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Un jeune pianiste de 70 ans

Paris
Salle Gaveau
06/15/2022 -  
Improvisation sur des thèmes de Bortkiewicz et Rachmaninov
Johann Sebastian Bach : Prélude en do mineur (Fantasia), BWV 921
Joseph Haydn : Sonate en do majeur, Hob. XVI:35
Franz Schubert : Klavierstück en mi bémol, D. 946 n° 2 – Ständchen, D. 957 n° 4 (arrangement Liszt, S. 559a)
Franz Liszt : Csárdás obstinée, S. 225/2
Frédéric Chopin : Valse en ut dièse mineur, opus 64 n° 2 – Fantaisie-Impromptu, opus 66 – Polonaise n° 6 « Héroïque », opus 53
Camille Saint‑Saëns : Le Carnaval des animaux (transcription Lucien Garban et Cyprien Katsaris) – L’Assassinat du duc de Guise, opus 128 (transcription Léon Roques)

Cyprien Katsaris (piano)


C. Katsaris (© Capucine de Chocqueuse)


Un récital de Cyprien Katsaris est toujours une passionnante aventure pianistique. Qu’il me pardonne, mais je dirais bien qu’il est l’un des derniers des Mohicans... A l’heure où certains pianistes vous susurrent des récitals édulcorés, maniérés, presque vegan, Cyprien Katsaris propose des programmes dignes des stars du piano de la première moitié du XXe siècle. Généreux, copieux, avec des « tubes » que l’on aime entendre en concert et qu’on aime le voir jouer. Mais ce n’est pas tout… Il y a la place aussi pour ces grandes transcriptions pianistiques qui le singularisent, lui, le découvreur, le musicien inlassablement gourmand, passionné et curieux qui laisse au disque le plus grand corpus d’œuvres rares et oubliées jamais enregistrées.


A Gaveau, ce mardi 15 juin, Cyprien Katsaris célébrait ses 70 ans. Il commence par prendre la parole, il aime parler au public, autant par ses mots qu’avec ses mains... Son incroyable science du clavier reste toujours intacte, d’ailleurs, après cinquante ans de carrière. « Je suis contre tous les boycotts culturels en général et musicaux en particulier et, en pensant notamment aux artistes russes qui sont mis à l’index – ce que je trouve scandaleux puisque la musique a pour fonction de réunir les peuples –, je vais improviser sur des thèmes de deux Serge, Bortkiewicz, l’Ukrainien, et Rachmaninov, le Russe. » Adroitement mêlés, les thèmes de certains concertos de Rachmaninov ainsi que de pages de Bortkiewicz, dont Cyprien Katsaris avait signé en 2001 un CD en première mondiale, se côtoient dans une étincelante ouverture.


Construite très classiquement, de Bach à Liszt et Chopin, la première partie de ce récital se poursuivait avec l’une de ces pages énigmatiques – peu fréquentées par les pianistes – dont Bach a le secret. Avec son introduction en manière d’improvisation, où le Bechstein D déploie des sonorités d’orgue, ce court Prélude en do mineur (Fantasia) chemine de manière capricieuse en divers épisodes répétitifs où Cyprien Katsaris ne manque pas de rompre ce que cette œuvre pourrait avoir de monotone par des jeux de nuances évoquant les changements de claviers du clavecin.


La Sonate en do majeur de Haydn, pétillante, presque primesautière, s’épanouit dans toute sa fraîcheur ; chaque reprise offre un éclairage nouveau, un détail qui nous aurait échappé à la première écoute, ornementation, voix intérieures. Abordé avec beaucoup d’humilité et de raffinement, l’Adagio, très profond, nous enchante.


L’art de chanter du pianiste s’exerce particulièrement dans le Deuxième des Klavierstücke D. 946 de Schubert. Véritable lied pour piano, cette page oppose un refrain tendre et paisible, joué avec une infinie délicatesse, sans le moindre chichi, à un premier couplet, rendu de manière orageuse et fiévreuse, volontairement angoissante, en soulignant particulièrement les chaotiques accents rythmiques, puis à un deuxième couplet, grande phrase lyrique inquiétante s’apparentant à une longue déploration. Très inspiré, Cyprien Katsaris aborde le dernier refrain comme dans un rêve éveillé. Avec la transcription par Franz Liszt de la célèbre Sérénade de Schubert, nous sommes séduits particulièrement par les effets d’écho, évoquant une troisième main...


Arme redoutable pour foudroyer le public, la Csárdás obstinée de Liszt, à laquelle le pianiste apporte quelques effrayantes coquineries personnelles – notes répétées imitant le cymbalum, jeu d’octaves cinglant, cadence zébrant tout le clavier, contretemps alla ungarese, appogiatures tziganes – que Győrgy Cziffra n’aurait pas désavouées, enthousiasme la salle.


La Valse opus 64 n° 2, la Fantaisie-Impromptu et la Polonaise « Héroïque » de Chopin permettent à Cyprien Katsaris de déployer toute son imagination et d’éclairer ces pages célèbres de reflets personnels, notamment dans l’art des contrechants, et de projeter des visions tour à tour passionnées, intensément lyriques, extrêmement communicatives. De ce jeu original, généreux et captivant, on perçoit surtout cette envie, cette nécessité de partager ce que cet infatigable travailleur entend au fond de lui.


La seconde partie s’ouvrait sur Le Carnaval des animaux de Saint‑Saëns dans la transcription de Lucien Garban et Cyprien Katsaris, qui fait l’objet d’une récente parution discographique. (Piano 21 064) L’œuvre prend ici un tour tout à fait nouveau, débarrassée de ses commentaires, elle gagne en efficacité ; on se concentre davantage sur cette magnifique et ingénieuse musique. Cyprien Katsaris y est comme un poisson dans l’eau, chaque pièce y respire l’intelligence, la complicité, l’humour ; la maîtrise pianistique est transcendante, flamboyante, les sonorités rutilantes, et la joie de jouer vraiment partagée...


Pour terminer ce programme, Cyprien Katsaris s’est mué en pianiste de cinéma muet avec la projection et l’accompagnement en direct du court métrage d’André Calmettes et Charles le Bargy, L’Assassinat du duc de Guise. Si l’œuvre n’est sans doute pas musicalement impérissable, le grand intérêt était de visionner cette archive restaurée récemment. Fresque un peu grandiloquente, tournée en 1908, qui fut le premier film relatant un événement historique, elle fait de Saint‑Saëns, alors âgé de 73 ans, le premier compositeur pour le cinéma. Une pléiade d’acteurs célèbres, qu’il est émouvant de voir, Albert Lambert, Berthe Bovy, Charles le Bargy, Gabrielle Robinne, Albert Dieudonné, ajoute au charme de cette projection.


Répondant aux applaudissements sincères d’une salle conquise où l’on remarquait avec bonheur la présence d’un nombreux jeune public très enthousiaste, Cyprien Katsaris rendait hommage, par de nombreux bis, à quelques amis présents dans la salle. Improvisant sur une très jolie mélodie d’une jeune chanteuse et compositrice de chansons actuelles, Mélissa Arnaud, poursuivant avec une transcription de Recuerdos de la Alhambra de Francisco Tárrega par Karol Penson, puis avec quelques pages des compositeurs grecs Yannis Constantinidis et Vangelis qu’il affectionne particulièrement et par une Etude dans le style hongrois de Michel Sogny, Cyprien Katsaris, après une ultime ovation, retrouvait dans le hall de la salle Gaveau ses nombreux admirateurs pour une séance de dédicace.



Christian Lorandin

 

 

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