avec un seul instrument comme continuo, couleur, accompagnement, soutien... Un des secrets réside dans le concept de fantaisie, comme une sorte de « délinquance harmonique » assurant les effets dramatiques.


La beauté de la réalisation, l’éclat des interprétations, l’imposante église du monastère de San Jerónimo avec une formidable acoustique, tout cela a fait que ces deux sessions à 12 heures 30 le samedi et le dimanche ont été un des événements importants du festival, qu’il faudra impérativement entendre en d’autres lieux (et cela a commencé déjà, heureusement). Lina Tur Bonet est une artiste de premier ordre et une musicologue réussissant l’édition pas aisément accessible des Sonates de Biber. Mais elle a eu la chance de disposer d’une équipe de musiciens de premier ordre, et elle‑même leur a rendu hommage et témoigné de sa reconnaissance pendant les rappels. Si je ne me trompe, et si l’on ne pense pas que j’exagère un peu, elle a adressé des gestes de vénération à Andrew Ackerman. Il faut enfin signaler l’enregistrement de cette expérience paru chez Pan Classics.


Palacio de Carlos V (Alhambra), 9* (#) et 10* juillet 2022
Ludwig van Beethoven : Ouverture Léonore II, op. 72a – Concerto pour piano n° 3, op. 37 – Symphonie n° 4, op. 60 (#)
Franz Schubert : Rosamunde, D. 797 : Entractes 2 et 3
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 27, K. 595
Piotr Ilyitch Tchaikovski : Symphonie n° 2 « Petite Russie », opus 17

Maria João Pires (piano)
London Symphony Orchestra, John Eliot Gardiner (direction)



M. J. Pires, J. E. Gardiner (© Fermín Rodríguez)


Les deux concerts de clôture du festival ont constitué, on l’a déjà dit, un finale triomphal. On n’attend moins de la présence du Symphonique de Londres, dirigé par Gardiner, avec Maria João Pires. Que dire de ces deux concerts sans tomber dans la piège de la ritournelle ? Il y a eu des moments excellents et des moments magiques. La magie de Pires dans les deux mouvements lents du Troisième de Beethoven et du Vingt‑septième de Mozart, étonnante toujours chez cette interprète exquise, même si on connaît bien son niveau exceptionnel, que l’âge n’atteint pas. La magie de Gardiner et de l’orchestre dans la Quatrième de Beethoven, pour laquelle il a une prédilection, magie particulièrement perceptible dans le Finale (Allegro ma non troppo), avec ses crescendos obstinés, culmination de l’énergie et vitalité de l’interprétation de l’œuvre.


Cette vitalité, ce feu se sont retrouvés le second soir dans la Deuxième de Tchaïkovski, également une page préférée du chef. On sait bien que le titre traditionnel de cette symphonie est « Petite Russie », mais Gardiner considère (et il l’a expliqué au public de la soirée) qu’il s’agit d’une symphonie pleine de thèmes ukrainiens et que ce sous‑titre, qui ne lui a pas été donné par le compositeur, n’était pas adéquat. Ce n’est pas ici le lieu de faire de commentaires sur la dramatique situation du peuple ukrainien face à la Russie, la grande Russie. Ici aussi, le Finale a été le meilleur moment d’une prestation qui n’a pas toujours été un modèle d’équilibre.


On laisse pour la fin un autre moment magique, le bis, devenu la véritable clôture du festival : le Scherzo du Songe d’une d’été de Mendelssohn, une pièce dont l’ostinato et le crescendo trouvaient leur pendant dans les moments délicats, exquis eux aussi.


Le site du Festival de Grenade



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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