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« Immersion xenakienne »

Paris
Cité de la musique
03/18/2022 -  
Richard Wagner : Parsifal : Préludes des actes I et III
Iannis Xenakis : TerretektorhNomos Gamma
Olga Neuwirth : Ondate II
Sofia Goubaïdoulina : De profundis

Li‑Ling Lee, Alain Billard (clarinettes basses), Vincent Gailly (bayan), Ensemble intercontemporain, Orchestre du Conservatoire de Paris, Matthias Pintscher (direction)


I. Xenakis Les Amis de Xenakis)


Les musiciens de l’Ensemble intercontemporain et de l’Orchestre du Conservatoire de Paris, décidément rompus aux partitions prodigues en décibels (on se souvient du volcanique Tutuguri de Wolfgang Rihm le 17 janvier dernier), poursuivent leur collaboration dans ce programme-Janus proposé en contrepoint à l’exposition « Révolutions Xenakis » qui se tient à la Philharmonie de Paris jusqu’au 26 juin.


Pour cocasse qu’il apparaisse, le rapprochement Xenakis-Wagner n’est pas inédit. Michel Tabachnik et son Philharmonique de Bruxelles avaient fait escale à la Cité de la musique en 2012 avec un déroulé obéissant au même principe : l’enchaînement sans pause (une nouvelle musique s’allume au mégot de la musique expirante) entre le Grec et l’Allemand. Mais là où celui‑ci conçoit l’orchestre de Parsifal comme une émanation du fameux « abîme mystique », celui‑là dissémine les musiciens dans le public afin de sonder, à nouveaux frais, les notions d’espace et de temps – une configuration hors des sentiers battus qu’autorise la salle modulable de la « Philharmonie 2 ».


De fait, les Préludes des actes I et III constituent une expérience intéressante à défaut de s’avérer pleinement convaincante. Le fondu wagnérien passe par pertes et profits, escamoté par l’atomisation des sonorités... On en est quitte pour goûter, avec plus de relief, çà une doublure, là une ligne isolée – tous ces condiments que le mage de Bayreuth s’était employé à amalgamer dans son bouillonnant chaudron. On épingle au passage quelques inadvertances de synchronisation et d’intonation, conséquences inévitables de l’exercice.


A la gestique symétrique et carrée de Tabachnik répond celle tout en rondeur et vélocité de Matthias Pintscher, posté au centre de la scène comme une araignée dans sa toile. Si Terretektorh (1965) est écrit un peu gros, Nomos Gamma (1968) donne lieu à de charismatiques échappées solistes (hautbois du début) et à une forme plus accomplie que parachève la coda « s’envolant comme une toupie folle ». Du premier balcon, à la droite du chef, notre oreille est harponnée de tous côtés par les maracas, sifflets, fouets, tambours, grosse caisse ou timbales, qui se relayent aux quatre points cardinaux. Juste derrière nous, les mugissements du tuba évoquent certain dragon (Fafner ?) s’extirpant des entrailles de la terre. Perçoit‑on l’influence de Varèse ? l’application de formules mathématiques ? un exutoire aux traumatismes de la guerre (dans sa jeunesse en Grèce, Xenakis combattit contre les armées allemande puis britannique) ? Intuitivement un peu tout cela, et bien plus encore : une nature en ébullition, un formidable déchaînement sonore qui nous rappelle qu’avant d’être une « cosa mentale », comme le disaient les Humanistes de la Renaissance, la musique demeure, pour l’auditeur, un phénomène physique traversant la totalité du corps.



(© Quentin Chevrier)


La disposition en archipel des musiciens se reflète dans le programme, émaillé de deux îlots chambristes : Ondate II (1998) d’Olga Neuwirth (née en 1968) joue sur le dédoublement, tour à tour mimétique et paranoïaque, des deux clarinettes basses. Alain Billard et Li‑Lang Lee ont compris qu’à travers borborygmes, gargouillements et autres harmoniques impures, la compositrice autrichienne « se place sous le signe de l’entre‑deux », non sans un clin d’œil à Venise (la pièce s’inspire d’un hymne à la Sérénissime écrit par le russe Joseph Brodsky en 1989) et à ses fameux cori spezzati ; De profundis (1978) de Sofia Goubaïdoulina (née en 1931) s’inscrit davantage dans le temps long : douze minutes d’une « lente et inexorable progression, du “cliquetis” du registre le plus grave de cet accordéon chromatique jusqu’aux tons purs et tendres de son registre le plus aigu ». « Cet accordéon chromatique », appelé bayan, est tenu de main de maître par Vincent Gailly. Moins instrument que matière vivante animée par le souffle et la respiration, il se fait le vecteur d’un discours à la fois organique et spirituel tant sa trajectoire épouse celle du psaume éponyme « Des profondeurs, je crie vers Toi Seigneur ».


Dans un communiqué liminaire au nom de l’ensemble des musiciens et de l’institution parisienne, Matthias Pintscher a tenu à manifester son soutien au peuple ukrainien et à clamer la nécessité de l’art en ces temps de guerre. Nul doute que l’ovation du public venu nombreux abonde en ce sens.



Jérémie Bigorie

 

 

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