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Inégal et décevant Paris Philharmonie 03/14/2022 - et Luxembourg (13 mars 2022) Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 3, opus 30
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 6 « Pathétique », opus 74 Nelson Goerner (piano)
Koninklijk Concertgebouworkest, Fabio Luisi (direction)
F. Luisi (© Sylvia Elzafon)
En ces temps troublés, l’Orchestre royal du Concertgebouw a eu l’intelligence de maintenir le programme prévu tout entier dédié à la musique russe. Seul changement : l’indisposition de Yefim Bronfman, remplacé au pied levé par Nelson Goerner.
Le Troisième Concerto de Rachmaninov trouve ici de magnifiques interprètes en osmose pour offrir une lecture élégante et raffinée sans aucun débordement. L’orchestre est équilibré, sonne magnifiquement, notamment le pupitre des bois sans doute sans équivalent dans le circuit des grands orchestres européens – on pense en particulier au basson de Gustavo Núnez, toujours présent et lumineux. Les cordes, soyeuses et engagées, font plus qu’accompagner le pianiste argentin, sous la direction élégante de Fabio Liusi. Nelson Goerner joue cette musique riche et qui peut sembler confuse avec un tel naturel qu’elle semble devenir lisible. Les trois mouvements aux tempi justes explorent les tréfonds d’une musique finalement très moderne dans sa richesse harmonique et mélodique. Le public de la salle Pierre Boulez, bien remplie ce soir, ne s’y trompe pas réservant un accueil triomphal aux interprètes. Un Nocturne de Chopin donné en bis vient confirmer l’extraordinaire musicalité du pianiste argentin.
Changement complet d’ambiance avec la Sixième Symphonie « Pathétique » de Tchaïkovski qui, avouons‑le, nous a déçue. Le parti pris de presque neutralité de Fabio Luisi, qui fonctionnait si bien dans Rachmaninov, trouve ici ses limites. Tempi étirés, équilibres surprenants avec des cuivres qui effacent par endroits les cordes, manque de circulation entre les différentes familles de l’orchestre (cordes, cuivres, vents), tout cela étonne et est source d’un manque de tension générale. Et ceci même si les bois font des miracles, notamment à nouveau le basson, particulièrement dans le final, qui le sollicite beaucoup, mais aussi la timbale précise comme une horloge de Nick Woud, la sublime clarinette d’Olivier Patey et les flûtes complices d’Emily Beynon et Julie Moulin. Mais il faut plus que des interprètes hors pair pour réussir à faire vivre de l’intérieur la Pathétique. Il y a certes de beaux passages – on pense en particulier au solo de clarinette avant l’allegro du premier mouvement, au deuxième mouvement, qui souffre moins de cette retenue, et aussi à la coda du troisième mouvement, qui déclenche même des applaudissements. Mais la déception atteint son comble dans un quatrième mouvement qui ne fonctionne décidément pas et durant lequel l’équilibre des différents pupitres parvient même à mettre en péril ce pourtant magnifique orchestre. On aimerait bien savoir ce qu’en aura pensé Klaus Mäkelä, venu écouter cet orchestre qu’il connaît bien.
Déception donc surtout pour la symphonie de Tchaïkovski. L’Orchestre royal du Concertgebouw reste un ensemble unique mais il a déjà mieux sonné, par exemple avec Semyon Bychkov ou Andris Nelsons. Espérons donc le retour de ces grands chefs la saison prochaine à la tête de l’orchestre.
Gilles Lesur
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