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Pas si calme ! Paris Palais Garnier 03/09/2022 - et 10, 13*, 16, 18, 21, 23, 24, 26, 29, 30 mars 2022 Leonard Bernstein : A Quiet Place (création de la nouvelle orchestration pour grand orchestre de Garth Edwin Sunderland) Claudia Boyle (Dede), Frédéric Antoun (François), Gordon Bintner (Junior), Russell Braun (Sam), Colin Judson (Funeral director), Régis Mengus (Bill), Helene Schneiderman (Susie), Loïc Félix (Analyst), Jean-Luc Ballestra (Doc), Emanuela Pascu (Mrs Doc), Marianne Croux, Ramya Roy, Kiup Lee, Niall Anderson (Mourners), Johanna Wokalek (Dinah)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Kent Nagano (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczęsniak (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Kamil Polak (vidéo), Claude Bardouil (collaboration artistique), Miron Hakenbeck (dramaturgie)
(© Bernd Uhlig/Opéra national de Paris)
L’Opéra national de Paris rend justice à Leonard Bernstein (1918-1990) en faisant entrer au Palais Garnier son opéra A Quiet Place avec tous les égards dus à cet immense compositeur américain.
Leonard Bernstein n’est entré à l’Opéra de Paris que par la petite porte du ballet avec les partitions de Fancy Free et de la Suite de West Side Story Suite, supports de deux chorégraphies de Jerome Robbins. Ce n’est que justice dont fait acte le nouveau directeur Alexander Neef, qui a annoncé dès sa nomination l’an dernier sa volonté de privilégier la musique américaine durant son mandat. Et de commencer par le compositeur de la musique de West Side Story, réussite considérable à Broadway qui aujourd’hui encore bénéficie d’un regain de succès planétaire grâce au remake réussi de Steven Spielberg du film tiré du musical. Etiquette qui a collé durablement à la peau du compositeur et chef d’orchestre, qui s’est appliqué tout au long de sa carrière à prouver qu’il était surtout le compositeur d’une musique plus « sérieuse » et spirituelle.
De fait, A Quiet Place, œuvre tardive dans son catalogue (1983), peinant à rencontrer le succès public et pour cela plusieurs fois remaniée, combine tous les genres d’ écriture auxquels Bernstein s’est adonné, du style musical à la religiosité, utilisant même par séquences la technique sérielle. L’œuvre raconte l’histoire d’une famille américaine disloquée qui, à l’occasion de la mort dans un accident de voiture de sa matriarche, accident suicide apprend‑on au cours de l’action, se déchire lors des funérailles pour mieux se réunir ensuite. Et quelle famille ! Le flamboyant fils gay qui apparaît dans une tenue de cow‑boy fuchsia a entretenu des rapports incestueux avec sa sœur avant de la marier à un de ses amants. Le père, personnage clé de l’histoire, évolue de la haine à la compassion pour le destin de ses deux enfants et de son gendre. Autour d’eux gravite une galerie de seconds rôles que Bernstein a particulièrement gâtés dans leurs caractérisations vocales.
Même avec son format réduit, l’opéra comporte quelques tunnels, notamment quand frère et sœur se remémorent leurs jeux d’enfants, mais ces longueurs sont particulièrement bien exploitées par le metteur en scène Krzysztof Warlikowski, qui gratifie l’action de quelques petits ajouts, dont les personnages de Dinah, la mère défunte, et du fils enfant, qui parcourent l’action de façon muette mais efficace. Dans notre mémoire, c’est la première fois que le Polonais n’est pas conspué de sifflets au rideau final. Très actif à l’Opéra de Paris sous le directorat de Gerard Mortier, il s’est fait plus rare même si sa mise en scène « culte » d’Iphigénie en Tauride est régulièrement reprise avec beaucoup de succès. Cette Quiet Place, pas si calme que cela, est une aubaine car tout colle pile à ses obsessions esthétiques et à celles de sa collaboratrice Malgorzata Szczęsniak, qui réussit une scénographie parfaite et efficace. La première scène des funérailles au crématorium, encadrée par les films de l’accident et de la crémation, est un exemple de direction d’acteurs millimétrée avec des figurants et des personnages silhouettes criants de vérité. La suite, quoique toujours très lisible, est moins structurée dramatiquement. Un grand moment, l’action s’arrête quand Junior, le fils, regarde dans sa chambre à la télévision un des « Youngs People’s Concerts », acte majeur pédagogique dans la carrière médiatique de Lenny Bernstein, dans lequel il explique à des enfants, avec un pouvoir de séduction et de conviction jamais égalé, la valeur attractive de la musique à l’aide de la Quatrième Symphonie de Tchaïkovski. Et ce n’est bien sûr pas la seule référence à l’homosexualité dans cette magnifique réalisation qui, on l’espère, restera durablement au répertoire.
Pour mener A Quiet Place à la perfection musicale, on a fait appel à Garth Edwin Sunderland, pour l’adaptation de la partition et du livret, et à Kent Nagano, qui a déjà dirigé l’œuvre avant de l’enregistrer pour Decca. Si le chef américain mène avec une précision maniaque mais beaucoup de souplesse et d’instinct cette partition kaléidoscopique, il ne maîtrise pas toujours le volume sonore de l’orchestre, admirable ensemble de soixante‑douze musiciens maison, et les voix ne se projettent pas toujours bien dans la salle au détriment des dialogues très fournis, heureusement secondés par le surtitrage. La distribution, si l’on exclut ce problème de projection, est parfaite, dominée par le père (Sam) de Russell Braun, le fils (Junior) de Gordon Bintner, le gendre (François) de Frédéric Antoun et la fille (Dede) de Claudia Boyle.
Olivier Brunel
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