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Nîmes fête le théâtre musical avec El Cimarrón Nîmes Théâtre (salle de l’Odéon) 05/13/2022 - Hans Werner Henze : El Cimarrón Iván García (baryton)
Ensemble Multilatérale, Carlo Tortarolo (direction musicale)
Viktoria Agarkova, Irina Deryabina (mise en scène)
I. García (© Sandy Korzekwa)
Créée par Antoine Gindt, T&M (Théâtre et Musique), l’Ensemble Multilatérale et quelques partenaires nîmois, l’Académie internationale de mise en scène de théâtre musical réunit une quarantaine de jeunes artistes chapeautés par des professionnels. Point d’orgue de cette première édition qui aura mis à l’affiche, entre autres, L’Histoire du soldat de Stravinsky et Récitations de George Aperghis, El Cimarrón de Hans Werner Henze (1926‑2012) est mis en scène et dirigé par des étudiants de l’Académie ; les musiciens sont issus de l’Ensemble Multilatérale. Léo Warynski, son directeur musical, participe à la réussite collégiale de ce spectacle porté à bout de bras par le baryton vénézuélien – et familier du rôle – Iván García, d’une extraordinaire présence scénique.
L’on sait gré à Antoine Gindt d’avoir jeté son dévolu sur ce « récital pour quatre musiciens » rarement donné. Henze l’a composé à Cuba en 1969 et 1970, peu après la création de sa Sixième Symphonie. La première eut lieu la même année au Festival d’Aldeburgh (grâce au soutien de l’ami Benjamin Britten), prélude à une tournée dans plusieurs villes d’Europe dont Avignon, où l’œuvre est fraîchement accueillie. Le texte reprend une partie de l’autobiographie d’Esteban Montejo rédigée par l’écrivain cubain Miguel Barnet. C’est une excellente idée de revenir ici à l’original espagnol plutôt qu’à la traduction allemande effectuée par Hans Magnus Enzensberger – celle- là même chantée par Williams Pearson dans l’enregistrement inclus dans la « Henze Edition » (Deutsche Grammophon). Barnet avait tiré un livre de l’histoire haute en couleur de ce vieux noir de La Havane (104 ans !), lequel avait combattu pendant la guerre d’indépendance cubaine après avoir servi d’esclave aux colons espagnols. Il nous narre son existence de fugitif, sa survie dans la forêt puis sa participation à la révolte contre l’occupant.
El Cimarrón se présente comme une succession de quinze « Tableaux » plus ou moins anecdotiques. La partie de baryton est notée le plus souvent en style récitatif, tantôt en parlé, en Sprechgesang ou en arioso libre. Henze réclame une tessiture qui « dépasse de loin les deux ridicules octaves occidentales », consolidant les acquis du provocant Versuch über Schweine (1968) – son intention était de faire raconter l’histoire de la façon la plus intense possible, comme un adulte lirait un conte de fées à un enfant. Iván García possède non seulement l’ambitus requis, mais adjoint à son nuancier le cri et le hurlement, le rire ou le sifflement ; bref, il utilise toute l’étendue vocale jusqu’au registre de voix de tête.
Neuf cordes tendues balisent le devant de la scène dont l’essentiel de la surface est encombré par tout un arsenal de percussions. Les Moscovites Viktoria Agarkova et Irina Deryabina en tirent tous les bénéfices possibles, ce qui contribue à rendre le récit extraordinairement vivant : barreaux de prison, arbres de la forêt, plantation de canne à sucre, fouet des contremaîtres – on mettra sur le compte de leur perfectionnisme et du manque de temps le retrait (regrettable) de trois épisodes...
Le protagoniste est entouré de trois musiciens. Le flûtiste (Matteo Cesari), armé de cinq flûtes différentes, doit également jouer de la guimbarde et de l’harmonica quand il ne seconde pas le percussionniste en frappant sur quelques instruments à percussion. Ceux‑ci forment un instrumentarium gigantesque, en maniement duquel le musicien (en l’occurrence une musicienne : Hélène Colombotti) doit faire montre de capacités athlétiques. Ainsi du récit de l’évasion de Montejo, où chacun est invité à improviser « en circulant lestement et le plus rapidement possible entre les divers instruments tout en sifflant sauvagement ». Le guitariste (Rémi Jousselme) écope d’une partie non moins exigeante et riche en effets spéciaux. Le rôle du chef (le Vénitien Carlo Tortarolo) consiste moins à « diriger » qu’à coordonner le tout et à indiquer le début et la fin des nombreuses séquences ad libitum. En écoutant cette version d’une grande force d’évocation, on oublie que le compositeur ne travaille qu’avec quatre interprètes !
Pour sa deuxième édition, l’Académie reprendra ses quartiers nîmois du 29 avril au 13 mai 2023 avec, cette fois-ci, le concours de l’Ensemble intercontemporain. Au programme : Song Books de John Cage, Aventures et Nouvelles aventures de Ligeti et Eight Songs for a Mad King de Peter Maxwell Davies. Tous à Nîmes !
Jérémie Bigorie
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