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Une Jenůfa à marquer d’une pierre blanche

Geneva
Grand Théâtre
05/03/2022 -  et 5*, 7, 9, 11, 13 mai 2022
Leos Janácek : Jenůfa
Corinne Winters (Jenůfa), Daniel Brenna (Laca Klemen), Ladislav Elgr (Steva Buryja), Evelyn Herlitzius (Kostelnicka Buryjovka), Carole Wilson (Grand-mère Buryjovka), Michael Kraus (Stárek), Michael Mofidian (Le maire du village), Borbala Szuromi (Jano), Séraphine Cotrez (Karolka), Mayako Ito (Barena)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Tomás Hanus (direction musicale)
Tatjana Gürbaca (mise en scène), Henrik Ahr (décors), Silke Willrett (costumes), Stefan Bolliger (lumière), Bettina Auer (dramaturgie)


(© Carole Parodi)


Les accents poignants de Jenůfa n’avaient plus été entendus à Genève depuis 2001, c’est dire si la nouvelle production du chef-d’œuvre de Janácek proposée par le Grand Théâtre était attendue avec impatience. D’autant que le spectacle est à marquer d’une pierre blanche. D’abord pour ses deux interprètes féminines principales, tout simplement exceptionnelles, puis pour sa direction musicale inspirée et enfin pour sa mise en scène symbolique et poétique. Si l’opéra s’intitule Jenůfa, le premier rôle est en fait celui de Kostelnicka, qui est sur scène de bout en bout. Et quel personnage ! Une matrone mère-la-rigueur détestée de tous ou presque, obnubilée par les convenances et le qu’en-dira-t-on, qui va jusqu’à commettre le plus horrible de tous les crimes – tuer de sang-froid l’enfant de sa fille adoptive – pour permettre à cette dernière de renaître à la vie. Et qui va être rongée par les remords, avant d’être soulagée par son aveu et pardonnée par la mère du bébé. Un tel rôle requiert une interprète hors pair. Le Grand Théâtre l’a trouvée en la personne d’Evelyn Herlitzius. Immense tragédienne à la voix large et corsée, la soprano allemande en oublie parfois la beauté du chant (des aigus à la limite du cri) pour s’investir totalement dans son personnage de femme tout à tour autoritaire et blessée, avec une sincérité et une humanité bouleversantes. Sa confession donne la chair de poule. En Jenůfa, Corinne Winters est tout aussi stupéfiante, quand bien même il s’agit d’une prise de rôle pour la chanteuse américaine. Voix puissante et ample, parfaitement projetée, homogène et malléable sur toute la tessiture, elle sait rendre à merveille toutes les nuances de son personnage de jeune femme touchante, triste et résignée à la fois. S’il n’atteint pas les mêmes sommets, le reste de la distribution est tout à fait honorable, à commencer par le Laca rustre et maladroit mais profondément bon de Daniel Brenna, au chant vigoureux malgré des aigus forcés. Ladislav Elgr prête son timbre élégant à un Steva beau gosse narcissique et désinvolte, lâche vis-à-vis de Jenůfa. Et on ne saurait oublier la superbe prestation du Chœur du Grand Théâtre, qui séduit par son engagement, sa précision et sa cohésion.


A la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande des grands soirs, aux sonorités splendides, Tomás Hanus offre une lecture raffinée de la partition de Janácek, en en faisant ressortir tout à la fois le caractère incisif et mordant et le lyrisme tour à tour ardent ou mélancolique, sans jamais perdre de vue la tension dramatique. La metteur en scène Tatjana Gürbaca a opté pour une vision symbolique et poétique de l’opéra, bien loin du réalisme cru du livret. Le drame se joue dans un décor unique composé d’une sorte de cabane de bois au toit triangulaire et au fond de laquelle trône un immense escalier menant jusqu’aux cintres. Un lieu clos dans lequel se réunit, bien à l’étroit, tout le petit village moldave du livret. Un univers étriqué où chacun a une place bien définie et dans lequel le moindre geste est épié et jugé. Un univers étouffant et austère, malgré les couleurs chatoyantes des costumes folkloriques des choristes. Après avoir commis l’irréparable, le bébé mort sous le bras, la Kostelnicka gravit l’escalier avec peine, presque avec douleur, pour sortir et cacher son crime. Elle redescendra les marches avant autant de difficulté. Et à la fin de l’opéra, un enfant les descendra aussi, symbole d’espoir et de lumière dans ce monde petit et gris.



Claudio Poloni

 

 

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