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Un résultat complètement différent Madrid Teatro Real 03/22/2022 - et 23, 25, 26, 28*, 31 mars, 1er, 3, 4, 5 avril 2022 Serge Prokofiev : L’Ange de feu, opus 37 Ausrinė Stundytė*/Elena Popovskaya (Renata), Leigh Melrose*/Dimitris Tillakos (Ruprecht), Dmitry Golovnin*/Vsevolod Grivnov (Agrippa von Nettesheim, Méphistophélès), Agnieszka Rehlis*/Olesya Petrova (La mère supérieure, La voyante), Mika Kares*/Pavel Daniluk (L’Inquisiteur), Nino Surguladze (L’hôtesse), Dmitry Ulyanov (Faust), Josep Fadò (Jakob Glock, Le médecin), Gerardo Bullón (Matthieu, L’aubergiste), Ernst Alisch (Le comte Heinrich, Le père), David Lagares (Le serviteur), Estíbaliz Martyn, Anna Gomà (Novices)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Gustavo Gimeno (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène), Rebecca Ringst (décors), Ingo Krügler (costumes), Franck Evin (lumières), Sarah Derendinger (vidéo), Beate Breidenbach (dramaturgie)
A. Stundytė (© Javier del Real/Teatro Real)
Suite de la chronique de L’Ange de feu, cette fois‑ci avec la première distribution. Le même orchestre, quelques solistes secondaires sont également les mêmes, mais le résultat est complètement différent pour le public. La froideur des applaudissements est devenue l’enthousiasme qu’on nous avait annoncé depuis la première, le 22 mars. Le secret réside certainement dans les deux rôles principaux. Mais, surtout, dans un orchestre complice, à l’effectif abondant, plein de timbres, riche en forte, abondant aussi en petites notes, parce que Prokofiev est le roi des doubles croches. Mais il fallait un maestro, au sens le plus large et le plus ambitieux. Et il y a en avait un dans la fosse ; l’orchestre a été magistralement dirigé par Gustavo Gimeno dans le détail comme dans le sens symphonique, réussissant autant les spectaculaires intermezzos entre les tableaux (la base de beaucoup de thèmes de la Troisième Symphonie) que ces moments où la voix est situation dramatique, mais aussi instrument concertant ou, au moins, une ligne plein de nerf, de vie, d’angoisse, qui a besoin que l’orchestre lui construise un logement sonore.
Ce n’était pas un miracle, mais le miracle était là. De la scène, de la fosse sortait une vérité théâtrale puissante : chant et éclats, couleurs et dynamiques insolites, détresse des voix et trouble des instruments. L’histoire est celle de Renata, et ce personnage est, chez la Lituanienne Ausrinė Stundytė, plus enflammée que l’ange lui‑même évoqué par le titre, personnage absent ou obsession idéalisée des terreurs de la femme. Une interprétation insurpassable, épuisante pour la voix et la personne qui chante ; au Teatro Real, Ausrinė Stundytė (Isolde, Elektra, Katerina Ismaïlova) est déjà inoubliable grâce à sa Renata. Exceptionnel, également, le drame obsédant (chez lui aussi) de Ruprecht dans l’interprétation tendue et agitée, mais mesurée et bien projetée, du baryton britannique Leigh Melrose (Golaud, Œdipe, voire Alberich, des rôles bien différents de Ruprecht). Melrose est un parfait partenaire de Stundytė.
La mezzo polonaise Agnieszka Rehlis nous étonne dans ses deux brefs rôles où elle montre sa capacité vocale, parfois contralto plutôt que mezzo, avec ses graves et le volume épais de l’ancienne école russe. Cette soprano polonaise a chanté Waltraute, Azucena, Amneris... Dans cet opéra, Prokofiev confie aux ténors des rôles secondaires ou grotesques. Méphistophélès est un rôle dont la ligne est tendue, malgré son côté comique, un ténor aux résonances d’émasculation plus que de ténor altino ou contre‑ténor. Magistral, le Russe Dmitry Golovnin dans cette interprétation, pendant un tableau confus et complètement révisé dans la version de Bieito, où Renata, sans chanter, continue à être la victime qui fuit sur son vélo. Golovnin, en outre, est le protagoniste, avec Melrose, de la scène courte et vocalement et orchestralement tendue entre Agrippa et Ruprecht dans l’hôpital où l’on pratique des avortements, une scène, nous dit‑on, qui aurait blessé la sensibilité de certains spectateurs. Il faut aussi remarquer le Finlandais Mika Kares dans le rôle de l’Inquisiteur.
Un succès sans conteste, une soprano puissante, mais aussi épuisée par les demandes ardues du rôle de Renata. Le public, finalement, a très bien accueilli cette nouveauté, une œuvre ayant attendu trop longtemps pour que Prokofiev se déploie magistralement dans ce qu’il considérait comme sa vocation suprême, l’opéra.
Santiago Martín Bermúdez
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