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Mireille et Lucia, même combat

Metz
Opéra-Théâtre
06/03/2022 -  et 5, 7* juin 2022
Charles Gounod : Mireille
Gabrielle Philiponet (Mireille), Julien Dran (Vincent), Régis Mengus (Ourrias), Pierre‑Yves Pruvot (Ramon), Vikena Kamenica (Taven), Ana Fernández Guerra (Vincenette), Bertrand Duby (Ambroise, Le passeur), Aline Le Fourkier (Clémence), Ornella Bourelly (Voix d’en‑haut), Albane Lucas/Jade Schoenhentz‑Kzink (Andreloun), Ballet de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz
Chœur de l’Opéra‑Théâtre de l’Eurométropole de Metz, Nathalie Marmeuse (direction), Orchestre national de Metz, David Reiland (direction musicale)
Paul-Emile Fourny, (mise en scène), Benito Leonori (décors), Giovanna Fiorentini (costumes), Patrick Méeüs (lumières), Aurélie Barré (chorégraphie)


J. Dran, G. Philiponet, G. Erhardt-Kotowich
(© Luc Bertau/Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz)



On sait gré à Paul‑Emile Fourny d’avoir remonté Mireille, le tendre ouvrage de Gounod étant assez rare sur nos scènes. Il l’aime tant qu’il a conçu une nouvelle mise en scène, après celle qu’il avait créée à Nice en 2001 et Toulon en 2007. La naïveté consubstantielle à l’œuvre pousse la plupart du temps les metteurs en scène à en faire une « carte postale » de la Provence, mais cette fois le metteur en scène belge y échappe en grande partie, prenant plutôt le parti du symbole pour cette nouvelle mise en scène. Il s’est inspiré, avec son décorateur Benito Leonori, du projet de Red Dress de Kirstie MacLeod, une impressionnante robe rouge brodée portant la signature de centaines de petites mains des quatre coins du monde, devenue une plateforme exprimant les histoires des femmes marginalisées : ainsi Fourny aborde‑t‑il la thématique centrale de l’ouvrage, les abus de la société patriarcale, rejoignant le sujet très actuel de la violence faite aux femmes. Cette robe devient le fil directeur de la scénographie : le chœur des magnanarelles cueilleuses au premier acte devient un atelier de tissage dont le métier est un ensemble de deux grandes barres de métal qui passent l’une devant l’autre au‑dessus des choristes, et dont les fils rouges retombent jusqu’à chacune, tandis que Clémence porte la robe rouge. Puis Mireille porte une robe rouge au second acte, et au troisième, la robe, devenue géante, est le seul décor du mas des Micocouliers, relevée par des fils à ses bords pour symboliser par ces pointes un grand feu de la Saint‑Jean, et vivifiée par les lumières de Patrick Méeüs pour devenir un mélange de feu et de sang comme la robe de Lucia de Lammermoor. Puis Mireille porte la robe rouge initiale comme on porterait une croix, dans le désert de la Crau. Enfin, à l’acte V, les fils rouges symbolisent la chapelle haute de l’église romane des Saintes‑Maries de la mer (le parallèle avec les Parques serait parfait si les fils tombaient, comme coupés, à la mort de l’héroïne), tandis que Mireille apparaît comme une icône dans la robe rouge, avant de s’effondrer. Cet ensemble symbolique très cohérent nous éloigne de la vision illustrative traditionnelle, et seul le décor du deuxième acte, représentant les arènes d’Arles de façon réaliste à la manière des anciens cartons‑pâtes, nous y ramène. Les autres costumes de Giovanna Fiorentini sont plus traditionnels, et nous renvoient à la Provence de l’époque de la création. La tournette de l’Opéra‑Théâtre est habilement utilisée pour les mouvements de foule au deuxième acte, et pour l’air de la Crau, où seul un arbre mort occupe la scène, et permet la longue marche de Mireille, sous un violent soleil projeté. Le Val d’Enfer est quasi nu, symbolisé par une seule image de vagues en arrière‑fond, tandis que le passage du Rhône, si périlleux à mettre en scène, est l’occasion pour les danseurs du ballet de l’Opéra‑Théâtre de l’Eurométropole de Metz de se mettre en valeur : les femmes sont des ondines dont les mouvements de bras et de cheveux imitent les vagues du fleuve, tandis que celui‑ci est symbolisé magnifiquement par une autre robe de soie vert d’eau, immense et moirée, emplissant la scène de vagues de plus en plus fortes qui finissent par engloutir Ourrias (sans doute le moment le plus fascinant de cette mise en scène). On sera moins sensible à la réapparition fréquente du personnage muet du Passeur en gardian qui se transforme en faucheuse lors des derniers instants. Les lumières de Patrick Méeüs sculptent les espaces avec un art pictural, doublées par l’utilisation des fumigènes qui permettent de créer des ambiances particulièrement suggestives dans leur sfumato poétique.


