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Eblouissants diamants weberniens

Paris
Cité de la musique
06/17/2022 -  
Johann Sebastian Bach : Das musikalische Opfer, BWV 1079 : Fuga (2. Ricercata) a 6 voci (transcription Anton Webern)
Anton Webern : Cantates n° 1, opus 29, et n° 2, opus 31
Johannes Maria Staud : Once Anything Might Have Happened (création)
Philippe Manoury : Passacaille pour Tokyo

Sophie Burgos (soprano), Hanno Müller‑Brachmann (basse), Jean‑Christophe Vervoitte (cor), Hidéki Nagano (piano), Dionysios Papanicolaou (électronique Ircam)
Ensemble Aedes, Mathieu Romano (chef de chœur), Ensemble intercontemporain, Orchestre de chambre de Paris, Matthias Pintscher (direction)


H. Nagano, P. Manoury, M. Pintscher (© Quentin Chevrier)


Après le Trio opus 20 et le Quatuor opus 28 donnés le vendredi précédent, Anton Webern a de nouveau les honneurs du festival ManiFeste avant la création attendue de Johannes Maria Staud, figure de proue de la scène musicale viennoise.


Préambule idéal à tout concert, le Grand Ricercar n° 2 de L’Offrande musicale, transcrit pour orchestre de chambre par Webern en 1935, dénote l’esprit contrapuntique et polyphonique du compositeur. Son propos ? « ...mettre à nu les relations motiviques ». Chaque instrument est chargé de fragments d’une ligne mélodique qu’on entend et voit (magie du concert) transiter d’un point à l’autre de l’orchestre. Cette Klangfarbenmelodie greffée sur Bach exercera, on le sait, une influence décisive sur Sofia Goubaïdoulina (Concerto pour violon Offertorium, 1980). Interprétation d’une lisibilité parfaite et d’une grande cohésion entre les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris (OCP) et de l’Ensemble intercontemporain (EIC) : tout regorge d’essentiel, des notes initiales du trombone aux portamentos (viennois) du violon.


Boulez disait regretter que Webern ait choisi Hildegarde Jone plutôt qu’Emily Dickinson, dont le génie poétique évolue à une tout autre altitude. L’univers respectif des deux poétesses partage, il est vrai, plus d’un trait commun, telles leur inspiration mystique et la présence du mot « abeille ». La Cantate n° 1 (1939) se présente à l’écoute comme une mosaïque de petits éclats pris en charge par divers instruments. Mais le discours verse moins dans le pointillisme qu’il ne met en exergue la régularité architectonique et la pureté minérale de la structure. Matthias Pintscher demeure attaché aux prodiges sonores de la partition, déclinés en cuivres bouchés et autres frémissements des percussions avant l’entrée explosive du Chœur Aedes, idéalement préparé par Mathieu Romano : on ressent le soin accordé à la ferveur, à l’expression. La soprano évolue dans un environnement à la fois scintillant et oppressant, que prolonge une partie d’une difficulté redoutable, presque dilacérée entre les registres extrêmes. Sophia Burgos s’y illustre avec une facilité déconcertante.


La Cantate n° 2 (1943), désignée comme l’une des œuvres phares du sérialisme par les compositeurs d’après‑guerre, commence d’une manière très étrange. Le climat rappel celui, fantasmagorique, de la troisième partie des Gurrelieder de Schoenberg. Il faut dire que la basse Hanno Müller‑Brachmann instille une manière d’expressionnisme poisseux en vertu d’une vocalité incarnée, diseuse, mais aussi éruptive quand il le faut. La battue ondulée de Matthias Pintscher s’accorde à la voix de liane Sophia Burgos avant le très émouvant et testamentaire canon final, au chœur. Une acuité d’écoute est requise pour percevoir l’art orchestral dont fait preuve Webern dans cette cantate à la nomenclature plus diversifiée que la précédente, en particulier au niveau des bois (piccolo, cor anglais, clarinette basse, saxophone alto). Matthias Pintscher veille à instaurer une entente plus que cordiale entre l’OCP et l’EIC.


Once Anything Might Have Happened s’appuie sur des poèmes de William Carlos Williams, dont Johannes Maria Staud (né en 1974) prit connaissance à la faveur du confinement. « C’est un mélange constant et en temps réel, on ne sait jamais vraiment quand on passe du son réel au son électronique », précise‑t‑il au sujet de sa pièce pour soprano, cor, ensemble et électronique. Si les phénomènes de mimétisme abondent entre les différentes sources et modes de jeu, le résultat s’avère mitigé. N’ont pas été suffisamment exploitées les qualités des deux interprètes, noyés dans un maelstrom envahissant, sinon tonitruant. On y entend des bruits de marécage, de bouche, de gorge, d’embouchure frappée par la paume de la main. L’ensemble instrumental éclate par endroits d’une frénésie collective au cours de laquelle certains musiciens (joueur de célesta) sont sommés d’actionner des percussions. On devine les lèvres de Jean‑Christophe Vervoitte très sollicitées, mais on retient surtout la prestation de Sophie Burgos, chanteuse-récitante et vecteur ignée des beaux poèmes de Williams.


Après cette parenthèse inaboutie, la Passacaille pour Tokyo gagne une nouvelle fraîcheur ; c’est peu dire qu’elle porte bien ses vingt‑huit ans ! Dans cette œuvre pour piano et dix‑sept instruments inscrite depuis longtemps au répertoire de l’EIC, Philippe Manoury (né en 1952) revisite une forme musicale ancienne avec les lunettes contemporaines. L’enjeu ? La combinaison de deux dimensions contradictoires, à savoir « une structure de base qui ne varie jamais avec un discours qui est en continuelle évolution ». Le motif matriciel de la passacaille se voit projeté dans des miroirs de plus en plus déformants au cours de diverses transformations. La réitération jointe au rôle nodal du mi bémol agit comme autant de balises pour l’écoute. De la belle ouvrage, dont la partie soliste pour le moins athlétique est jouée avec maestria par Hidéki Nagano : on en prendra pour exemple groupes-fusées zébrant toute l’étendue du clavier et la fascinante cadence, où ses doigts font ressortir les notes pivots au sein de divers îlots d’accords.



Jérémie Bigorie

 

 

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