About us / Contact

The Classical Music Network

Madrid

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Un opéra du baroque tardif pour la cour de Madrid

Madrid
Auditorio Nacional
05/07/2022 -  
Niccolò Conforto : La Nitteti
Núria Rial (Nitteti), Ana Quintans (Beroe), María Espada (Sammete), Lucía Caihuela (Amenofi), Zachary Wilder (Amasi), Paloma Friedhoff (Bubaste), Víctor Cruz (Un noble égyptien)
Nereydas, Javier Ulises Illán (direction)


J. U. Illán, N. Rial, V. Losito (© Elvira Megías/CNDM)


Chacun sait que le XVIIIe siècle est un puits sans fond de musique négligée, voire oubliée. Mais on ne prête pas beaucoup d’attention à la question suivante : toute la musique du Siècle de Montesquieu n’a pas la même valeur, et en plus il s’agit d’un siècle où le dernier baroque est contemporain du style galant, parfois du premier classicisme. Mais cette fois‑ci, avec La Nitteti de Niccolò Conforto, sur un livret de Métastase, on peut assurer qu’il s’agit d’une reprise tout à fait pertinente, un chef‑d’œuvre du baroque certainement tardif.


La Nitteti est une commande des nouveaux rois d’Espagne, Ferdinand VI et son épouse, la Portugaise Barbara de Braganza. En fait, c’est Farinelli, le grand intendant des théâtres royaux – qui avait servi Philippe V comme castrato et avec lequel la relation n’était pas du tout paisible – qui passe commande : Métastase pour le livret, Conforto pour la musique (le compositeur était installé à Madrid). C’était au début d’un despotisme éclairé, de la main du Marquis de la Ensenada. Mais entre la commande et la première passent plusieurs années, avec la chute du Marquis et quelques catastrophes (Lisbonne 1755, surtout). L’opération de prestige du nouvel opéra pour le grand théâtre du Buen Retiro (malheureusement disparu pendant la guerre napoléonienne, comme presque tout l’ensemble des bâtiments du site) n’avait plus le même sens, mais la première a eu lieu en 1756 : un an avant la mort de Domenico Scarlatti, installé à Madrid depuis longtemps et devenu un Espagnol attitré ; deux ans avant la mort de la reine Barbara ; trois ans avant la mort du roi lui‑même. On va changer d’époque : avec Charles III, frère de Ferdinand et troisième fils de Philippe V sur le trône de saint Ferdinand, le despotisme éclairé devient une véritable pratique et doctrine d’Etat.


Composé pour la cour de Madrid, La Nitteti est un opera seria typique de Métastase, qui usait d’une sorte de grille immuable : six personnages nobles et royaux de l’Antiquité (un roi comme garantie finale de justice), un entremêlement d’amours et passions toujours encombrées par des équivoques, des liaisons pas convenables ou insatisfaites, parfois des coups de théâtre (comme à la fin de La Nitteti)... et un lieto fine, une conclusion heureuse de la péripétie, garantie de l’harmonie finale du monde malgré les accidents et les passions. L’action embrouillée de La Nitteti (située dans l’Egypte du VIes siècle notre ère !) obéit à cette formule et point n’est donc besoin de détailler. C’est assurément un opéra riche en arie de capo, parfois vastes et ambitieuses. Dans ce chef‑d’œuvre, il y a plusieurs chefs‑d’œuvre isolés, comme un air exquis, frôlant le sublime, l’air de Nitteti à l’acte III, avec accompagnement obligé de deux flûtes et viole d’amour ainsi que l’appui délicat des cordes, qui ne font que souligner discrètement la voix et les trois instruments évoquant l’amour. Cette beauté n’est pas la seule dans La Nitteti, un opéra dont la longueur a contraint à procéder à des coupures, comme d’habitude dans ce genre de pièces composées pour des théâtres et des publics qui n’avaient pas le même sens de l’attention qu’aujourd’hui. Tout l’opéra est plein de richesses semblables, avec ce moment insurpassable comme point culminant.