Le directeur et metteur en scène belge a réuni une équipe presque exclusivement francophone pour défendre l’œuvre, à l’exception notable de la Taven de Vikena Kamenika (Dalila ici même en 2018). L’accent marqué de la mezzo albanaise rend d’autant plus étrange le personnage de la sorcière du Val d’Enfer, et le métal de son aigu projeté avec aisance dessine les contours d’un personnage troublant, mieux que son grave quelque peu étouffé. Sa chanson « Voici la saison, mignonne » ne manque pas d’impact au deuxième acte. Parmi les seconds rôles, on notera le très bon Passeur de la basse Bertrand Duby, également émouvant en Ambroise, le père de Vincent, dont il trace finement le portrait humilié. La soprano espagnole Ana Fernández Guerra brille particulièrement en Vincenette, comme le pâtre magnifique de pureté d’Albane Lucas (ou est‑ce Jade Schoenhentz‑Kzink ?) ainsi que la cristalline Voix d’en‑haut d’Ornella Bourelly qui enchante la fin de l’ouvrage. On passera sur le Ramon de Pierre‑Yves Pruvot, dont le vibrato sans contrôle et le timbre éraillé agressent l’oreille, pour évoquer l’Ourrias de Régis Mengus, plus intéressant, malgré des aigus périlleux et un vibrato contrôlé avec beaucoup d’énergie. Après ses couplets peu percutants au deuxième acte, « Si les filles d’Arles sont belles », il creuse les affres du personnage au Val d’Enfer, grâce à une excellente diction appuyée sur des r grasseyés, et un chant qui privilégie le piano pour exprimer les remords du bouvier qui se croit criminel (« Le remords pour jamais est entré dans mon cœur »).


Reste le couple d’amoureux qui, sans une forte incarnation, ramènerait Mireille à une bluette insipide. Gabrielle Philiponet s’attaque crânement à ce rôle long et difficile, auquel manque hélas l’air « Heureux, petit berger » à la Crau. La soprano dispose d’atouts importants pour incarner l’héroïne complexe de Gounod : une virtuosité aisée pour la fin de « Trahir Vincent ! » (« A toi mon âme, je suis ta femme »), un beau lyrisme porté par la lumière de son timbre pour le magnifique duo du deuxième avec Vincent, (splendide « Ah, c’Vincent ! »), et des ressources suffisantes pour l’air terrible de la Crau (« En marche, en marche, ainsi que Maguelonne »). Elle incarne une Mireille très crédible dans ses sentiments et sa ténacité dans l’adversité, et résiste plutôt bien à la tentation du fortissimo. Seul son vibrato qui s’accélère dans l’aigu jusqu’à le vriller, et une diction perfectible sont à mettre à son débit. Son amoureux, le vannier Vincent, est incarné avec finesse et un lyrisme éblouissant par Julien Dran. Rares sont les ténors dotés à la fois d’un grave et d’un bas médium aussi larges et sonores, et d’un aigu aussi sûr. Dès ses premières interventions, le legato s’allie au miel du timbre et à la pureté de la diction pour enchanter l’oreille, et le duo avec Mireille au deuxième acte est un moment de grâce tant par son chant que par son incarnation pudique et modeste du vannier, pleine d’élégance (la façon dont il lance l’ombrelle à Mireille est un joli moment suspendu). Bien sûr, sa cavatine du cinquième acte « Anges du paradis » est un moment exceptionnel, parfait pendant à l’air de la Crau de Mireille, avec une voix mixte idéale, et des diminuendi de rêve (« invoquant les Saintes et Dieu »). On en regretterait que le rôle ne soit pas plus long !


Le Chœur de l’Opéra‑Théâtre de l’Eurométropole de Metz, sous la houlette de Nathalie Marmeuse, très sollicité au cours de l’ouvrage, dès l’air des magnanarelles, devant les arènes d’Arles comme lors de la fête de la Saint‑Jean chez Ramon, ou au dernier acte dans la chapelle, se met en valeur à maintes reprises, d’une cohésion sans faille, délié et clair, d’une belle fusion de timbres, tant chez les hommes que chez les femmes, à la seule exception de la fin du cinquième acte, où l’aigu des soprani se dérobe.


On attendait beaucoup de David Reiland à la tête de l’Orchestre national de Metz, après une excellente Traviata en 2020. Trop ? Après une encourageante Ouverture pleine de lumière et de couleurs, aux rythmes dansants, l’orchestre se désunit trop souvent, les cuivres très à la peine, les bois pas toujours justes ni cohérents. L’enchantement que la partition peut apporter à cette œuvre aux atours souvent surannés dans ses chœurs (« Car la cueillette aime les chants ») comme dans sa fin sulpicienne (« Et la grâce ineffable, et l’ivresse bénie de l’éternel amour ») finit par s’évaporer, faute de maîtrise suffisante de la part d’un orchestre qu’on a connu le plus souvent à un bien meilleur niveau.



Philippe Manoli

 

 

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