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Passion mitigée Paris Boulogne-Billancourt (La Seine musicale) 03/30/2022 - et 5 avril 2022 (Dijon) Johann Sebastian Bach : Matthäus-Passion, BWV 244 Valerio Contaldo (Evangéliste), Thomas Bauer (Jésus), Ilse Eerens (soprano), Dara Savinova (mezzo), Fabio Trümpy (ténor), Christian Immler (basse)
Chœur de chambre de Namur, Chœur de l’Opéra de Dijon, Maîtrise de Radio France, Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcoń (direction)
L. García Alarcón (© Vincent Arbelet)
Pour cette Passion selon saint Matthieu de Bach, Leonardo García Alarcoń a réussi à attirer un public plus nombreux qu’habituellement dans cette salle souvent peu remplie. Les forces en présence réunies pour l’occasion sont le Chœur de chambre de Namur, rejoint par seize chanteurs du Chœur de l’Opéra de Dijon, la Maîtrise de Radio France et la Cappella Mediterranea, fondée par Alarcoń en 2005 et en résidence à l’Opéra de Dijon depuis 2018.
Evoquons pour commencer la spatialisation vantée avec insistance par les organisateurs. En première partie, elle consiste surtout en une séparation des deux chœurs placés en face l’un de l’autre aux balcons, la Maîtrise étant placée à l’orchestre entre les deux chœurs. Rien de très original. Ensuite, les déplacements successifs du chœur pour se replacer sur scène sont plus gênants qu’autre chose. En seconde partie, la spatialisation est plus palpable et fonctionne mieux, notamment à la fin de l’œuvre où le chœur chante d’abord dos au public, puis face au public et enfin mêlé à ce dernier dans les gradins de l’orchestre. On regrettera quelques retards à la mise en lumière des chanteurs (notamment l’Evangéliste, régulièrement dans la pénombre au début de ses interventions) et des éclairages de scène un peu caricaturaux en termes de couleur, surtout en fin de représentation. Même si cet outil, qui mériterait d’être affiné et perfectionné, apporte en termes de dramaturgie, on est ici très loin de la géniale mise en espace de Peter Sellars à la Philharmonie de Berlin, une salle qui, il est vrai, se prête mieux à cet exercice.
Côté musical, le bilan est lui aussi mitigé. Les chanteurs, sans démériter, ne sont sans doute pas les meilleurs titulaires des différents rôles de cette Passion. Le seul à vraiment émerger est sans doute Christian Immler, au magnifique timbre de basse et au métier éprouvé. L’Evangéliste Valerio Contaldo, s’il à la voix du rôle, n’en possède pas tout à fait l’esprit fait de cet étonnant mélange de diseur et de chanteur. Le Jésus de Thomas Bauer est bien présent mais la voix semble comme contenue. Quant aux femmes, Ilse Eerens et Dara Savinova, les timbres sont beaux, les voix précises mais l’émotion n’est pas toujours au rendez‑vous et Dara Savinova souffre un peu dans les graves de certaines arias, surtout en seconde partie.
Mais ce manque d’émotion est sans doute aussi un peu de la responsabilité du chef, parfois brutal dans sa gestique à mains nues, et constamment actif et pressé, ce qui ne laisse pas le temps aux chanteurs de respirer. Même chose avec l’orchestre, à l’évidence familier de cette musique, mais la direction un peu raide d’Alarcón semble brider l’expression musicale. Les chœurs sont le plus souvent magnifiques, même si l’allemand se perd un peu dans l’acoustique de l’auditorium. Les chorals, souvent pris de manière très vive et dans un mezzo forte trop univoque, déçoivent malheureusement, devenant même monotones. Les deux courtes interventions de la Maîtrise de Radio France sont en place à défaut d’être éloquentes. A noter la belle idée de faire chanter un choral par les quatre solistes dans la dernière partie de l’œuvre. Quant au chœur final « Wir setzen uns mit Tränen nieder », il est sans doute le passage le plus réussi, mais c’est un peu tard.
Une Passion selon saint Matthieu non sans qualités mais qui peine à émouvoir et qui n’emporte pas complètement la conviction. Il sera intéressant d’aller écouter Philippe Herreweghe le 4 avril prochain à la Philharmonie de Paris avec le Collegium Vocale de Gand. On y entendra sans doute une vision toute différente.
Gilles Lesur
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