Il faut souligner que la reprise a été possible grâce à l’édition critique du musicologue José María Domínguez avec le directeur musicla Javier Ulises Illán. Il faut insister sur ce point : il s’agit d’une reprise tout à fait pertinente, puisqu’il s’agit d’un che‑d’œuvre.


Niccolò Conforto (Naples, 1718 – Madrid, 1793) avait déjà acquis une renommée avant s’installer à Madrid : c’est en effet l’un des noms les plus importants de l’opéra napolitain. Et de la comédie et du bouffe, dans la grammaire musicale de l’époque, il n’y a pas trop de distance avec le drame de l’opera seria. Comme cette Nitteti, jouée par un ensemble spécialisé, Nereydas, dirigé par Javier Ulises Illán avec précision, dans le détail et d’une façon spécialement inspirée. Un ensemble riche d’une trentaine de musiciens, dont neuf violons, un alto, trois violoncelles et la viola d’amore au rôle soliste pendant l’aria déjà évoquée (Valerio Losito) ; un basson, et les hautbois, flûtes, trompettes et cors par deux. Cela autorise une richesse de nuances, de la couleur, qu’Illán a bien su mettre en valeur.


Il faut souligner l’importance particulière de la distribution, tout à fait exceptionnelle. Il n’aurait pas été facile de réunir les voix des trois sopranos principales pour un projet quelconque. Núria Rial, Ana Quintans et María Espada ont été les grandes vedettes vocales de la soirée, même s’il faut reconnaitre l’efficacité et la beauté de la seule voix masculine, celle de Zachary Wilder en roi Amasi. Rial, Quintans et Espada sont des voix habituées à ce répertoire. L’excellence de Núria Rial (Haendel, Purcell, Cavalli...) ne s’est pas limitée à l’aria précédemment admirée. María Espada (Vivaldi, Boccherini, Haendel, mais aussi des répertoires non baroques, Szymanowski entre autres) a chanté une très longue aria presque au début de l’action, et c’était sa responsabilité séduire le public avec son chant « de bravoure », pour ainsi dire. Elle a enthousiasmé le public, et à partir de ce moment, affronter cet opéra inconnu a été plus aisé. La présence d’Ana Quintans a enrichi le plateau : elle a chanté Purcell, Charpentier, et spécialement Monteverdi et Rameau, elle est une artiste spécialisée dans le monde de rêve qu’on appelle baroque, mais d’une durée d’un siècle et demi, trop de temps pour qu’il s’agisse de la même chose. Qu’importe, Ana Quintans a chanté le rôle important et délicat de Beroe, dont le coup de théâtre final fait qu’elle est la véritable héroïne. Le ténor américain Zachary Wilder, lyrique et belcantiste comme ses partenaires, a pris le ton de l’autorité royale. Les rôles d’Amenofi et Bubaste, moins présents dans l’action, ont eu besoin de l’art incontestable de Lucía Caihuela (voix grave) et Paloma Friedhoff (voix lyrique).


Cette production a été possible grâce à la collaboration d’institutions de différents niveaux, espagnoles mais aussi européennes (Institut Complutense de sciences musicales, Communauté de Madrid, Fond social européen). On pourra l’entendre en tournée, mais aussi dans un prochain enregistrement pour le disque annoncé par Illán.


En conclusion, un opéra en version de concert d’un intérêt supérieur, un autre succès du cycle « Universo Barroco » du Centre national de diffusion musicale (ministère de la culture). Ce cycle nous a offert récemment des concerts inoubliables. Par exemple celui consacré aux quatre Suites pour orchestre de Bach (20 mars) par l’Orchestre baroque de Séville, un ensemble insurpassable dirigé par Giovanni Antonini, et l’extraordinaire Lina Tur Bonet comme premier violon. Ou bien le programme Dowland-Purcell donné par l’Ensemble Jupiter, dirigé par le grand luthiste Thomas Dunford, avec la voix exquise de Lea Desandre (28 avril).



Santiago Martín Bermúdez

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com