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D’une guerre à l'autre

Strasbourg
Opéra national du Rhin
04/16/2022 -  et 19, 21, 24, 26* avril (Strasbourg), 6, 8 mai (Mulhouse) 2022
Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte, K. 588
Gemma Summerfield (Fiordiligi), Ambroisine Bré (Dorabella), Lauryna Bendziūnaitė (Despina), Jack Swanson (Ferrando), Björn Bürger (Guglielmo), Nicolas Cavallier (Don Alfonso)
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Alessandro Zuppardo (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Duncan Ward (direction)
David Hermann (mise en scène), Jo Schramm (décors), Bettina Walter (costumes), Fabrice Kebour (éclairages)


(© Klara Beck)


Così fan tutte est par définition un opera buffa, et puis aussi, comme Le nozze di Figaro, une folle journée, où tout paraît s’accomplir en quelques heures, selon un principe d’unité de temps et de lieu hérité du théâtre classique. On y observe les mêmes deux donzelles follement amoureuses le matin, et tout aussi follement éprises le soir, mais pas du même homme, la rapidité du chassé‑croisé contribuant évidemment à la drôlerie acide du marivaudage. Or dans la production conçue par le metteur en scène franco‑allemand David Hermann, on s’amuse peu, on ne rit quasiment jamais, et l’action s’étale sur près d’un demi‑siècle. Comment réussir un Così dans des conditions aussi contraignantes et défavorables ? Après trois heures d’un spectacle touffu, tortueux, voire indéchiffrable, force est de conclure à une mission impossible.


Les deux jeunes soldats de Così fan tutte font mine de partir à la guerre, mais pour mieux réapparaître « quelques instants » plus tard, déguisés sous de fausses identités, pour tester la fidélité de leurs fiancées, avant de revenir à leur identité réelle, au moment des règlements de compte. Or ici les « quelques instants » deviennent à chaque fois « quelques années », le temps d’une guerre mondiale. De fait il s’agit carrément d’un autre livret : l’histoire de deux couples, étalée sur toute la première moitié du siècle dernier, avec son lot de passions, de séparations forcées, de phases d’indifférence, voire d’infidélité. Au premier acte l’amour ne résiste pas à la guerre, les deux poilus éclopés rentrant du front ne suscitant qu’horreur et rejet. Les couples se fréquenteront superficiellement ensuite, avant de succomber à des tentations échangistes, mais seulement au cours de l’acte suivant, dans un décor de bordel interlope qui se veut évocateur des dépravations des Années folles. Les reconstitutions d’époque sont justes, costumes et décors restituant fidèlement l’évolution des goûts vestimentaires et décoratifs au fil des décennies, de l’Art nouveau à l’Art déco. La production est même plutôt luxueuse, ne lésinant ni sur la figuration ni sur les changements à vue. Quant à la direction d’acteurs, dispersée en petits morceaux de bravoure épars, elle réussit parfois à fonctionner. Le problème restant que le placage d’une action fondamentalement différente sur le livret requiert tant d’acrobaties et d’expédients, jusqu’à des modifications du surtitrage, traductions déviantes en vue de mieux coller avec le propos, qu’on se lasse vite de tant de contorsions, en ne se laissant plus qu’irriter çà et là par la balourdise des situations (la « revue tropicale » du I, cabaret exotique ouvertement ridicule, l’orgie cuir et paillettes du II, non moins factice...).


Dommage pour une bonne équipe de chanteurs, de surcroît impliqués avec une apparente sincérité dans ce projet bizarre. Exceptons toutefois le timbre décoloré de Nicolas Cavallier, Alfonso trop vieux routier, mais qui ne compromet pas l’homogénéité des ensembles. La Dorabella d’Ambroisine Bré reste un peu en retrait, éclipsée par la Fiordiligi de Gemma Summerfield, technique solide et timbre lumineux, à laquelle ne manque encore qu’un peu plus d’investissement psychologique dans son Rondo « Per pietà ». Du côté des tourtereaux masculins, léger avantage pour le Ferrando de Jack Swanson, d’une élégance remarquable. En fosse, Duncan Ward bataille avec une acoustique rétive, dont il ne parvient pas à trouver les clés (elles existent pourtant : naguère, dans Mozart, un Theodor Guschlbauer savait infailliblement les trouver). Après une Ouverture desséchée, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg réussit quelques beaux dialogues avec le plateau, moments de plaisir musical qu’on apprécie avec une attention redoublée, faute d’un support visuel cohérent.



Laurent Barthel

 

 

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