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Manoury sur les traces de Stockhausen et Xenakis

Paris
Cité de la musique
06/08/2022 -  et 9 juin 2022
Philippe Manoury : Ring
Misato Mochizuki : Intrusions (création de la nouvelle version)
Marco Stroppa : Come Play With Me

Carlo Laurenzi, Robin Meier (réalisation informatique)
Orchestre de Paris, Lin Liao (direction)


L. Liao, P. Manoury (© Bertrand Desprez ‑ Agence VU')


« Ma conviction est qu’on n’a exploré jusqu’ici qu’un seul modèle pour constituer un orchestre, celui créé à Mannheim vers 1750 que l’on a simplement agrandi, alors qu’il peut en exister beaucoup »  : le diagnostic est cinglant, mais difficile de donner tort à Philippe Manoury (né en 1952) tant les œuvres pionnières de Stockhausen et de Xenakis n’ont jamais vraiment essaimé. Dans Ring (2016), premier volet de la Trilogie Köln (qui comprend In situ et Lab.Oratorium), une partie du grand orchestre (bois par quatre, huit cors, six trompettes, six trombones) est ventilée au premier balcon et au parterre. A l’instar de la Première Symphonie (1974) d’Alfred Schnittke, la musique commence avant que le public ne prenne place dans la salle ; à ceci près que l’« échauffement» obéit ici à un timing précis. C’est tout le côté théâtral du chef d’orchestre (en l’occurrence de la cheffe taïwanaise Lin Liao) que de mettre fin à ce chaos organisé par une gestique appropriée. Et ce vaste maelstrom d’un seul tenant d’embrasser la salle de la Cité de la musique... quitte à s’y sentir à l’étroit : la Philharmonie eût sans doute été plus indiquée pour permettre aux sons de s’éployer avec davantage de plénitude. Les musiciens de l’Orchestre de Paris cherchent moins à s’écouter les uns les autres qu’à préserver leurs tympans au moyen de protections auditives. A défaut de convaincre pleinement par la forme (qu’on qualifiera de durchkomponiert dans la mesure où elle n’obéit à aucun schéma connu), Ring séduit par la synthèse instrumentale – on sent en Manoury un familier des studios. L’absence de l’électronique est compensée par une écriture labile, riche en combinaisons orchestrales diverses qui tirent pleinement partie des phénomènes de spatialisation. On a la sensation d’entendre par moments des instruments amplifiés (cors)... Au cours de ces trois quarts d’heure de musique, défilent tutti fracassants (stridence des deux piccolos) et passages tantôt homorythmiques (on songe au Stockhausen des Momente), tantôt exotiques (maracas). Il n’est pas jusqu’à l’ombre de Parsifal qui ne plane sur la coda. Placé au cœur de cette machine symphonique, le public prend la mesure, s’il en était besoin, des potentialités inépuisables que recèle l’orchestre symphonique.


« Création de la nouvelle version », indique le programme au sujet d’Intrusions (2021/2022). A en croire la (présomptueuse) notice, Misato Mochizuki (née en 1969) a souhaité suggérer le fonctionnement du cerveau, sa manière de traiter les informations. Tempête sous un crâne : pour réduite et pointilliste qu’elle soit par rapport à Ring, la formation, à laquelle s’adjoint une partie électronique, n’en prédilectionne pas moins les nuances extrêmes. Les sonorités de cloches de l’introduction cèdent sans tarder la place à l’orchestre, soutenu par le martellement du piano. L’électronique fait une entrée spectaculaire, avec force cris d’oiseaux (autrement plus agressifs que ceux de Respighi, Messiaen ou Rautavaara). Et la volière de se muer en indomptable ménagerie à mesure que les instruments réagissent par mimétisme. Est‑ce l’arrivée des secours qu’annonce l’hélice tournante d’un hélicoptère ? Dix‑huit minutes éprouvantes et, disons‑le, interminables.


« Chants d’amour et de souffrance pour une utopie déchue », pour électronique solo et orchestre »  : tel est le sous‑titre de Come Play With Me (2016/2022) de Marco Stroppa (né en 1959), donné en création française. Une colonne de sept haut‑parleurs descend du plafond, ex caelis oblatus : le soliste vient de prendre place sur le devant de la scène. A l’instar des autres concertos du compositeur (c’est bien d’un concerto qu’il s’agit), le titre est emprunté à un poème de William Butler Yeats – « une métaphore des dangers encourus par la nature face au genre humain ». Plus que la confrontation en temps réel, c’est le dialogue concertant qui est ici privilégié ; de là l’indépendance des deux entités et le minutage exact des interventions de l’électronique, laquelle écope d’une authentique cadence finale : salle plongée dans le noir, colonne de haut‑parleurs éclairée d’un bleu azur. Un moment tout en suspens, qui tranche sur les deux précédents où fulgurent les sonorités flûtées, les échappées solistes (violon), les martellements des percussions en peau, les notes répétées aux vents, les soufflets de l’accordéon. On regrettera in fine que le tout ne soit pas supérieur à la somme des parties.



Jérémie Bigorie

 

 

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